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© Timothée Chalamet stars as Elio in <em>Call Me By Your Name</em>

Les hommes qui pleurent sont-ils les nouveaux bad boys?

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste


Si les slogans féministes sortent souvent de la bouche des femmes, on oublie parfois que le combat est une aubaine pour les hommes, qui se voient libérés d’une virilité imposée. Et si le nouveau sex-symbol était avant tout un homme sensible?



Boy’s don’t cry. Si l’on connaît tous la chanson, les hommes la connaissent particulièrement par cœur. Ce même cœur auquel ils n’ont pas souvent droit. Car depuis toujours, l’injonction à la virilité impose aux hommes de retenir leurs larmes, serrer les dents et le poing avec. Si vous avez déjà vu votre papa pleurer, il y a de fortes chances pour que ce souvenir se soit ancré dans votre mémoire tel un vieux trauma, preuve que cette situation n’était pas « normale » à vos yeux d’enfant. Un mec « un vrai », ça ne montre pas ses sentiments, ça ne pleure pas « comme une fillette ». « Et si tu tombes, tu te relèves » dira le papa à son fils dès son plus jeune âge, tout en menaçant de le déshériter s’il le surprend à troquer ses Playmobil pour des poupées Barbie. Histoire presque vraie pour François, 29 ans:

J’ai grandi dans une famille très « matriarcale » avec deux sœurs, une mère et une grand-mère super présentes et dans un milieu dit « féminin ». Une grande partie de ma famille est dans la danse. J’avais donc peu de repères « masculins » dans le sens cliché du terme. J’avais déjà participé à quelques spectacles et j’adorais ça mais mon père, même si c’était sur le ton de l’humour, avait fait comprendre à ma mère qu’il était hors de question que son fils fasse de la danse. À la place, on m’a inscrit au Karaté et pour finir, j’ai fait la régie son des spectacles de danse. Inconsciemment le monde te montre où est ‘ta place’.


 

Dans la cour de récré, François, qui a lui l’attirail complet du fragile (dixit lui-même) découvre aussi rapidement les injonctions à la masculinité:

“J’étais plutôt chétif et pas sportif, j’avais de l’asthme et des allergies donc je me promenais avec mes puffs de ventolin, j’aimais la lecture et la poésie, j’étais ultra timide et rêveur. Clairement, à mon époque, si tu étais ce genre d’enfant, tu devenais un marginal, tes potes se foutaient de toi, et les filles ne te calculaient pas. Le mec le plus cool de primaire, c’était une caricature pour moi. Il paraissait plus vieux (il avait déjà un peu de barbe fin de l’école primaire), il était musclé, bon au foot, rebelle en classe et martyrisait les mecs comme moi. J’ai jamais compris comment autant de filles pouvaient être amoureuses de lui, surtout que le gars était pas tendre avec elles…” Sébastien, 27 ans, se souvient aussi amèrement de ses années d’école: “Avec mes copains, c’était à qui raconte la blague la plus salace, qui ose le plus et qui est le plus macho.” Pour Loïc, 29 ans, la pression se faisait ressentir notamment dans le sport “environnement ultra compétitif” nous confie-t-il, mais aussi à la maison:

On me faisait comprendre qu’il ne fallait pas être faible, pas pleurer, qu’il fallait être musclé, qu’il y avait une certaine manière de s’habiller. C’était subtil. On utilisait des expressions comme ‘Ne fais pas ta femmelette’ qui renvoie une image inférieure liée au fait d’être une femme. Du coup, quand tu es jeune, tu fais le lien entre les deux”.


Même son de cloche du côté de Syrian, 17 ans, qui a bien vite ressenti ces clichés machistes ambulants, tout en s’empêchant d’y adhérer: “Mes potes se retenaient de pleurer quand ils tombaient. C’était flagrant. Ils étaient plus musclés que moi. Ils jouaient les durs avec les filles, se montraient plus autoritaires et agressifs, sans raison apparente. J’ai rapidement ressenti que je n’étais pas comme eux et décidé d’assumer qui j’étais.” Selon Marilyn Merlo, psychologue, ces injonctions sont fortement véhiculées par le cinéma: “Dans la plupart des films, les hommes travaillent, ont une certaine puissance sexuelle et incarnent des personnages toujours dans l’action, très peu dans l’intuition et le cœur. Ces injonctions ne correspondent pas du tout à la réalité des hommes”. Ces représentations stéréotypées feraient souffrir les hommes, qui ne se sentent pas compris dans leur besoin d’exprimer une forme de sensibilité ou de se montrer gentils.

Ces clichés que l’on retrouve dans les médias appauvrissent la richesse des hommes. Nous avons tous des polarités en nous, dites féminines ou masculines, symbolisées par l’hémisphère gauche du cerveau — plus analytique — et l’hémisphère droit — plus créatif. Un homme équilibré, en complétude avec lui-même, est un homme qui porte en lui ces deux polarités. Je remarque que les hommes que je reçois dans mon cabinet ont de plus en plus envie d’être reconnus aussi dans cette polarité plus créative et intuitive”.


souligne la thérapeute.

 

La virilité: ce que veulent les femmes?


Pour Sébastien, c’est à travers ses relations avec les femmes que ces impératifs de masculinité sont apparus: “J’ai compris que je ne devais pas dévoiler mes sentiments trop vite. Je les sentais trop souvent vus comme exagérés et donc anormaux. Il suffit de mal doser l’expression de nos sentiments pour passer soit pour un homme sans cœur, soit pour un en besoin d’affection aux yeux des femmes. Ne pas dévoiler mes émotions est très vite devenu pour moi un moyen de défense naturel.” Idem pour François, qui garde un souvenir presque traumatique de ses premiers contacts avec les filles dans la cour de récré:

Quand j’avais 11 ans, lors de la Saint-Valentin, j’avais écrit un poème à une fille de mon école. J’avais pris mon courage à deux mains pour lui amener… et c’est devenu un moment très malaisant. Ses copines lui ont fait comprendre que c’était la honte et donc elle a aussi préféré se foutre de moi et lire le poème à tout le monde, je suppose pour « protéger son statut de fille cool ». C’est ça qui est le plus dur, quand tu es sensible et timide…”


Résultat des courses: François s’est construit lui aussi une carapace: “J’ai décidé de devenir un mec cool, sûr de lui et de son physique, dragueur et un peu prétentieux. Directement, il y a eu un avant et un après: les filles m’ont regardé complètement différemment. Donc le pire, c’est que ça te conforte dans l’idée que, oui c’est bien comme ça que tu dois être et agir.”

Selon Marilyn Merlo, François n’est pas le seul à vouloir dévoiler ce côté sensible dans ce rapport au couple: “Mais ce côté est souvent mal interprété par les femmes qui vont considérer ces hommes comme trop gentils. Certaines femmes souhaitent un homme qui leur tienne tête et confondent alors gentillesse et niaiserie. Ces valeurs dites plus féminines doivent vraiment reprendre leurs lettres de noblesse car les hommes portent cela en eux et ont besoin de les exprimer. Exprimer une forme non-stéréotypée d’eux-mêmes.” Et du côté des femmes, ça donne quoi? Pour Laurane, 28 ans:

On nous a mis dans le crâne qu’un homme, un vrai, c’était un tas de muscles, capable de nous soulever comme si on était une petite chose fragile. Si ces caractéristiques peuvent être stimulantes pour le désir sexuel pour certaines personnes qui préfèrent être dominées au lit, j’ai l’impression que la lutte féministe tend de plus en plus à ancrer cette idée que les femmes n’ont pas besoin des hommes pour se réaliser.


Cette notion implique de nouveaux standards: un homme, un vrai, aujourd’hui, c’est un individu qui est à l’écoute de ses émotions, ancré dans le moment présent et respectueux de son/sa partenaire.” Un avis que partage Julie, 41 ans, lorsqu’elle nous évoque amoureusement les qualités de son homme: “Mon homme est un vrai gentil, qui ne sait pas toujours comment s’y prendre, maladroit… Mais là où on voit que c’est un homme, un vrai, c’est dans son envie de protéger ceux qu’il aime. C’est un mec qui vous fera porter l’unique gilet de sauvetage du bateau sans discussion possible. Pas parce qu’il se croit invincible, mais parce qu’il vous fait passer d’abord. Et je trouve ça beau et fort.”

Ces nouvelles représentations de la masculinité, Laurane les a depuis longtemps assimilées, puisqu’elle nous explique ne pas prêter attention aux critères physiques dits virils, comme la musculature ou la mâchoire dessinée. “Au contraire, j’ai plutôt tendance à être attirée par des hommes qui sont sensibles à leur environnement. Pour moi, ça passe plus par la tête que par le corps.” Sur le plan sexuel aussi, la sensibilité peut agir comme booster de libido:

J’ai cette idée qu’une personne sensible est plus réceptive aux émotions et au moment présent. Elle sera moins concentrée sur son apparence, ses complexes ou son envie de performance. Sur le plan sexuel, les personnes sensibles sont plus attentives aux désirs et au plaisir de leur partenaire.


 

Bad boys, bad choices?


Elle aime les bad boys chantonnait Souchon, mais doit-on lui donner raison? Est-on vraiment plus attirées par le Pacey que le Dawson de la bande? Pas forcément, selon Laurane, qui explique cette attraction irrationnelle par un simple conditionnement:

On nous a montré dans les films romantiques depuis qu’on est toutes petites que ce sont ces bad boys qui peuvent nous sauver de notre quotidien routinier et nous faire vivre des sensations profondes, nous faire vibrer. Encore une fois, il y a cette idée que l’homme va sauver la femme et lui permettre un épanouissement. Heureusement, on se détache de plus en plus de cette image patriarcale. Sans tomber dans les grands principes de psychologie, je pense qu’on raccroche cette tendance à l’idée de sentir protégée, comme un enfant qui a besoin d’un parent.


Julie, 34 ans, va plus loin dans l’analyse du Drazic des temps modernes. Pour elle, ce désir irrépressible pour les durs à cuire — clope au bec et blousons en cuir — viendrait de notre besoin de découvrir notre propre féminité: “J’ai pu être attirée par ces mecs-là à un moment de ma vie sexuelle où je découvrais mon pouvoir de séduction. Les bad boys créent en nous un faux sentiment, on est attirées par ce qu’ils révèlent en nous. On appelle « bad boy », le mec viril, libre et un brin mystérieux.

 Attirer la masculinité réveille notre féminité. Et c’est ce sentiment-là qu’on aime dans les bras d’un mec ultra viril. Ma solution: trouver sa propre féminité. D’où le fait, je pense, que cette attirance pour les bad boys passe avec l’âge et l’acceptation de soi!


S’accepter soi, dans toutes ses facettes, pour mieux accepter l’autre dans les siennes: une ambition fructueuse pour tout le monde! Car en acceptant la part féminine de l’homme que l’on a en face de soi, nous participons à augmenter l’harmonie au sein du couple, nous explique Marilyn Merlo. “Si l’on considère que chacun est enfermé dans un pôle genré, comment voulez-vous que l’un et l’autre se rencontre? La rencontre ne peut avoir lieu qu’en faisant dialoguer nos différentes polarités” souligne la psychologue.

 

Timothée Chalamet, sex-symbol des temps modernes


Comme souvent, les modèles qui forcent l’admiration des foules peuvent nous en apprendre beaucoup sur celles-ci. Quand je lui demande quels étaient ses modèles plus jeune, Loïc me répond que les figures viriles, fortes, bagarreurs, n’ont jamais représenté à ses yeux des exemples à suivre. Ceux qu’il admirait? “Des modèles intellectuels : des philosophes, des musiciens, des entrepreneurs. Mais ce n’est aucunement lié au fait que ce soit des hommes” s’exclame-t-il, loin de s’imaginer que sa réponse est en fait très parlante. Si la masculinité est liée dans l’inconscient collectif à la force, la virilité et la pudeur des sentiments, elle est aussi souvent représentée par le côté très cérébral, par l’intelligence, par l’esprit d’entreprendre et l’ambition, qui sont tout autant d’étiquettes qui engluent les mecs. Quelle femme peut se targuer d’avoir eu, plus jeune, des modèles d’intellectuelles, d’entrepreneuses ou de philosophes?

Heureusement, les modèles de la masculinité (tout comme ceux de la féminité) sont en train de changer. Demandez aux mecs et aux filles de votre entourage à quelle célébrité ils proposeraient bien de boire une bière en terrasse, ils vous répondront en chœur Timothée Chalamet. Dans ses films, l’homme incarne  des personnages qui ne correspondent pas aux archétypes poussiéreux des héros hollywoodiens. Des personnages masculins décalés, brisés, que ce soit dans My Beautiful Boy où il interprète un enfant accro à la méthamphétamine, dans Call Me By Your Name, où il joue un ado tombant de désir pour un homme plus âgé, ou dans The King où il incarne un prince voyou désireux de renoncer à ses responsabilités royales.



Timothée Chalamet, dans le film “My Beautiful Boy”.


Celui qui fait office de nouvelle figure de proue de cette new masculinity, a d’ailleurs expliqué à Harry Styles dans le magazine i-D avoir été content que ses rôles aient changé l’idée de la masculinité.

Je veux montrer qu’on peut être ce qu’on veut. Il n’y a pas de notion spécifique, de taille de jeans, de t-shirt moulant, de froncement de sourcil, de consommation de drogue nécessaire pour être masculin. Nous sommes dans un nouveau monde.


a-t-il déclaré, espérant ainsi influencer une génération d’adolescents, en passe de devenir des hommes. Et d’adolescentes aussi: car force est de constater que le jeune homme fait craquer la terre entière, Lily-Rose Depp, fille de Vanessa Paradis et Johnny Depp la première, avec sa silhouette frêle et son regard aussi doux que son menton rasé de près. Niveau fringues, Timothée zieute aussi dans le vestiaire féminin: en 2019, lors de la première de My Beautiful Boy, à Londres, l’acteur portait un costume signé Sarah Burton, pour Alexander McQueen, orné de grandes fleurs rouges.

Mais l’acteur n’est pas le seul mec sensible à forcer l’admiration des mâles en 2020 et à mettre au grenier les George Clooney et autres barbus du style. Syrian, 17 ans, adore par exemple Jim Carrey — “Il est passé par beaucoup de moments difficiles et j’ai lu qu’il était très sensible. C’est un acteur fantastique” souligne-t-il — mais aussi Freddie Mercury, “pour son côté ‘rien à foutre de l’image qu’il donne’. C’est quelque chose que j’essaye de faire aussi de mon côté, même s’il n’est pas rare que je reçoive des moqueries.” Entre autres signes prometteurs d’une société moins genrée, citons aussi les larmes de Barack Obama, en janvier 2016, lors d’un discours face aux familles de victimes de fusillades. Même si elles ont sans doute été versées à des fins politiques, on ne peut qu’y voir un beau signe d’une évolution en la matière:

Oui, même le président des États-Unis a des fêlures.




Barack Obama, 5 janvier 2016. Copyright : Getty Images.

Le féminisme, pour libérer les hommes


Le parallélisme entre féminisme et nouvelle représentation de la masculinité est limpide et pourtant, le sujet est encore trop rarement évoqué. Au fur et à mesure que le féminisme impose son plan d’action pour davantage d’égalité et que les femmes se battent pour porter la culotte, les hommes retirent leur blouson en cuir. Les femmes se déshabillent des injonctions à la féminité (« tu seras douce, gentille, belle, maman et épouse »), pour que les hommes, puissent se désaper de celles de la masculinité (« tu seras dur, bad boy, intelligent et cœur de pierre »). Et c’est toujours plus facile de faire l’amour tout nus.

Cette évolution, ils sont déjà nombreux à la ressentir. François, le poète sensible (rappelez-vous l’histoire de la Saint-Valentin), explique avoir vu ce changement arriver il y a un peu moins de 10 ans: “Je voyais que dans les filles que je côtoyais, plusieurs commençaient à en avoir marre des ‘connards’, à chercher autre chose. J’ai commencé à plus me livrer et puis finalement à trouver une fille avec qui j’ai pu devenir complètement moi-même, qui m’a aimé pour qui j’étais vraiment, avec mes failles et mes faiblesses. Aujourd’hui, avec l’émergence des différentes orientations, les ‘gender-fluid’… on se rend compte que le monde n’est plus aussi manichéen qu’avant, qu’on n’est plus dans un schéma binaire. J’ai l’impression qu’on glorifie davantage la différence, les jeunes ont plus d’audace maintenant même si cela n’empêche pas qu’il y ait encore beaucoup de chemin à faire, notamment dans les classes sociales les plus basses.” Loïc aussi perçoit cette diversité:

Le féminisme est, en réalité, une hymne à l’égalité. Par extension, on apprend aux gens à tolérer et accepter celleux qui ne leur ressemblent pas. Personnellement, je me trouve bien plus avancé sur la question que la société de manière générale, car j’ai toujours eu cette conviction qu’agir comme un homme ne voulait rien dire”.


Cette conviction, la psychologue que nous avons interrogée la perçoit de plus en plus forte auprès des patients qu’elle reçoit: “Les hommes comme les femmes prennent de plus en plus conscience que ce qui est bon pour soi n’est pas forcément un diktat de la société, mais plutôt une sensation d’être aligné avec qui l’on est, ses aspirations, ce qui nous anime.”



Le Grand Bain, film qui évoque aussi la thématique de la virilité.

Lire aussi: “Le Grand Bain: pourquoi on y plonge tête la première?”

L’ouragan est en marche des deux côtés: il s’avance à la même vitesse et emporte avec lui des enjeux colossaux, qui se répondent mutuellement: plus les hommes prendront des libertés par rapport à ce que la société attend d’eux, plus ils en donneront aux femmes. Exemple simple et parlant de ces vases communicants: le congé de paternité prolongé, qui pourrait permettre aux femmes de ne pas mettre de côté leur carrière pour être la mère-et-rien-que-mère que la société attend qu’elle soit, tout en donnant aux hommes l’opportunité de nettoyer les fesses de bébé et d’envoyer valser le carriérisme que la société a collé aux leurs. Idem sous la couette: au moins nos relations sexuelles seront phallo-centrées, au plus les mecs seront débarrassés du culte de la performance (et au plus les meufs prendront leur pied). L’émancipation des femmes affranchit les hommes et les rapproche de qui ils sont réellement.

Le féminisme est un humanisme, qui fait chialer les hommes, les vrais.




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