Master en études de genre: pourquoi et avec quels débouchés?
Depuis 3 ans, vous pouvez suivre un master de spécialisation en études de genre à l’Université. Mais à qui s’adresse-t-il? Dans quel but? Et quels sont les débouchés d’une telle formation? On vous explique tout sur ces études d’un nouveau genre.
Approches juridiques des discriminations, approche critique des droits de l’homme et de la femme, problèmes de genre dans les pays islamiques, genre et sexualité en situation post(coloniale)… Voici une petite sélection alléchante du programme de cours du master de spécialisation en études de genre de l’Université libre de Bruxelles, qui n’est d’ailleurs pas la seule à proposer ce cursus. Depuis septembre 2017, il est désormais possible de suivre un master de spécialisation en études de genre en Belgique francophone, ce qui était déjà le cas depuis 2014 en Flandre. Il s’agit du premier et seul master organisé par les six universités francophones du pays (ULg, UNamur, UMons, UCL, ULB et Saint-Louis).
Trois ans après son lancement, cette formation semble attirer un public de plus en plus large, tendance confirmée par Tania Van Hemelryck, conseillère du recteur à la politique du genre et présidente du jury de master: “en 2017, on comptait 65 inscriptions. En 2019, 106. Depuis la deuxième année, on attire aussi un public international beaucoup plus accru, car nous sommes le seul pays européen à proposer une spécialisation en études de genre en un an seulement.” Une jolie diversité… mis à part la répartition hommes-femmes, qui semble révéler une conscientisation encore faible de la gent masculine sur les questions du genre: cette année, les bancs des auditoires sont occupés par 97 femmes… pour 7 hommes.
Un engagement avant tout personnel
Camille Loiseau a entamé le master à l’ULB en septembre dernier, un bachelier en Littérature et Civilisations Anglaises ainsi qu’un master en Journalisme en poche: “J’ai bossé pendant 5 ans dans la communication et les relations presse. J’adorais ce que je faisais, mais je m’ennuyais. J’étais déjà très sensible aux questions du féminisme et j’étais en quête d’un engagement plus profond” raconte-t-elle.
Ce qui a fini de me convaincre de suivre cette formation, c’est une vidéo reprenant les témoignages des anciens élèves. Notamment celui de la journaliste Florence Hainaut qui expliquait qu’avant de suivre ce master, elle se battait à mains nues et que désormais, elle avait des gants.
J’ai trouvé ça tellement juste.” Gants que Camille a elle-même enfilés depuis: “quand je discute de féminisme avec des amis, en soirée par exemple, j’ai plus d’arguments. Mon engagement était très instinctif, presque viscéral, et aujourd’hui, j’ai les outils théoriques qui permettent de comprendre sur quoi ce combat est fondé, cerner d’où viennent les inégalités pour pouvoir mieux les combattre”. Outre ce pilier théorique, Camille a aussi été séduite par la variété des profils des étudiants: “Il y a des personnes qui sortent tout juste d’un master, d’autres qui reprennent des études après une expérience professionnelle. Ils viennent d’horizons différents: du droit, de la biologie, de la philosophie… Ce master étant basé sur l’échange, cette diversité garantit des débats passionnants et enrichissants.”
Urgence sociétale ou militantisme?
Mais concrètement, c’est quoi des études du genre? Le terme “gender” est né aux États-Unis dans les années 1970, pour différencier le genre (masculin/féminin) du sexe (homme/femme), puisque le genre est une construction sociale alors que le sexe fait référence au biologique. La formation vise donc à faire comprendre les différents processus qui déterminent la manière dont le genre est construit, pour mieux lutter contre les discriminations et stéréotypes et pour davantage d’égalité et de diversité. Le développement des études de genre est lié au mouvement féministe des années ‘70, qui souhaitait faire des différences hommes/femmes des enjeux majeurs. D’où la question de la neutralité, car s’il a fallu beaucoup de temps avant que ces études voient le jour chez nous, c’est notamment à cause de son aspect militant. Argument que réfute Tania Van Hemelryck, conseillère du recteur à la politique du genre et présidente du jury de master : “Tous les acteurs académiques engagés dans cette formation le font dans le respect des règles académiques. Comme pour l’écologie, on ne peut pas parler de militantisme au regard des réalités sociales et sociétales de la problématique. Il y a urgence, rien que sur le sujet des violences faites aux femmes. Les universités sont là pour alerter l’opinion, sans pour autant sortir du cadre scientifique.” Même son de cloche du côté estudiantin, comme l’explique Tom Devroye, qui a lui-même suivi un master en étude du genre: “Certaines personnes pensent qu’il s’agit d’études pour des gauchos illuminés, qui veulent parler de sexe toute la journée. C’est faux: il y a tout un corpus théorique, la formation est basée sur des ressources scientifiques.” Et quand bien même il s’agirait de militantisme, Camille Loiseau ne voit pas tellement où se situerait le problème: “Même si ce master forme des experts, et non pas des militants, le militantisme n’est pas un gros mot, ce n’est pas quelque chose dont il faut se cacher. Comme le féminisme! L’idéal de la connaissance absolument objective n’existe pas. On parle toujours depuis un point de vue, avec des convictions.”
Les inégalités de genre, mais pas seulement
Si ce master est si intéressant et nécessaire à une meilleure entente sociétale, c’est parce qu’il forme des futur(e)s professionnels aux oppressions liées au genre, mais aussi à toutes autres formes de discriminations: “On y étudie d’autres matières tout aussi importantes pour notre société à savoir l’intersectionnalité et l’imbrication des multiples discriminations que subissent certains femmes (dont les femmes racisées, femmes précarisées, femmes homosexuelles, femmes en situation de handicap, ...)” souligne Hassina Semah. “C’est à mes yeux, l’un des points les plus remarquables de ce master: former des (futur.e.s) professionnel.le.s aux oppressions/discrimination liées au genre mais élargir le spectre aux enjeux de race(sociale), de classe, de handicap ou d’homophobie pour ne citer que ceux-là. Les étudiant.es comprennent donc mieux comment fonctionne la société, comment se combinent pour mieux s’aggraver divers systèmes de domination et cela permet d’être non seulement, plus conscientisé.e.s mais également plus pertinent.e.s sur le plan professionnel et a fortiori, si on travaille dans le secteur de l’égalité des genres et des chances”. Et elle est plutôt bien placée pour le savoir, puisqu’elle est aujourd’hui cheffe du cabinet de l’Egalité des Genres et des Chances de Schaerbeek, mais aussi journaliste pour les Grenades, le média féministe de la RTBF.
Quels débouchés pour le master en études de genre?
Alors, certes, certaines mauvaises langues peuvent encore se moquer du manque de débouchés d’une telle filière d’études. Mais les défenseurs du master restent persuadés qu’il répond à une réelle demande si pas du monde du travail, de la société en général, notamment pour les institutions et les politiques qui sont en demande de solutions concrètes pour combattre les inégalités. Selon Tania Van Hemelryck: “On voit pas mal de débouchés dans l’accompagnement de cabinet, auprès de certains mandataires politiques ou dans le milieu associatif. De plus en plus de grandes entreprises possèdent désormais un secteur diversité et égalité en leur sein, ce qui est également intéressant pour nos étudiants”. Les domaines du journalisme, de la de la recherche, de l’enseignement, des ressources humaines ou encore des ONG ont également un intérêt certain à voir émerger ces diplômés.
La culture aussi, comme le démontre le job actuel de Maude Willaerts, spécialisée en Queer Reading or Art History, et assistante curatrice au Victoria & Albert Museum, à Londres: “J’ai appris à étudier l’histoire de l’art à travers le spectre du genre et des constructions sociétales et mentales autour de ces sujets-là. J’ai pu cerner à quel point les canons de l’histoire de l’art étaient hétéro-genrés et misogynes. J’étais déjà engagée mais je manquais d’outils. Aujourd’hui, je travaille notamment sur le re-développement des galeries permanentes du musée et ma formation m’est très utile. Nous avons un devoir de représentation des diversités, et je pousse notamment à ce que les populations LGBTQ soient suffisamment représentées dans nos collections.”
Tom Devroye exploite également son master en études du genre — suivi à Amsterdam, un an avant qu’il n’apparaisse chez nous — dans sa fonction actuelle de coordinateur chez Arc-En-Ciel Wallonie, qui fédère, soutient et représente les associations LGBTI en Wallonie: “J’ai obtenu ce poste grâce à mes deux cursus: sciences politiques, pour l’aspect lobbying de la fonction, et études du genre pour mes connaissances de la thématique. Par exemple, lors des lectures de projet, je sais facilement savoir si le dossier va susciter des tensions, s’il sera assez inclusif, etc. On a aussi travaillé récemment sur la question de l’acronyme LGBTQI+ qui suscite énormément de débats. Ma base théorique était aussi un atout. Au niveau personnel, ce master m’a aidé à mieux comprendre les différents courants féministes. Beaucoup d’hommes, et j’en faisais partie, se croient déconstruits. Mais j’ai réalisé que j’avais une connaissance assez superficielle du sexisme. En réunion, par exemple, je veille à ne pas prendre plus la parole que mes collègues femmes. Ces études m’ont permis d’essayer de devenir un bon allié, même si ce n’est pas facile.”
Le master semble donc nécessaire, d’un point de vue personnel, pour se sensibiliser d’autant plus, mais surtout professionnel, pour transformer des citoyens en experts éclairés, en porte-parole d’un combat qu’on ne peut plus faire semblant d’ignorer. Selon l’association Femmes Prévoyantes, ce master est d’ailleurs un véritable pas en avant pour l’égalité hommes/femmes:
Ce cursus est l’aboutissement d’un long processus et de plus de trente ans de débats. Le concept du genre s’est longtemps heurté au patriarcat qui domine toujours le monde universitaire. Que cette formation existe aujourd’hui en Belgique et qu’elle soit reconnue témoigne d’une vraie légitimation des combats pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
En pratique
Parmi les conditions d’admission: avoir déjà 300 crédits, soit l’équivalent de 5 années d’études, préférentiellement dans le domaine des sciences sociales, des lettres ou du paramédical. Si le second critère n’est pas rempli mais que vous avez déjà un master en poche, vous pouvez tout de même remplir un dossier, qui sera étudié par le jury d’admission. Le minerval est de 850 €.
Informations et inscriptions par ici.
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