Témoignages: ““Je souffre de fibromyalgie””
Kiani, 23 ans, a été diagnostiquée l’année dernière
“J’ai grandi comme une petite fille insouciante, joyeuse et rarement malade. À l’école, tout se passait bien, et j’ai vite découvert que ce que je voulais faire c’était garder des enfants. La vie me souriait... Jusqu’à ce que, dans mes dernières années d’études, j’aie de plus en plus de problèmes à l’estomac et aux intestins. Le médecin que j’ai vu m’a dit que j’avais le syndrome du côlon irritable. Je devais régulièrement rester chez moi, et j’étais épuisée. On ne trouvait pas la vraie cause de mes symptômes: le plus souvent, on me disait 'c'est le stress".
Au début, mes parents avaient vraiment du mal à supporter que je reste aussi souvent à la maison au lieu d’aller aux cours, ils me demandaient de faire un effort.
Une fatigue extrême
Il y a deux ans, j’ai eu mon diplôme de puéricultrice et j’ai voulu poursuivre mes études pour être institutrice en maternelle. Mais j’ai très vite réalisé que je n’étais pas en état de suivre une formation aussi lourde: rien qu’avec le trajet en tram et les quelques pas à faire pour arriver à l’école, j’étais épuisée. Je n’avais pas d’autre choix que de mettre au placard mon rêve d’études et d’aller travailler dans une crèche. Mais après une semaine de boulot, j’ai attrapé la grippe... En général, on vient à bout du virus après une bonne semaine de repos, mais moi, je n’arrivais pas à m’en débarrasser: deux semaines plus tard, j’avais toujours des courbatures terribles et j’étais réellement fatiguée.
J’allais presque quotidiennement chez le médecin et il s’arrachait les cheveux avec mon cas... Pendant des mois, je suis restée faible: je sentais que quelque chose n’allait pas dans mon corps.
Tout mon entourage a bien vu que quelque chose ne tournait pas rond, mais le médecin ne parvenait pas à comprendre ce qui m’arrivait. En désespoir de cause, je me suis tournée vers internet pour trouver une explication à tous mes symptômes et je suis tombée sur la fibromyalgie: j’en ai parlé à mon médecin qui n’a pas exclu cette hypothèse et m’a dirigée vers un spécialiste. Un mois plus tard, j’avais une consultation.
Un verdict sans appel
Le spécialiste m’a fait subir une batterie de tests et d’analyses: à la fin, le verdict était sans appel. J’avais 99 pour cents de chances de souffrir de fibromyalgie, mais le diagnostic n’a pu être confirmé que six mois plus tard, quand mes symptômes ont continué. Tous mes problèmes ne s’étaient pas simplement maintenus, ils avaient augmenté en intensité durant les six derniers mois. Quant à mes problèmes d’intestins, ils étaient montés en flèche... J’ai à nouveau subi une série de tests, également sur des points spécifiques à la fibromyalgie. Et le résultat a été implacable: je portais la marque de la fibromyalgie. Au début, je ne voyais pas bien ce que ça impliquait: j’ai été terriblement déçue en apprenant que cette maladie ne se soigne pas et qu’on ne peut pas y faire grand-chose, voire rien du tout. Au boulot, ils n’ont pas compris ma maladie; j’ai démissionné presque aussitôt.
Des douleurs musculaires constantes
Aujourd’hui, je vis en permanence avec des douleurs musculaires. Mon cou et mes épaules sont les zones les plus tendues: ils sont constamment bloqués. Quand je me réveille le matin, je suis tellement crispée qu’il me faut plus d’une heure pour pouvoir me lever. Je dois aussi me battre contre une fatigue extrême:
certains matins, la douche est une épreuve insurmontable, je dois mobiliser toute mon énergie pour marcher jusqu’aux toilettes. À cause du syndrome du côlon irritable, j’ai souvent de grosses crises de diarrhée et j’ai aussi régulièrement des crises de panique ou d’allergie.
Au niveau mental, j’ai beaucoup de mal avec ma maladie: j’ai tout le temps l’impression d’être enfermée dans mon propre corps. J’ai envie de faire une tonne de choses, mais mon corps m’en empêche systématiquement... Toutes ces choses du quotidien, comme une longue balade avec le chien ou une après-midi de shopping, me sont inaccessibles. Je suis aussi extrêmement sensible au chaud ou au froid: s’il fait trop froid ou trop chaud, j’ai du mal à bouger ou je suis en nage. Rien que ça, à certains moments, m’empêche carrément de sortir... Et puis il y a aussi tous les préjugés sur la fibromyalgie, avec lesquels je dois vivre régulièrement: beaucoup de voisins et d’amis restent campés sur des idées reçues. “Si jeune, et elle ne travaille pas! Elle n’a pas l’air d’aller si mal, pourtant?” On dit beaucoup de choses dans mon dos, mais je ne peux pas y faire grand-chose.
Une lutte contre la dépression
En ce moment, je dois me battre contre la dépression. Je n’ai pas travaillé depuis deux ans et demi et je ne sais pas si je pourrai recommencer un jour... Sans le soutien de mes parents et de mon compagnon, j’aurais déjà plongé dans la dépression. Mon chien aussi m’aide énormément. Quand je me sens mal, ils arrivent toujours à m’insuffler un peu de joie...
Mon petit ami m’a connue quand je n’avais pas encore reçu le diagnostic et que je pouvais vivre à peu près normalement. Il m’a vue me détériorer lentement ces dernières années, mais heureusement, il a toujours eu beaucoup de compréhension et n’a jamais pensé à me quitter.
Benny se contente de moi, il n’a pas besoin de sortir les week-ends ou de rencontrer des amis: c’est mon plus grand bonheur. L’année dernière, nous avons emménagé ensemble, juste en face de chez mes parents. Quand j’ai trop de mal avec les tâches ménagères, ma mère vient me donner un coup de main. Mon blog sur facebook, Kiani’s World, m’apporte aussi beaucoup de réconfort: j’y mets tout le peu d’énergie qu’il me reste. Pour la plupart des choses, je suis devenue dépendante des autres: je vais devoir m’y faire... C’est loin d’être facile, mais je n’ai pas le choix. Je dois apprendre à apprécier les petites choses du quotidien et abandonner mes grands rêves. Le seul que je n’abandonne pas, c’est le rêve de fonder une famille: je veux être maman. Physiquement, ça ne sera pas facile pour moi et j’aurai besoin d’aide extérieure, mais s’il y a une chose pour laquelle Benny et moi pourrions tout sacrifier, c’est bien d'avoir un enfant ensemble...”
Tamara, 31 ans, se bat depuis dix ans pour sa santé
“Quand j’étais petite, j’ai eu beaucoup de mal à l’école. J’avais des difficultés d’apprentissage et je me faisais harceler. Mais grâce à de nombreuses heures de travail et à ma volonté, j’ai finalement obtenu un diplôme de secrétaire médicale. On m’a proposé un emploi dans un hôpital. Mon premier boulot mêlait responsabilités et stress: il a très rapidement eu un impact sur ma santé. Je souffrais d’hypertension artérielle, j’avais une douleur continue dans la poitrine et j’étais épuisée à cause des changements d’horaires continuels. Pendant un temps, je rapportais du travail à la maison... Mon médecin a fini par me prescrire un arrêt maladie et m’a envoyée chez un kiné pour traiter une inflammation du sternum. Après une semaine, ma douleur n’était pas apaisée, mais je suis retournée travailler, tout en cherchant un autre emploi, avec de meilleurs horaires. J’ai fini par trouver un nouveau poste, moins stressant, dans un autre hôpital. Pendant six mois, tout s’est bien passé, jusqu’à ce que je ressente une douleur violente dans la mâchoire et les dents: mes dents de sagesse sortaient, et il a fallu les extraire via une opération chirurgicale.
Des antalgiques puissants
L’opération s’est très bien passée, mais quelques jours plus tard, j’ai commencé à avoir d’affreuses migraines qui ne passaient pas. Je suis retournée au travail après deux semaines, mais ça n’a pas été facile... J’ai ressenti de plus en plus de douleurs dans la mâchoire, donc je suis retournée pour un contrôle: apparemment, ma mâchoire avait été malmenée pendant l’intervention et j’avais simplement besoin de laisser passer un peu de temps pour guérir. Donc j’ai pris des antalgiques, chez moi et aussi au travail.
Rapidement, les antalgiques simples n’ont plus été suffisants, alors on m’a prescrit des médicaments beaucoup plus lourds.
Directement après, je suis devenue rouge en permanence et j’avais du mal à rentrer chez moi le soir, en voiture. Je refusais obstinément de m’arrêter de travailler ou de reprendre un congé maladie. Mais peu de temps après, j’ai eu une inflammation du poignet et ça a été de mal en pis... Dans le même temps, mon père a appris qu’il avait un cancer, ce qui a rendu mon travail à l’hôpital encore plus difficile. Et j’ai très vite senti que tous mes collègues n’étaient pas bienveillants envers moi. J’ai recommencé à chercher un nouveau boulot, et je me suis retrouvée dans le service médical d’une mutuelle. J’avais un patron qui me comprenait et un travail que j’appréciais vraiment: pour une fois, tout semblait se passer pour le mieux. Mon copain et moi avions prévu d’emménager ensemble l’année suivante et j’avais commencé des cours de cuisine, le soir.
Le dos en compote
Au début, tout allait bien, mais très vite, j’ai ressenti une douleur dans le dos quand je tenais une poêle. A nouveau, j’ai dû prendre des antalgiques très puissants, et puis j’ai été forcée d’abandonner les cours. Au travail aussi, la position assise m’était de plus en plus pénible. Le médecin a pensé que mon dos était trop tendu et m’a envoyée chez un kiné. Mais ça n’a pas été mieux... Au final, alors que j’avais enfin trouvé un travail qui me plaisait, ma santé me mettait à nouveau des bâtons dans les roues. Je me suis retrouvée à suivre des cours spécialisés sur les maux de dos, sans que cela n’ait le moindre effet. J’étais tellement désespérée que j’ai fini par aller voir un neurochirurgien dans l’espoir qu’il m’aide, mais il m’a trouvée trop jeune pour une opération et m’a conseillé de continuer les séances de kiné, tout en prenant du repos... Dans la foulée, il m’a mise en arrêt maladie pendant trois mois. Ça a été très dur à avaler.
Licenciée
Mais dès que je me suis retrouvée à la maison, j’ai réalisé que j’avais vraiment besoin de repos. Je dormais énormément, je prenais constamment des antalgiques et je continuais les séances de kiné, en plus de “l’école du dos”. Je n’étais plus en état de faire quoi que ce soit et je devais rester allongée le plus souvent possible. Même quand nous sortions avec mon petit ami, il devait supporter de me voir allongée. Heureusement, il s’est montré très compréhensif... Nous ne vivions pas ensemble, notre relation n’a pas eu à trop souffrir de mes problèmes de santé. Mon congé maladie a été deux fois prolongé de trois mois, mais mes problèmes de dos ne se sont pas améliorés pour autant.
Quand on a réalisé que même les péridurales n’avaient aucun effet, j’étais au bout du rouleau. Entretemps j’étais restée neuf mois en arrêt maladie et ça a évidemment eu un impact sur mon travail: j’ai été licenciée pour raisons médicales.
Ça a été un coup dur pour moi, j’ai été totalement submergée et j’ai sombré dans la dépression.
Une opération du dos
Comme le médecin avait trouvé une usure dans mes disques lombaires, j’ai finalement subi une opération chirurgicale. Elle s’est bien déroulée, mais ma convalescence a été extrêmement lente et compliquée. Normalement, j’aurais dû recommencer à marcher après deux ou trois mois, mais neuf mois plus tard, j’avais encore du mal à tenir sur mes jambes. Mon copain et moi, on a décidé d’emménager ensemble. Mais durant cette période, je pouvais faire très peu de choses. Ma mère a même pris un congé pour venir chez moi et m’aider à me doucher, m’habiller, tout un tas de petites choses du quotidien. Quand je suis retournée chez le chirurgien, il a dit que l’opération n’avait pas fonctionné sur moi. Avant que je passe sur la table d’opération, mon copain m’avait prévenue: je devais faire attention, il était possible que je ne puisse plus jamais travailler après la chirurgie.C’est seulement en 2013 que j’ai réalisé que je ne pourrais plus jamais faire un travail à temps plein...
Le diagnostic de fibromyalgie
J’ai cherché et trouvé un nouvel emploi à temps partiel dans le cabinet d’un médecin généraliste de mon quartier, et je me suis donnée à fond dans ce nouveau job. Mais même si ce n’était pas un temps plein, j’ai rapidement été épuisée. Comme j’avais traversé beaucoup de choses en peu de temps, mon médecin m’a conseillé d’aller voir un psychologue. Entre-temps, j’avais toujours aussi mal à la mâchoire, à la tête et au dos. Et puis, en 2015, je me suis retrouvée avec une nouvelle kiné qui a découvert un blocage très sérieux au niveau de mon cou: elle voulait me traiter par acupression. Et dès qu’elle a appuyé sur un des points associés à la fibromyalgie, j’ai senti des larmes de douleur m’envahir les yeux. À cette époque-là, le diagnostic a été mentionné une première fois. Il a été confirmé l’année suivante, après une batterie de tests concluants. Au début, j’étais heureuse de pouvoir enfin mettre un nom sur tous les problèmes que j’avais dû endurer jusque-là. Mais l’euphorie a été de courte durée quand j’ai appris qu’il n’y avait aucune solution à cette maladie. J’ai simplement reçu des prescriptions pour du magnésium et le conseil de bouger autant que possible... Chose que, justement, j’étais incapable de faire!
Des amis de galère
Via Internet, j’ai découvert la ligue des patients atteints de fibromyalgie, et j’ai rapidement atterri dans une réunion de soutien entre patients. Douleurs articulaires, problèmes de dos, migraines, problèmes intestinaux: tout ce que j’avais vécu durant des années était passé en revue et rattaché à la fibromyalgie. Les pièces du puzzle s’assemblaient enfin... De plus, mon profil apparaissait comme typique des personnes atteintes: toujours prête pour les autres, incapable de laisser tomber le boulot, incapable de dire “non” et de ménager ses efforts...
Aujourd’hui, je suis à nouveau au chômage depuis un an. En février, j’ai commencé une thérapie comportementale à l’hôpital universitaire, pour apprendre à remplir ma journée de la meilleure manière possible en tenant compte de ma fibromyalgie. Cette thérapie doit durer un an, après quoi je devrais être en mesure de reprendre le travail. Mais je dois changer drastiquement ma façon de vivre, et ils ne savent pas quel type de travail correspondrait à ce nouveau cadre de vie. Dans l’idéal, je commencerais par du bénévolat, comme ça je pourrais tranquillement voir ce que je suis encore capable de faire.
Une relation difficile
Mon cercle d’amis s’est considérablement réduit ces dernières années: d’une vie sociale très active, je suis passée à aucun contact extérieur, ou presque. Heureusement, via la Ligue, j’ai rencontré des gens qui sont peu à peu devenus de vrais amis. Chaque rendez-vous extérieur doit être planifié longtemps à l’avance, et je suis toujours susceptible d’y renoncer à la dernière minute, selon comment je me sens ce jour-là, voire à ce moment-là.
Dans ma relation de couple non plus, ça n’est pas simple: mon état a plusieurs fois provoqué des tensions et des doutes chez mon compagnon. Mes problèmes de dos réduisent considérablement mon intimité et le traitement que je prends a fait énormément baisser ma libido.
Ma fibromyalgie a été une épreuve pour notre relation, mais maintenant, nous sommes ensemble depuis plus de dix ans et nous avons traversé énormément de choses. Heureusement, ni lui ni moi n’avons eu envie d’avoir un enfant: fonder une famille aurait été au-dessus de mes forces.
Une grande incompréhension
Il y a une très grande incompréhension de la part du monde extérieur vis-à-vis des patients atteints de fibromyalgie. J’en ai moi-même souvent souffert... Pour parcourir de longues distances, j’utilise un fauteuil roulant, parce qu’à cause de mes douleurs musculaires et de ma fatigue, je ne suis pas capable de marcher très longtemps. Maintenant, je vis au jour le jour: ça n’est pas dans ma nature, mais je n’ai pas le choix. Je fais de l’acupuncture, je prends des antalgiques, des antidépresseurs et des sédatifs, et je suis suivie par un psychiatre pour mes troubles du sommeil. Je consacre mon énergie à mon traitement en clinique de la douleur et à ma thérapie comportementale. J’essaie aussi de réaliser quelques tâches ménagères ou je fais des choses créatives, quand je n’ai pas les doigts trop crispés.
J’ai une aide à domicile, pour m’aider à préparer les repas, faire les lessives, le repassage, les courses et des promenades. J’ai aussi quelqu’un qui m’aide à me laver et à m’habiller.
Mon plus grand but en ce moment, c’est de créer et de développer un groupe de soutien pour les personnes atteintes de fibromyalgie. Comme ça, ma vie peut servir à d’autres personnes, et malgré mes limites, il me semble que ça en vaut encore la peine."
Texte: Jill De Bont
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