BD: L’incroyable destin de la princesse Charlotte
Qui sait que la fille de Léopold I a fait un mariage d’amour qui s’est vite transformé en désillusion? Qu’elle est devenue impératrice du Mexique? Qu’elle était rivale de Sissi? Qu’elle s’est battue pour tracer sa route dans un monde d’hommes? Fabien Nury et Matthieu Bonhomme nous le racontent dans une magnifique BD. Interview.
Fabien Nury (“Il était une fois en France”, “La Mort de Staline”) et Mathieu Bonhomme (“L’Homme qui tua Lucky Luke”, “L’âge de raison”) avaient envie de travailler ensemble depuis longtemps. Et étonnamment, c’est sur le destin d’une princesse que se sont retrouvés ces 2 passionnés de western. Mais une princesse pas comme les autres, au destin flamboyant, avec une incroyable ascension… et une inexorable chute. Nous avons interviewé Matthieu Bonhomme (au dessin) pour la sortie du 3e tome et avant-dernier tome de cette captivante série, qui mêle petite et grande histoire.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans “”Charlotte impératrice””?
D’abord, j’étais très amateur du travail de Fabien et ce projet cochait pas mal de cases, notamment l’époque, l’univers où se passait l’histoire, mais aussi l’idée de raconter l’histoire vraie d’une femme au 19e. Même s’il était pour moi très ambitieux, c’est devenu une évidence. Je n’avais jamais signé une histoire en partant pour 3 (c’est devenu 4) gros albums, et qui nécessitait énormément de documentation. C’était un projet ambitieux qui me donnait à la fois très envie… et un peu la frousse.
Vous cherchiez un projet avec une héroïne?
Pas exactement, mais j’avais déjà fait beaucoup d’histoires très masculines et j’ai été ravi que Fabien me propose l’histoire d’une femme. D’autant qu’il s’agit d’une femme dans un univers de mecs, à une époque où ce n’était pas facile, même en tant qu’impératrice.
Au début, Charlotte est une petite oie blanche et on la voit s’affirmer dans tous les domaines, notamment amoureux…
Oui, il y a l’Histoire politique et l’histoire intime. J’ai aimé sa force de caractère, ses prises de décisions et sa clairvoyance, puisqu’elle va parfois recadrer son mari, lui souffler les mots de son discours, même. Il y a des moments où elle domine et d’autres où elle doit rebondir. Dans cet album, elle doit sans cesse sortir la tête de l’eau. Et c’est elle, des deux, qui sait ce que veut dire diriger un pays. Même si elle est dans la même erreur politique que son mari, elle en prend mieux la responsabilité. Au départ, ils arrivent avec de grands principes, l’envie d’être généreux, de se faire aimer des Mexicains… Mais la répression suit très vite. C’est impossible d’être aimé quand on vient s’imposer par la force.
Vous connaissiez la princesse Charlotte?
Non et ça m’intéressait que ça soit une histoire peu connue – sans doute car c’est celle d’un échec, presque d’une honte pour les empires de l’époque. Ici, en Belgique, on parle encore de la princesse Charlotte. Elle reste une petite fille dans les esprits. Alors que son histoire tient du conte de fée… avant l’échec calamiteux et le retour au pays. Or, l’ascension et la chute, constituent un ressort narratif fabuleux. Et l’histoire de Charlotte parle aussi de l’impérialisme, du colonialisme et de ses conséquences. C’est encore très actuel, en miroir de notre actualité.
Ne confondez pas la princesse Charlotte et la reine Charlotte.
Ça a dû être jouissif de le dessiner Maximilien si ridicule, au début de l’album?
C’est un grand con magnifique, le plus improbable personnage historique. On le décrit comme quelqu’un d’important, qui a fait quelque chose. C’était le frère de l’empereur d’Autriche-Hongrie! Et pourtant c’était un nul, que n’avait rien compris. Tout ce qu’il dit dans la BD, il l’a vraiment dit. Chaque fois que Fabien a tenté de lui faire dire un truc inventé, il tombait sur un truc véridique encore plus nul. Il est lamentable à tous niveaux. Et ils forment un couple improbable, même s’ils sont liés sur certaines choses, comme leur amour du Mexique…
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Vous nous faites aussi découvrir une famille belge très attentionnée envers Charlotte.
En se projetant dans les personnages, on ne peut rien imaginer d’autre. Ils voient leur petite sœur aller au casse-pipe, prise dans un piège politique. C’est normal qu’ils s’en inquiètent. Ils voient combien son mari est un nul, ça leur fait peur et ils tentent de la faire rentrer.
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On découvre aussi Sissi sous un tout autre jour.
On connait Sissi de la série, mais aussi d’un Visconti où Romy Schneider a rejoué ce personnage, d’un tout autre point de vue: “Ludwig” (l’histoire de Ludwig II de Bavière) où elle est bien tordue: séductrice, manipulatrice. C’est plutôt ce personnage-là qui nous a inspiré. Et la rivalité entre Sissi et Charlotte existait: elles ne pouvaient pas se sentir. Il devait y avoir de la rivalité, Sissi voulait être la numéro 1. Le chien de Sissi a vraiment dévoré celui de Charlotte!
C’est gai de dessiner des princesses, la Cour?
C’est super! Évidemment, c’est un peu de boulot. Comme c’est une princesse, elle se change plusieurs fois par jour. À chaque scène, elle porte une nouvelle robe, une nouvelle coiffure. Je ne me pose pas la question à l’étape du story-board, mais quand je dessine la planche, je cherche une nouvelle robe, une nouvelle coiffure. J’ai énormément de documentation, de photos, sur mon ordinateur et je sais ce que j’ai déjà utilisé. Parfois j’ai rusé: changé un détail, une couleur… Et quand elle est au Mexique, je me suis amusé à la mettre derrière une mantille, à lui donner des airs un peu mexicains. Ça apporte un peu d’exotisme.
Comme tous les moustiques que vous avez dessinés!
Oui, j’aime ce que ça donne à l’ambiance, les moustiques près des lampes, les mouches posées sur eux, les chevaux qui en sont assaillis… Je voulais un Mexique un peu poisseux, chaud. La nuit, les moustiques, la journée, les mouches!
Qu’est-ce que vous avez préféré dessiner?
Je prends beaucoup de plaisir à dessiner les chevaux. J’aime dessiner les animaux en général et les choses que j’aime. J’ai donc plus de plaisir à dessiner les personnages pour lesquels j’ai de l’empathie. Je n’aime pas trop dessiner les grands bâtiments où il faut sortir la règle, travailler la perspective. J’aime les choses organiques: la jungle, les arbres, les ruines… Elle à cheval. Et puis faire jouer les personnages. Si je trouve une scène désagréable à dessiner, il suffit de la réécrire ou la remettre en scène pour que le plaisir revienne.
Et puis le plaisir ne vient pas que du dessin, j’ai parfois beaucoup de plaisir à aller au bout d’une case difficile, laborieuse – comme celle, dans le tome 2, où elle passe avec une jeune Mexicaine devant un vitrail, où lorsqu’il y a des motifs sur un tapis. Quand je fais une case comme celle-là, je sais que ça va nécessiter un certain temps et je le prends. Comme ça, c’est bien fait et quand elle est finie, je suis content.
Un dessin ne doit être ni trop beau, trop flamboyant, ni bourré d’erreur,s pour ne pas trop attirer l’attention. Il doit servir l’histoire, être discret
Matthieu Bonhomme
Les couleurs sont aussi superbes. Comment travaillez-vous avec la coloriste, Delphine Chedru?
Elle n’a pas fait le 1er tome de Charlotte, elle a repris à partir du tome 2. C’est déjà notre 7e album ensemble, elle sait donc comment je travaille. Elle sait que pour la lecture, il faut séparer les plans, que j’aime les couleurs présentes, pourquoi pas un peu pop, tout en respectant le papier, mat, sur lequel on travaille: il faut être assez vif et pas trop foncé. Quand on commence à travailler, on parle des séquences ensemble, j’ai de la documentation à lui fournir pour des uniformes, des ambiances.
Quand elle a fait les pages, on rediscute, mais c’est généralement très bien en place. Si je fais des retouches, c’est sur des dorures, des ombres, des choses qui tiennent presque du dessin, qui viennent le compléter mon dessin. Et puis elle est graphiste de formation et autrice de livres jeunesses, elle a donc une vraie connaissance du récit. Elle a des rapports aux couleurs culottés. Elle est très colorée dans son approche du dessin et sa façon de travailler est très adaptée à la BD.
Vous lisez encore beaucoup de BD?
Non, car j’en fais déjà toute la journée. J’ai envie de me nourrir d’autres choses. Je lis beaucoup de romans, je regarde des séries, des films. Et quand je lis un livre, je me demande tiens est-ce que je pourrais l’adapter en BD? Tout le temps. Ou qu’est-ce que je pourrais reprendre qui pourrait me servir pour un prochain scénario. Je regarde aussi comment les films sont mis en scène. Je scrute, j’essaie d’apprendre des trucs. Et quand je lis une BD, je fais pareil. À moins que ce soit très différent de ce que je pratique, ou qu’on arrive à faire renaître une poésie, une originalité, quelque chose qui vient me cueillir, qui vient me surprendre.
Mais bien sûr, je lis les BD des copains. Je conseillerais notamment Catherine Meurisse, qui partage mon atelier et qui est formidable, et Stéphane Oiry, qui a fait il y a 2-3 ans une super BD sur Lino Ventura et qui en prépare une autre pour l’année prochaine.
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