FLAIR BOOK CLUB: ““Dans la cage””, l’autobiographie socio-pornographique de l’acteur Océan
Comment expliquer que tant de femmes entretiennent des fantasmes de soumission, dans une société qui lutte contre les violences sexuelles? Nos fantasmes sont-ils politiques? Ce qu’on fait quand on se masturbe ne regarde-il simplement que nous? Dans ce roman, Océan nous relate sa propre histoire pour tenter d’apporter des réponses à toutes ces questions. Et c’est passionnant.
Il nous a fallu une journée pour dévorer “Dans la cage”, le nouveau livre de l’acteur, scénariste et réalisateur Océan, qui fait partie de la collection “Fauteuse de troubles”, édité aux éditions Julliard par Vanessa Springora . Le sujet qu’il traite – les fantasmes sexuels — est passionnant. Le format choisi pour le traiter — l’autobiographie — est bouleversant. Pour celleux qui ne le connaîtraient pas encore, Océan est outre ses nombreuses casquettes professionnelles, un fervent militant de la cause LGBTQI+ à travers ses films et spectacles. Assigné “fille” à la naissance et baptisé “Océane”, l’artiste a notamment annoncé publiquement sa transidentité en 2018, choisissant alors Océan comme prénom et nouveau de scène. Il a filmé cette transition dans une web-série documentaire, intitulée Océan (à visionner par ici).
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Dans cet essai à la première personne, Océan s’attaque à un sujet ô combien compliqué: celui des fantasmes. Une thématique cantonnée à la sphère privée et du chacun pour soi et qui ne traverse que très rarement les portes de la chambre à coucher. Océan s’y agrippe sans gant, là où la question est brûlante: à quel point peut-on accepter de se soumettre au lit, là où la domination masculine nous étouffe en dehors? Les fantasmes de soumission et de domination nous sont-ils propres ou sont-ils simplement le fruit de ce dont on nous inonde inconsciemment depuis l’enfance? Peut-on aller à l’encontre de ce que nous dicte notre libido, par principe moral? Et peut-on se considérer comme féministe et rêver qu’on nous attache? Et à l’auteur de rappeler que malheureusement: nos libidos sont loins d’être de grandes romantiques.
Il est compliqué, voire douloureux, de passer ses journées à dénoncer les violences patriarcales, à manifester, militer, réexpliquer sans fin l’importance du consentement, pour le soir, une fois dans sa chambre à coucher, avoir besoin d’imaginer des abus sexuels pour parvenir à jouir.
Autant de questions que l’on avait déjà vues énoncées dans d’autres ouvrages, mais abordées en surface. Ici, l’auteur plonge endéans et va au bout de son questionnement. S’il n’entend évidemment pas apporter LA vérité, il nous glisse quelques pistes qui font avancer celle du·de la lecteur·rice.
Le résumé?
“À l’heure de la lutte contre toutes les violences sexuelles, comment expliquer la survivance de fantasmes de domination dans notre imaginaire érotique? Quelle en est la fonction réelle? Dans ce récit autobiographique libérateur, l’artiste et militant Océan analyse ses propres contradictions à l’aune de son histoire intime.”
Pourquoi on a aimé ?
Outre le sujet audacieux, Océan se livre comme jamais dans ce roman autobiographique qui nécessite de mettre couilles et ovaires sur la table. Il choisi de ne pas faire de généralités – jamais – mais prend le pari que peut-être, d’autres que lui se reconnaîtront dans son vécu. Une histoire difficile, parsemée de traumas, notamment de violences psychologiques et sexuelles commises tant par le compagnon de la directrice du centre équestre qu’il fréquentait petit, ou avec, plus tard, par son professeur de philosophie. Océan dévoile son intimité sans fard, pour permettre aux lecteur·rices de mieux appréhender la leur, de mieux la questionner aussi et de se sentir moins seul·e·s face à des comportements, désirs et pensées parfois inavouables. Océan avoue pour beaucoup d’autres. Il dévoile ainsi, avec un courage qui force l’admiration, que ses fantasmes sexuels correspondent paradoxalement à ses pires traumas et émet l’hypothèse que les fantasmes revêtent une fonction réparatrice et permettent de reprendre le contrôle dans nos pensées là on on l’a un jour perdu dans la réalité.
Aujourd’hui, la mise en scène de fantasmes d’abus demeure une composante inévitable de ma vie sexuelle. Cela changera peut-être. Ne pas parvenir à me libérer de ces narratifs est épuisant et parfois déprimant. D’un côté, ils m’ont permis de reprendre le contrôle sur un trauma, de quitter la place de la victime pour devenir maître du jeu; de l’autre, ils m’emprisonnent dans une récit unique qui se manifeste sempertinellement. (…) “Je me libère en reprenant le pouvoir” alterne avec “Je reste piégé dans ce souvenir”.
Océan dévoile aussi durant de nombreuses pages sa découverte du porno, l’addiction dont il a été victime et ses efforts pour s’en détacher. Il livre aussi une analyse pointue des “tags” les plus populaires sur les plateformes de streaming pour adultes et met en lumière un paradoxe qui pose question: pourquoi les personnes qu’on méprise, maltraite et stigmatise le plus dans la vie réelle (lesbiennes, jeunes, musulmanes et trans) sont celles qu’on regarde (et s’imagine) baiser? Enfin, il nous livre sa surprenante découverte du BDSM, loin de la vision réductrice qu’il s’en faisait depuis toujours et nous explique la fonction cathartique, voire spirituelle qu’il y a trouvée. Et de terminer par ces mots:
Est-il imaginable d’avoir des fantasmes sans enjeu de domination? Cela serait-il même souhaitable? Les fantasmes sexuels, à l’instar de la tragédie antique et des films d’horreur d’aujourd’hui n’ont-ils pas une fonction cathartique qu’il faut maintenir pour supporter l’existence et canaliser notre violence intrinsèque?
“Dans la cage: une autobiographie socio-pornographique”, par Océan, ed. Fauteuse de trouble, chez Julliard. 195 pages.
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