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Pascal Ito © Pascal Ito

Rencontre avec Valérie Perrin: ““Un chagrin d’amour, c’est comme un deuil””

Depuis Changer l’eau des fleurs, son plus grand succès, Valérie Perrin n’a de cesse de nous bouleverser.

Dans Tata, son dernier livre, elle raconte l’extraordinaire qui se cache derrière ce qui semble en apparence ordinaire.

Comment est née cette histoire?

“Le point de départ, c’était ce mot: ‘Tata’. Mon héroïne est contactée parce que sa tante est décédée et on lui demande de venir identifier le corps. Or, sa tante est morte et enterrée depuis plusieurs années déjà. Après, il a fallu construire, se poser les bonnes questions. Pourquoi, dans la vie, peut-on vouloir faire croire qu’on est mort alors qu’on ne l’est pas? Qu’est-ce qu’une cordonnière qui vit à Gueugnon, un petit village perdu de France, peut bien avoir à cacher? Colette n’est pas mariée, elle n’a pas d’enfants. Il ne lui reste qu’une nièce qui s’est expatriée à Los Angeles.”

Pour faire du cinéma! Agnès est réalisatrice. Vous faites d’ailleurs beaucoup de parallèles entre les films et les romans. Ils vous ont été inspirés par votre époux, Claude Lelouch?

“C’était très important pour moi de parler du métier de cinéaste que je connais puisque j’ai fréquenté les plateaux de tournage à l’époque où j’étais photographe. J’ai beaucoup travaillé avec Claude. J’ai scénarisé plusieurs de ses films. Je l’ai observé, parce que je suis une observatrice née, et je me suis servie de sa fougue, de sa passion pour créer le personnage d’Agnès.”

Quand elle apprend le décès de sa tante, Agnès est en plein chagrin d’amour. Son mari comédien l’a quitté pour une actrice plus jeune qu’elle. Cliché, non?!

“Très. Mais, ce sont des choses qui arrivent. Agnès s’en veut parce que c’est elle qui lui a mis cette fille dans les bras en les faisant tomber amoureux dans son dernier film. Jusqu’ici, Agnès écrivait tous ses rôles pour son mari. D’habitude, c’est la femme la muse et l’homme le metteur en scène. Ici, c’est le monde à l’envers. Sans lui, elle ne se sent pas la force de retourner sur un plateau de tournage. Puis, elle va retourner à Gueugnon, revoir des amis d’enfance et, quelque part, grâce à la mort de cette tante, elle va se reconnecter à la vie.”

Agnès se demande si l’on se remet un jour d’un chagrin d’amour et si, après tout, il faut absolument s’en remettre. Vous avez une réponse à lui offrir?

“Un chagrin d’amour, c’est exactement comme un deuil. On ne s’en remet jamais mais on continue à vivre, autrement. On vit avec nos cicatrices.”

Votre héroïne se questionne sur la qualité de ses films. Elle a l’impression de tourner en rond. Vous avez l’impression d’écrire toujours le même livre?

“Non. Mais, le jour où j’aurai cette impression, j’arrêterai. Je n’écris pas des livres pour écrire des livres mais pour explorer de nouvelles choses. Je pense, comme me l’a si bien dit ma fille, que mes romans ont le même ADN mais qu’ils ne se répètent pas. J’ai commencé à écrire très tard, j’avais 48 ans. J’avais donc déjà beaucoup de choses en moi. Quand j’ai publié Trois, mon précédent roman, je portais déjà Tata en moi. Et, à l’heure où je vous parle, j’ai déjà le suivant en tête. Donc, je suis sûre qu’il va exister. Mais, je n’exclus pas le fait d’un jour être fatiguée, d’avoir envie de prendre ma retraite. J’ai eu une autre vie avant, j’en aurai peut-être une autre après.”

Vous pouvez déjà nous en dire plus sur ce prochain roman?

“C’est trop tôt. Imaginez si ça ne fonctionne pas, si ça ne me procure pas de plaisir? Tata, j’ai failli ne pas le rendre parce que je n’aimais pas la fin et tout reposait sur cette fin. J’ai été sincère avec mes éditeurs. Je leur ai dit que si je n’arrivais pas à trouver une autre fin, qui me bouleverse, je ne rendrais pas le manuscrit. J’y suis finalement arrivée et c’était l’un des plus beaux jours de ma vie. J’étais chez moi, en Bourgogne. Je suis sortie promener mon chien. J’ai appelé mon mari et mon éditrice pour leur dire que j’avais fini. Donc, tout ce que je peux vous dire sur le prochain, c’est que l’histoire se déroulera du côté de Marseille. J’ai envie de rendre hommage à Marcel Pagnol, que j’aime à la folie. Et, j’ajouterais 2 mots: cimetière et secret.”

Quand on devient une autrice à succès comme vous l’êtes, il faut publier plus, écrire plus vite?

“Mes éditeurs savent qu’il y a toujours au moins 3 ans d’écart entre mes romans. On ne m’a jamais mis la pression. Je suis libre de dire que je ne suis pas prête, que je n’ai pas fini. Je me sens soutenue. Quand je débute un roman, je repars à zéro, je remets ma vie en jeu. Je ne pense pas aux chiffres, au marketing. Il y a d’autres personnes qui se chargent de ça. Mon rapport intime, il est au lecteur. Il n’y a rien d’autre qui m’intéresse. Ce qui compte, c’est d’épater mes lecteurs… et mon mari.”

Le seul avantage de vieillir, c’est de se sentir plus libre.

Vous dites que la véritable liberté, c’est de ne plus rien attendre de personne. Vous sentez-vous libre?

“Ah oui! C’est le seul avantage de vieillir. On n’a plus envie de s’embêter avec les choses qu’on n’a pas envie de faire. Un jour, un ami m’a dit que la vie, c’était comme une règle. Avec un début et une fin. Il ne me reste plus beaucoup de centimètres à vivre. Alors, j’ai envie de profiter du beau, de la nature, des gens que j’aime, voir les saisons changer. C’est ça qui est fondamental.”

On a tous des secrets de famille.

Le rapport à la parentalité est un thème récurrent dans vos romans. Pourquoi?

“C’est vrai. Dans Les oubliés du dimanche, Justine a été élevée par ses grands-parents. Dans Changer l’eau des fleurs, Violette est née sous X. Elle a poussé toute seule comme une mauvaise herbe. Dans Trois, Nina a été abandonnée bébé; le père d’Adrien était toujours absent; Etienne a eu une mère aimante et un père qui ne l’a jamais regardé. Là, dans Tata, il y a une mère mais qui n’arrive pas à aimer ses 2 aînés alors qu’elle est folle de sa petite dernière. Moi, j’ai grandi dans une famille aimante. Mes parents m’ont eue très jeunes. J’ai un frère que j’adore. Et pourtant, c’est vrai que depuis que j’écris, l’obsession de la parentalité est très présente. Je parle beaucoup de disparitions, d’orphelins, d’enfants sans repères qui doivent se débrouiller tout seuls. Peut-être est-ce dû à mes ancêtres? Mon grand-père paternel a été déporté à Buchenwald. Il est revenu mais très amaigri, très malade. Il est mort très jeune. Ma grand-mère maternelle, que j’adorais, a eu 9 enfants avec un homme qu’elle aimait mais qui était assez violent. Mes tantes en avaient peur, elles se cachaient. On est tous constitués de ces histoires-là, on a tous des secrets de famille, on découvre tous des trucs de fou.”

L’amour revient souvent aussi.

“Qu’est-ce qu’il y a de plus romanesque que l’amour? Rien. C’est une évidence pour moi. Après, ce sont parfois des histoires d’amour compliquées, interdites, taboues. Il y a l’amour qu’on porte à un enfant, l’amour charnel, rêvé.”

Agnès pense que le bonheur, on le choisit. Vous aussi?

“Bien sûr. Même si je ne pense pas que tout ce qui nous arrive est forcément pour notre bien. La maladie, la perte d’un enfant,… Il y a quand même des choses dramatiques qui sont insupportables. On bombarde des enfants tous les jours, la condition des femmes dans certains pays est inadmissible. Donc, dans ces contextes-là, non, on ne peut pas choisir d’être heureux. Mais, dans des pays comme les nôtres, où nous sommes des femmes libres de travailler, de divorcer si on n’est plus d’accord avec son mari,… Oui, là, je pense qu’on peut décider d’être heureux ou non. De voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Le secret, je crois, c’est de se tourner vers les autres et ne pas se focaliser sur ses propres petits malheurs.”

Tata, de Valérie Perrin, éd. Albin Michel.

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