FLAIR BOOK CLUB: notre interview des auteurs de la BD Blacksad
Pour la sortie du 6e album du plus canon des chats détectives, on a rencontré le duo d’auteurs hispaniques Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido. On a parlé de mains aux fesses, d’humanisation par l’art, des codes du polar et de l’oncle Picsou ! Chaud devant: Interview des auteurs de la BD Blacksad, sous le signe du félin.
Dans chaque album, vous sortez les griffes, vous dénoncez racisme, magouilles politiques… Et dans ce tome-ci, notamment le sexisme, avec deux épisodes de mains aux fesses. C’était important pour vous d’aborder ce sujet?
Juan Diaz Canales : « Oui, ça tombait bien, car on essaie toujours de mettre en valeur le rôle des personnages féminins. Pas seulement dans le cas des serveuses lapines, qui rappellent le monde de Play-Boy, mais aussi avec des personnages assez forts, comme Iris Allen, qui est presque le personnage principale de la trame parallèle à la trame policière, en lien avec le théâtre. »
Certains de vos personnages féminins sont loin d’être des jouets pour le chat, ils sont très affirmés, puissants. Quelle place donnez-vous aux femmes dans Blacksad?
Juan Diaz Canales : « La même place qu’aux hommes. C’est un reflet de l’idée qu’on a des femmes. Elles sont au même niveau que les hommes. Chez nous, le personnage principal, c’est Blacksad et c’est un homme, mais chaque fois qu’il y a un personnage féminin, qu’il soit récurrent ou non, on essaie de le mettre au même niveau. »
Juanjo Guarnido : « Il y a des personnages forts comme Miss Grey, Alma, Donna, la sœur de Blacksad… Et quand il y a des personnages féminins faibles, elles sont juste le contrepoids de personnages masculins qui sont faibles aussi. J’essaie de donner du caractère à tous les types humains, tant féminins que masculins. On m’a reproché de féminiser les personnages sexy et de faire les ménagères en animal, mais ce n’est pas du tout l’objectif. Je veux juste donner à chaque personnage son rôle. Mais pour rendre un personnage sexy, je suis dans une certaine mesure obligé de le féminiser un peu plus qu’un autre. Mais il y a aussi une féminité très forte chez des personnages pas du tout humanisés (comme chez Miss Grey, Iris ou la petite souris du premier tome…) »
Certains lecteurs ne font pas preuve d’assez de flair, aujourd’hui, prennent les choses très au premier degré?
Juanjo Guarnido : « Oui, c’est très manichéen. Les préjugés sont parfois dans l’autre sens, aujourd’hui. »
Juan Diaz Canales : « Et puis on peut dire la même chose avec les codes de séduction masculin. »
Juanjo Guarnido : « Oui, on n’avait pas prévu, au départ, que Blacksad serait considéré comme sexy, on l’imaginait selon les codes du détective classiques, mais les femmes y ont trouvé un personnage très séduisant. Ce qui nous a surpris au début ! On est tombés des nues. »
Juan Diaz Canales : « On leur disait : ‘Mais c’est un chat!’ (rires) »
La culture marque vos histoires de son empreinte. Elle est très importante pour vous?
Juan Diaz Canales : « Oui, on aime dresser le portrait des années 50 aussi à travers son aspect culturel. L’épisode du festival de théâtre dans le parc, dans ce 6e tome, est inspiré d’un fait réel, qui a fait polémique à l’époque. »
Juanjo Guarnido : « Faire participer les personnages à la culture, c’est aussi une façon de les humaniser. On a des références à la musique des années 50, au jazz, au cinéma, au théâtre. Immédiatement, ça les rapproche des humains, de l’histoire humaine et de l’époque. »
Notre œil de lynx peut aussi découvrir des références visuelles, comme des références à des tableaux. Vous en ajoutez spontanément?
Juanjo Guarnido : « Le plus souvent, c’est déjà dans le scénario. Vous pensez sans doute au tableau de Hopper, Nighthawks, qui apparaît dans le dernier tome. C’était une suggestion de Juan, qui se demandait si c’était l’occasion de lui rendre hommage ou si la référence était trop éculée. On l’a inclus avec un petit détournement : au lieu d’y inclure nos personnages, on a repris le tableau tel quel. Ça a été très bien reçu et c’est un plaisir. Mais s’il y a une référence visuelle importante, on en parle avec Juan. Tout se passe dans la communication, car on vient ensemble du dessin animé. On sait que faire avancer un projet est un travail d’équipe. »
On ne connaissait pas grand-chose du pedigree de Blacksad au départ, mais à chaque album, vous nous livrez un peu plus : vous aviez imaginez toute son histoire avant de vous lancer ou vous la découvrez comme nous au fur et à mesure?
Juan Diaz Canales : « On essaie de découvrir le personnage au fur et à mesure qu’on avance dans la série. On n’a jamais fait une bible du personnage, on ne connaît même pas la biographie de Blacksad. On s’amuse à développer dans chaque album. Ce n’est pas qu’on veut rester spécialement mystérieux, mais on a l’idée d’une série assez organique, qui se construit chaque fois qu’on met la patte sur l’histoire suivante. Finalement, le plus important pour nous, c’est de rester cohérents. C’est une joie pour moi de découvrir le personnage presque en même temps que le lecteur. »
Cet album nous a fait ronronner de plaisir : on y retrouve un personnage qu’on n’osait plus espérer. Vous saviez que vous alliez le faire revenir?
Juan Diaz Canales : « (rires) Oui, on avait envie que ce personnage revienne. On attendait le moment opportun. »
Blacksad est un chat noir et son nom cumule noirceur et tristesse, est-il condamné au malheur?
Juanjo Guarnido : « Il le dit dans le premier tome: ‘On est tous condamnés.’ C’est un personnage taciturne qui correspond aux codes du polar et aux stéréotypes du détective, mais j’espère qu’il aura du bonheur devant lui! »
Juan Diaz Canales : « Malgré tout, je pense qu’au fil des albums on a pu voir des moments de détente. Blacksad est capable de rire, surtout quand son ami Weekly est près de lui. Il n’est pas que sombre ! On voit aussi qu’il a une vie intérieure intellectuelle riche, qui lui donne sans doute du plaisir. Il est assez amateur d’histoire, notamment de l’histoire ancienne… »
Les femmes trouvent Blacksad très séduisant. Ça nous a beaucoup surpris au début !
J’ai lu que le choix de l’animal pour chaque personnage était déjà décidé dans le scénario…
Juan Diaz Canales : « Oui, car ce n’est jamais gratuit. La morphologie choisie dit apporter quelque chose. C’est toujours justifié. Mais si Juanjo a une autre idée d’animal, à l’occasion, on en parle. Il connaît beaucoup mieux le monde animal que moi. »
Juanjo Guarnido : « Je connais le monde animal depuis tout petit. J’avais une encyclopédie animale chez moi et mon émission préférée était un documentaire animalier. Je dessinais très souvent des animaux, voire des personnages animaliers, car j’étais inspiré par les BD, les dessins animés… Je conserve cet intérêt et me souviens de ce que j’ai appris à l’époque, en autodidacte. Bien sûr, on se rend compte qu’on ne connaît rien : il y a une telle pléthore d’animaux que c’est inépuisable ! On a peut-être fait le tour des animaux les plus connus dans Blacksad : les grands angulés, les grands carnivores, quelques reptiles et quelques oiseaux, mais il y a encore énormément de matière ! »
Et puis il y a la faune marine?
Juanjo Guarnido : « Ah oui, mais là on est embêtés, car on s’est mis des limites. Par exemple, représenter des insectes humanisés, ça serait bizarre. »
À moins que vous fassiez venir un jour des extraterrestres…
Juan Diaz Canales : « (rires)… Ah, on ne sait jamais»
Juanjo Guarnido : « Et dans le 2e tome, on a représenté des poissons dans un aquarium, en tant qu’animaux. On a fixé la limite un peu là. C’est un terrain un peu comme des sables mouvants, ce monde animalier à représenter. On tente d’éviter les cas limites et de se diriger vers des animaux qui génèreront des images qui ne sont pas écœurantes ou trop étranges. »
Juan vous a-t-il déjà pris à rebrousse poils, en vous faisant dessiner un animal particulièrement difficile ?
Juanjo Guarnido : « Certains oiseaux ne sont pas évidents. Mais heureusement, on a le précédent de Donald et Picsou. Ils sont représentés quasiment comme des oiseaux, même les corps ont des formes ovales, mais les mains sont des plumes un peu transformées en main et ça m’a aidé à représenter les mains des oiseaux. Les mains des animaux dans Blacksad, ça reste compliqué : ça doit être un hybride entre une patte et une main. Par exemple quand c’est un sabot, c’est complexe. Mais le bec d’oiseau, pour les expressions, ce n’est pas simple non plus. Du coup, on se permet, comme chez Donald et Picsou, de rendre le bec un peu plus flexible. Et puis on étudie la morphologie des becs chez les différentes espèces. Il y a beaucoup de recherche de ce côté-là. »
Y a-t-il des animaux que vous rêvez encore de mettre sous votre patte?
Juanjo Guarnido : « Oui… »
Juan Diaz Canales : « Dis-moi? » (rires)
Juanjo Guarnido : « Le caracas. Il est très beau. On a aussi eu des lynx dans le fond, mais pas avec un rôle important… Juan avait dessiné quelques histoires courtes de Blacksad, avant qu’on y travaille ensemble, et il y avait une histoire avec un caracas, oiseau qui est très marqué, très typé, qui ferait un super personnage! »
Blacksad, tome 6, Alors, tout tombe, 1e partie de Juan Díaz Canales et Juanjo Guarnido, éd. Dargaud.
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