Patience, espoir, courage... Devenir parent lorsqu’on est en couple avec une personne du même sexe que soi ne constitue pas une tâche facile. Deux couples homosexuels ont accepté de nous livrer leur parcours, épinglant les difficultés rencontrées et partageant le bonheur accompli d’accueillir un enfant après de longues années d’attente.
Élisabeth et Élodie se sont rencontrées lors de leurs études pour devenir infirmières. “Elle avait 18 ans et moi 19, commence Élisabeth. Elle comme moi, on n’avait jamais parlé de notre attirance pour les filles à personne. On a pu faire notre ‘coming out’ grâce à notre rencontre. Notre famille l’a très bien pris, je dois dire qu’on n’a jamais eu de problème à se faire accepter, que ce soit dans le contexte de la famille, des amis ou du travail. Ça aide énormément à s’épanouir en tant que couple et à se projeter; ça fait maintenant 7 ans que ça dure entre Élodie et moi!”. David et Jean ont tous les deux 34 ans et sont mariés depuis 2017. “Ça fait maintenant 8 ans qu’on est ensemble et l’envie de fonder une famille s’est présentée avant notre mariage”, explique David. “C’est pourquoi on a commencé à réfléchir à comment s’y prendre”. De son côté, Élisabeth explique que l’envie est d’abord venue d’elle. “Une fois les études terminées, on a acheté une maison, bien trop grande pour rester toutes les 2. L’envie de faire un bébé s’est alors emparée de moi. J’en ai parlé à Élo et elle était partante.”
Trouver le processus qui convient
Adoption, GPA, PMA... Lorsqu’on est un couple homosexuel, la première question qui se pose lorsqu’on souhaite devenir parent, c’est de savoir vers quel processus se tourner. “Mon gynécologue m’a dirigée vers un centre PMA de ma région, explique Élisabeth. Dans notre tête, on savait déjà que nous voulions un donneur totalement anonyme, donc on ne s’est pas renseignées sur les autres options.” De leur côté, David et Jean expliquent que le choix a davantage été compliqué. Dans le cas des couples d’hommes, la PMA n’existe évidemment pas. “On savait que la GPA et l’adoption étaient des options. On savait également qu’on pouvait accueillir un ‘enfant du juge’, soit ces enfants qui attendent d’être placés dans une famille d’accueil par un juge, mais qui peuvent être repris à tout moment par leurs parents biologiques. “Nous avons vite fini par exclure cette option: c’était trop dur pour nous de se dire qu’un jour, on pourrait nous retirer notre enfant. On désirait profondément notre enfant à nous, celui qu’on allait aimer et qu’aucune personne tierce n’allait nous reprendre”, explique David. C’est pourquoi ce dernier et son mari ont envisagé l’adoption.
Nous avons effectué énormément de recherches pour trouver le processus qui nous conviendrait. Nous avons été en contact avec des associations en Belgique et nous avons fini par comprendre que l’adoption engendre en réalité un processus très long lorsqu’on est un couple homosexuel”,
explique David. “Entre 4 et 5 ans, il demande de nombreux rendez-vous et entretiens avec des psychologues, des assistants sociaux... Tout ça pour qu’on ne soit même pas sûrs qu’au bout de toutes ces années, nous puissions devenir parents. En effet, la décision repose sur un juge qui se base sur une série de rapports, parfois rédigés par des personnes que l’on a rencontrées à peine une heure au total. Nous avons pris peur, d’autant plus qu’un couple homosexuel d’amis a vécu cette attente pour finalement recevoir un avis défavorable. Un assistant social a relevé des instabilités sociales et le juge a décidé de ne pas leur octroyer l’adoption. Pourtant, ce couple est formidable. Nos deux amis n’ont reçu qu’un simple courrier par la poste leur faisant part de la décision du juge. Ça a été très difficile car ils ont essayé de comprendre, mais ils n’ont jamais eu de réponses à leurs questionnements. C’est pourquoi de notre côté, nous avons fini par éliminer l’option de l’adoption. Il nous restait alors un autre processus: la GPA, soit la Gestation Pour Autrui.”
David et Jean ont entendu parler de la GPA par hasard. “En consultant des avocats, on a été renvoyés vers des médecins de la fertilité et nous avons pris connaissance de ce qu’est la GPA. En revanche, on a vite été refroidis par le cadre légal belge à son propos. En Belgique, il existe un flou juridique quant à la reconnaissance des parents de l’enfant: en effet, la loi actuelle permet encore que la mère porteuse revendique des droits sur l’enfant tout au long de sa vie. Cela signifiait donc que nous ne serions jamais les deux seuls parents officiels de notre enfant.
Et, une fois de plus, nous ne voulions pas de cette situation. Nous voulions être les deux seuls parents de notre enfant, mais le cadre légal belge ne l’autorisait pas de cette manière.”
Enclencher les démarches
Élisabeth se remémore les premiers pas dans ces longues démarches pour devenir maman. “Élodie comme moi, nous faisons très jeunes, bien qu’on avait 23 et 24 ans lors du tout premier rendez-vous en PMA. On avait peur de ne pas être prises au sérieux, explique-t-elle. Nous avons été à notre premier rendez-vous en octobre 2017. Notre peur était justifiée parce que, bien sûr, une des premières choses que nous ai dit la gynécologue, c’est qu’elle était étonnée de nous voir dans son bureau. Pourquoi? Parce qu’en effet, nous étions jeunes et que la “moyenne d’âge ” tournait plutôt aux alentours des 30 ans. Mais on ne s’est pas laissées refroidir: on savait que notre situation était stable et notre amour prêt à affronter toutes les épreuves du monde.”
Après leur premier rendez-vous chez la gynécologue, Élisabeth et Élodie sont ressorties avec l’obligation d’aller chez une psychologue. “3 rendez vous à 3 semaines d’intervalle, et c’est elle qui statue de notre ‘stabilité’ lors d’une réunion d’un comité d’éthique pour parler de notre projet”, explique Élisabeth. “Au début, on s’imaginait vraiment être comme à un examen, à devoir défendre notre cause et à éviter des questions pièges... Mais en fait, ces rendez-vous étaient vraiment hyper intéressants!
Oui, nous avons parlé de notre situation, de notre couple, de notre famille, de notre réseau d’amis... Mais cette psychologue nous a surtout énormément renseignées sur l’historique de la PMA pour les couples de femmes, la législation, et elle nous a préparées aux futures questions de notre enfant”,
explique-t-elle. “Finalement ces rendez vous sont vraiment nécessaires! Il ne faut pas en avoir peur ou prendre ça comme de l’injustice.” Contrairement aux démarches pour les couples d’hommes homosexuels, Élisabeth explique que, bien que ce soit elle qui porte l’enfant, dès l’instant où sa compagne, Élodie, signe l’accord pour l’insémination, elle est déjà reconnue comme la maman légalement. “Il y a quelques années, la ‘deuxième maman’ devait faire une procédure d’adoption pour être légalement la ‘co-parente’.”
Il s’agit d’une chance dont les couples d’hommes ne bénéficient effectivement pas en Belgique. Et c’est pourquoi David et Jean se sont tournés vers les États-Unis pour devenir papas. “Les États-Unis sont maître en la matière. Ils ont des hôpitaux de fertilité spécialisés là-dedans avec uniquement des fécondations in vitro et des mères porteuses, explique David. Au niveau législatif, nous étions d’accord avec Jean: nous voulions une GPA éthique, c’est-à-dire que nous soyons reconnus comme les deux seuls parents de notre enfant. Les États-Unis le permettent, grâce à un jugement et absurdité de la chose: ce jugement est reconnu en Belgique.
Dans la pratique, seul l’un de nous deux est considéré comme le père biologique de notre enfant, mais l’autre peut également l’être grâce à une démarche d’adoption intra-familiale. Il s’agit d’un processus comprenant une série de rendez-vous avec des psychologues et assistants sociaux qui dure entre un an et demi et deux ans, mais il en vaut la peine car en bout de course, on sait que le ‘deuxième’ père est reconnu.”
Dans ce cadre, David et Jean ont creusé l’option de la GPA, notamment grâce à l’association internationale à but non lucratif “Men Having Babies” (MHB), qui se donne pour mission de fournir aux couples homosexuels un soutien éducatif et financier pour devenir parents. De nombreuses conférences sont organisées aux quatre coins du monde pour renseigner sur le processus de la GPA. “Des candidats parents y sont mis en contact avec des agences. Vulgairement parlant, c’est comme le Salon de l’Auto des mères porteuses”, explique David, qui était d’abord choqué de découvrir comment MHB pouvait fonctionner. “Il faut savoir que la donneuse et la mère porteuse doivent être des personnes différentes. Tout est un business aux Etats-Unis, et rien n’est impossible tant que tu peux payer. On a fini par comprendre les différentes possibilités s’offrant à nous et on s’est rendus à l’une des conférences organisées une fois par an en Belgique. C’est là qu’on a rencontré des agences qui nous ont mis en contact avec des mères porteuses. On a aussi eu l’opportunité de rencontrer des représentants d’un hôpital de fertilité.
C’est ainsi qu’on a fini par trouver notre mère porteuse: Léa, 34 ans, comme nous, qui habite en Californie. On a eu un très bon contact et on s’est sentis en pleine confiance. Tout est basé sur des contrats, mais in fine, tu ne peux que faire confiance à la personne si tu veux aller plus loin”,
insiste David, qui explique que lui et son mari ont également eu un très bon contact avec l’hôpital de fertilité qu’ils avaient choisi, situé dans l’Oregon. “L’hôpital nous a mis en contact avec notre donneuse et par chance, celle-ci n’a pas souhaité rester anonyme, alors que c’est le cas dans la majorité des cas. Il s’agissait pour nous d’une aubaine car nous souhaitons être le plus transparent possible avec notre enfant. Nous ne voulons rien lui cacher et si un jour, il souhaite rencontrer la donneuse, celle-ci ne s’y oppose pas et nous pourrons aisément la retrouver via l’hôpital de fertilité.”
Un heureux évènement tant attendu
David et Jean ont enchaîné les allers et retours entre la Belgique et les États-Unis. “Nous y avons été une première fois pour découvrir l’hôpital et faire un don de sperme, qui après le don d’ovocyte a permis la création d’embryon. Notre mère porteuse, Léa, a alors commencé le traitement. Et excellente nouvelle pour nous: l’embryon transféré a pris et nous savions que la machine était définitivement lancée. Notre enfant était en route!”
De leur côté, Élisabeth et Élodie ont également ressenti un sentiment de soulagement lorsque la psychologue a donné son accord pour la PMA et le comité d’éthique, l’approbation pour leur dossier. “Durant l’été 2018, j’ai commencé le bilan gynécologique: hystérosalpingographie (un examen radiographique permettant d’observer l’utérus et les trompes de Fallope ndlr), prises de sang et écho... Et en octobre 2018, c’était parti pour les essais réels! Les spécialistes essayent vraiment de respecter le cycle naturel de la future maman; cela signifiait de facto échographie et prise de sang tous les 2 ou 3 jours pour connaitre le jour J.
Pour ma part, j’ai du prendre des comprimés pour parvenir à générer une ovulation. Lorsque l’endomètre et les follicules sont prêts, on effectue une piqure dans le ventre pour provoquer l’ovulation et 36 heures plus tard, nous avons rendez-vous à l’hôpital pour l’insémination”,
explique Élisabeth. “C’est pratiquement indolore et il faut vivre sa vie tout-à-fait normalement en attendant le résultat qui survient deux semaines plus tard. Nous avons eu la chance de n’avoir besoin que de deux essais pour y arriver: le 13 février 2019, nous apprenions que notre bébé s’était installé bien au chaud pour 9 mois.”
David et Jean sont devenus parents d’un petit garçon, qui a aujourd’hui 18 mois, pendant qu’Élisabeth et Élodie ont accueilli une petite fille, aujourd’hui âgée de 17 mois.
Un parcours du combattant
Autant Élisabeth et Élodie que David et Jean ont fait face à des obstacles pour devenir parents. “Il faut savoir que nous avons pris vraiment le temps pour les démarches, car on était en train de s’installer dans notre maison donc nous n’étions pas pressées, explique Élisabeth. Mais il faut compter 8 mois plus ou moins entre le premier rendez-vous et les essais concrets. Les démarches sont quand même rapides quand on sait qu’un couple hétérosexuel prend en moyenne un an pour attendre un bébé naturellement!”. David et Jean, quant à eux, comptent deux ans et demi entre le jour où ils ont lancé leurs recherches et le jour où ils sont devenus papas. “Le parcours est long. Tu fais deux pas en avant, et puis deux pas en arrière, explique David. Le chemin est rempli d’ascenseurs émotionnels et il y a toujours de nouveaux obstacles. Ça a été deux ans et demi où toutes les semaines, on avait des call, des échanges de mails avec des avocats, l’agence, l’hôpital de fertilité… Ça nous occupait toutes les semaines. C’était pas toujours évident, ça a généré parfois des désaccords, de la tristesse, des déceptions au sein de notre couple… Mais aussi des joies: le jour où on a eu la première échographie de notre fils, c’était magique. Ce sont des moments merveilleux.”
À leur grande chance, Élisabeth et Élodie n’ont pas été confrontées à de problèmes techniques. “Ça a vraiment aidé Elodie à se sentir réellement maman, explique-t-elle. Lors de l’accouchement, les sages femmes ont été super, et Élo a été entièrement considérée à sa juste place: elle a eu droit au premier peau à peau et on lui a proposé de couper le cordon, comme un papa quoi! Notre fille a aujourd’hui 17 mois et je dois dire que la société semble assez ouverte au sujet de l’homoparentalité. Nous n’avons jamais fait face à de remarques désobligeantes. Par exemple, la crèche a tout naturellement adopté la situation: les puéricultrices parlent à Juliette de “maman Éli” et “maman Élo”.
Nous savons tout à fait que Juliette aura des questions, et honnêtement nous n’avons pas peur de lui parler de façon transparente. Elle sait que ses copains ont un papa; c’est d’ailleurs un de ses premiers mots. Nous lui expliquons simplement pour le moment qu’elle n’a pas de papa, mais bien deux mamans”,
explique Élisabeth. “Les détails pratiques viendront plus tard. Il existe pas mal de livres pour enfants pour expliquer l’homoparentalité, et il y en a déjà un dans sa bibliothèque.”
Lire aussi: “Pourquoi je n’ai pas de papa”?, le livre qui explique le don de sperme aux enfants
Ne jamais baisser les bras
Un caractère non-négligeable de ces démarches, souligné tant par Élisabeth et Élodie que David et Jean, c’est l’aspect financier. “Ça coute très cher, explique David. On a eu la chance de pouvoir financer ces démarches. Et si on en a les moyens: il faut se battre et le faire.” De leur côté, Élisabeth et Élodie expliquent que le processus est également onéreux en tant que couple de femmes. “Il y a les rendez-vous en PMA qui coûtent comme un rendez-vous gynéco classique et qui sont remboursés en grosse partie par la mutuelle. Ensuite, la psychologue, c’est 60 euros le rendez-vous et c’est non-remboursé. Enfin, les ‘paillettes’ de sperme coûtent 270 euros pour chaque essai et ça non plus, ce n’est pas remboursé.”
“Si je dois donner un conseil aux couples de femmes qui hésitent: foncez!”, conseille Élisabeth. “On a la chance d’être dans une génération qui accepte, et qui est plus tolérante qu’au temps de nos grands-parents. Votre amour est légitime, et l’envie de le faire fructifier l’est tout autant!
Nous avons de la chance de vivre en Belgique où la PMA pour toutes est d’application. Il y a encore d’ énormes progrès à faire sur le sujet dans d’autres pays, comme la France par exemple, ou même sur le sol belge où il faudrait étendre ce droit aux couples d’hommes qui, eux, font face un réel parcours du combattant pour devenir parents.”
David et Jean sont la preuve qu’en effet, lorsqu’on est un couple d’hommes, les démarches sont longues et demandent du temps. “Le conseil, outre avoir une énorme patience, c’est de prendre le temps de se renseigner, de lire, de consulter des gens, de rencontrer des personnes, conseille David. On a rencontré des dizaines de couples homosexuels qui ont fait ça avant nous, on a pris des infos et beaucoup d’entre eux nous ont aidés. Une fois le processus démarré, il faut être patient, persévérer, y croire et finalement voir que c’est possible. Il faut se battre, et ne jamais baisser les bras.”
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