
Rencontre avec Marc Levy: ““Les livres sont l’antidote au poison que sont les réseaux sociaux””
Le nouveau roman de Marc Levy se situe à une époque où les livres semblent plus dangereux que les armes. Si les mots font peur, peut-être est-ce parce qu’ils ont le pouvoir de nous redonner foi en l’humanité?
Nous avons rencontré l’auteur à succès.
Mitch, un libraire passionné, se fait arrêter parce qu’il vend des livres interdits. Vous ne situez ni l’époque, ni le lieu de votre histoire, mais une loi interdisant la diffusion d’une série d’ouvrages existe bel et bien aujourd’hui aux États-Unis. C’est ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre?
« Absolument. DeSantis, qui est le gouverneur de Floride et aussi la caricature du petit dictateur, a promulgué simultanément 2 lois. Il a refusé qu’on interdise de se promener en rue avec des armes de guerre, au nom de la liberté, et puis il a interdit la vente de certains livres pour la protection de l’enfance. Ça m’a fasciné. D’abord, parce que ça prouve à quel point la mauvaise foi, l’hypocrisie et le mensonge sont acceptés communément par les fidèles. Et, ensuite, parce que ce serait incroyable qu’un homme politique fasse l’aveu public qu’il a plus peur des mots que des balles. C’est un aveu d’ignorance et, en même temps, c’est un aveu formidable sur l’extraordinaire pouvoir des livres. Nous avons à disposition un outil de résistance. Avec ce roman, j’ai voulu raconter tout ce que le livre nous apporte. Ce n’est pas une tribune contre les dictatures. »
Le livre nous invite à rencontrer des étrangers qui ne le sont plus à la fin.
Comment définiriez-vous le pouvoir des livres?
« Les livres sont l’antidote au poison que sont les réseaux sociaux. Ils cherchent à nous déshumaniser, à nous faire sombrer dans les généralités. De nos jours, on entend les mêmes discours qu’au moment de la montée du nazisme et les partisans ont cette même ferveur parce que tout le monde pense à son propre intérêt plutôt qu’à celui de la société. Et ces événements sont favorisés par la désinformation, par des algorithmes qui sont construits pour que nous nous détestions les uns les autres. Ce qu’on consomme sur les réseaux sociaux, et qui dans 95 % des cas est faux, crée du stress, de la colère, nous empêche de nuancer, de créer de la perspective. Alors qu’à l’inverse, le livre nous donne envie de comprendre, de partager, d’apprendre. Le livre nous invite à rencontrer des étrangers qui ne le sont plus à la fin. Le livre nous amène à entendre d’autres points de vue que le nôtre. C’est une formidable potion faite de tolérance et de bien-être. Si le livre fait peur aux dictateurs, c’est parce qu’il nous rend plus intelligents et nettement moins enclins à céder au populisme facile. »
Il y a une différence entre faire une pub à la télé et mettre une caméra dans son salon.
Vous évoquez le poison que sont les réseaux sociaux, dont vous n’êtes pourtant pas tout à fait absent. Pourquoi?
« Parce qu’il y a une différence entre faire une pub à la télé et mettre une caméra dans son salon. Si Loft Story nous a tant fascinés, c’est parce que l’émission cultivait le voyeurisme et cette idée de pouvoir accéder à la célébrité sans raison. Il y a des gens qui ont étudié la médecine pendant 8 ans, des boulangers qui se lèvent tous les jours à 5h du matin, mais une jeune femme montre un bout d’épaule, dit 3 grossièretés à la télé et se retrouve adulée de tous. Ça fout les jetons. Les réseaux sociaux, c’est la chambre d’amplification de ce phénomène. C’est prouver que ma vie est plus belle que la tienne. Les réseaux sociaux appartiennent aujourd’hui à des milliardaires qui ont des positions politiques extrêmement formées. Elon Musk est un suprémaciste blanc qui a une vision fasciste du monde, qui a énormément d’argent et un outil de propagande terriblement dangereux pour essayer de gagner la guerre qu’il est en train de mener. »
À un concert, dans une salle de cinéma, vous êtes entouré par des dizaines, des centaines, des milliers d’autres personnes. Mais, personne ne supporte qu’on se penche sur son épaule quand il est en train de lire. Je pense qu’un livre peut toucher au plus profond de l’intime. »
Votre héros se demande si l’on devient ce qu’on lit. Qu’avez-vous à lui répondre?
« Je ne crois pas qu’on devient ce qu’on lit mais je pense que ce qu’on lit nous aide à nous réaliser, a un impact sur notre personnalité, sur nos émotions. Je pense qu’il y a tout de même une forme de confidence dans la lecture. À un concert, dans une salle de cinéma, vous êtes entouré par des dizaines, des centaines, des milliers d’autres personnes. Mais, personne ne supporte qu’on se penche sur son épaule quand il est en train de lire. Je pense qu’un livre peut toucher au plus profond de l’intime. »
La librairie des livres interdits, de Marc Levy, éd. Robert Laffont.

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