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Manger ses émotions, c’est grave?

Camille Hanot
Camille Hanot Journaliste


Bridget Jones noyant son chagrin dans un pot de crème glacée et un paquet de chips – Chandler plongé dans un seau de glace après sa rupture avec Janice – Amanda dans The Holiday et son festin dans son lit pour oublier sa solitude, ça vous dit quelque chose ? Se consoler, s’apaiser, se déstresser… avec de la nourriture, c’est ce qu’on appelle manger ses émotions.


Pourquoi mangeons-nous nos émotions ? Est-ce grave ? Pourquoi parfois le pot de glace semble être la meilleure solution aux problèmes ? Pourquoi a-t-on tendance à se réfugier dans la nourriture après une rupture ?

Dans son nouveau livre « Mon assiette et moi – comment apaiser ma relation à l’alimentation », Geneviève Mahin consacre un chapitre qu’elle appelle « colimaçon » à ces questions.

La psychothérapeute pose, d’emblée, un fondement : nous mangeons tous nos émotions… mais à des degrés et selon des mécanismes différents.

Les émotions, c’est quoi ?


«Ce sont des manifestations physiologiques, brutales et soudaines, assez courtes en réaction à un stimulus de l’environnement ». On compte 4 émotions de base : joie, tristesse, colère, peur. Contrairement aux sentiments (qui sont des constructions mentales), nous n’avons pas de pouvoir sur nos émotions. Geneviève Mahin déclare d’ailleurs : « on pourrait imaginer que les émotions sont des sortes de vilains virus qui nous empoisonnent la vie et nous empêchent de tourner rond. J’ai rarement entendu quelqu’un dire – je kiffe trop mes émotions ». Pourtant les émotions sont importantes, elles nous donnent une information sur la réalité que l’on vit et sur ce que nous devons en faire.

Si nous n’avons pas de pouvoir sur nos émotions, nous pouvons par contre (il serait même opportun de dire nous devons) en prendre conscience, les accueillir, les comprendre et leur laisser de la place pour s’exprimer (sans quoi, elles deviennent des sentiments qui s’intensifient et rendent notre vie difficile). En effet, une émotion engendre une sensation qui engendre une réaction de notre part. Quand nous ne sommes pas conscients de ce mécanisme, nous pouvons, par exemple, réagir en mangeant !

Manger ses émotions


Est-ce grave ? C’est ici que Geneviève Mahin introduit un deuxième fondement. Manger un carré de chocolat pour moduler une émotion plutôt que de la laisser vivre, ce n’est pas vraiment un problème. « Il n’y a aucun mal à manger pour se rassurer, se calmer, se réconforter ou célébrer (…) En effet, le fait de manger les aliments qui vous plaisent sans vous culpabiliser vous calme, diminue la concentration du cortisol (marqueur de stress) et augmente la présence d’endorphines. » À noter : pour que l’envie de manger émotionnelle soit apaisée, c’est important de manger exactement ce dont on a envie, et de le faire en conscience.

Le problème? C’est quand on avale une tablette de chocolat entière pour soulager une souffrance actuelle ou lointaine et que cette prise alimentaire est précédée et suivie de contrôle et de culpabilité. Il y a ici deux éléments importants. Petit a) on ne mange pas toujours ses émotions actuelles. Parfois, et ça devient alors problématique, on mange pour combler/faire face à quelque chose qui remonte loin. « Si on a pris l’habitude de manger trop par rapport à nos besoins, c’est parce qu’à un moment donné, ç’a été la meilleure solution qu’a trouvée une partie de nous pour faire face à ce qu’on était en train de vivre. C’est donc une compensation qui a été choisie à un moment où cela semblait la meilleure chose à faire » explique-t-elle. Petit b) une personne qui est en paix avec son assiette peut manger un aliment qui la réconforte pour mettre fin à une émotion mais ensuite n’y pensera plus. Quand ce n’est pas le cas, nous ne parlons plus d’alimentation émotionnelle.

Le problème n’est pas l’alimentation émotionnelle

Manger ses émotions, c’est ok. Engloutir ses émotions, être détaché.e de ses sensations alimentaires et culpabiliser sans cesse, ce n’est pas ok.


Geneviève détaille: « Tous les jours, on est traversé par des tas d’émotions. Quand on mange, on en éprouve aussi. Ensuite, parfois, on mange afin de modifier certaines émotions. On est triste, on mange un morceau de chocolat et si ça s’arrête là, c’est ok. Le problème, c’est quand on tombe dans l’alimentation contrôle et compulsive. C’est-à-dire? Quand on mange ce bout de chocolat en pensant qu’on n’a pas le droit de le manger. Quand on entend cette petite voix qui nous dit « J’ai craqué, je n’aurais pas dû » et qu’on commence à se dévaloriser, à se sous-estimer, à culpabiliser, à regretter, à perdre confiance en soi… De plus, lorsqu’on entre dans ce cercle vicieux où la dopamine (responsable, entre autres, des envies de manger) continue de circuler, l’envie de manger ne s’arrête jamais et on n’arrive jamais à l’apaisement. »

À ce moment-là, on n’est plus dans l’alimentation émotionnelle mais on entre dans l’alimentation obsessionnelle, puis compulsive.

Quand l’envie émotionnelle se transforme en compulsion


Comme le titre Geneviève, l’alimentation « contrôle », c’est le début de l’enfer. Si pour certains, une alimentation inadéquate peut être liée à l’enfance, à un drame ou à un trauma, notre société et ses paradoxes en sont aussi pour beaucoup. Dans son livre, la psychothérapeute donne cet exemple : « Après une longue semaine, vous rentrez chez vous et vous avez besoin de vous détendre. Vous vous installez devant un film avec une crème glacée. Vous n’êtes déjà pas très fière d’avoir « craqué » mais après tout, vous le méritez bien. Et c’est là que l’héroïne au corps de rêve vous nargue et vous donne la sensation d’être nulle, vous, avachie dans votre sofa. Vous mangez du coup la glace sans la savourer, perdue dans vos critiques envers vous-même, vous ne goûtez rien, vous ne ressentez aucun plaisir. Frustrée, vous décidez de vous resservir. De toute façon, vous avez déjà quelques kilos de trop et vous ne ressemblerez jamais à cette nana à qui tout semble réussir. Mais vous culpabilisez, vous vous sentez mal, vous vous dévalorisez, vous regrettez d’avoir craqué et… finalement, vous mangez une nouvelle glace pour vous calmer… Foutue pour foutue ! »

Ce cercle vicieux est lié à l’alimentation contrôle, soit le fait de vouloir contrôler son alimentation de façon cognitive et rationnelle. En gros, on est incapable de manger en lâchant prise. Nous sommes nombreuses à être tombées à des degrés différents dans cet engrenage. Qui n’a jamais mangé une assiette de pâtes en se disant qu’après elle ne mangera plus de féculent de la semaine? Qui n’a pas déjà tenu bon toute la journée pour ensuite craquer et s’empiffrer le soir devant la télé? Qui n’a pas des pensées négatives en se prenant un dessert au restaurant? Qui n’a jamais choisi une salade à la place d’un burger alors qu’on rêvait du burger?

Le problème de cette alimentation contrôle? « Chaque fois que vous invoquerez le cerveau cognitif pour contrôler vos envies de manger sans les accueillir, vous accentuerez le risque de sombrer dans un comportement alimentaire complètement désorganisé ». En d’autres mots, plus on contrôle, plus on risque de tomber dans de véritables compulsions… D’autant plus que plus on se focalise sur ce que l’on peut manger, sur les quantités, sur le nombre de calories… moins on est attentive à notre sentiment de plaisir et à nos sensations de satiété et rassasiement. Comme le dit si bien Geneviève « Vous mangerez donc au-delà de vos besoins des aliments qui ne vous font, généralement, pas plaisir. »

Une clé pour s’en sortir ?


La première est de prendre conscience que si on mange de façon inadéquate, c’est qu’il y a forcément une raison et que nous ne sommes pas coupables. Une compulsion, c’est un peu comme un pompier qui vient éteindre un feu, heureusement qu’elle est là. À terme, la question est de savoir qui est le pyromane !

Dans son livre, Geneviève Mahin dévoile plusieurs clés et exercices pour reprendre conscience de ses émotions. « Mon assiette et moi » – comment apaiser ma relation à l’alimentation de Geneviève Mahin. Plus d’infos ici



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