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Rencontre avec Emilie de Morteuil, auteure du ““Guide de la consommation durable””

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Des informations scientifiques, des conseils pratico-pratiques et économiques, des sites et des adresses qui simplifient la vie… Voici tout ce qu’on trouve dans Le guide de la consommation durable : prendre soin de soi et de la planète, écrit par la Belge Emilie de Morteuil. Nous l’avons interrogée pour en découvrir plus sur le lien ténu entre alimentation et écologie.

 

Diplômée d’un Master en Sciences de Gestion de la Louvain School of Management de l’Université Catholique de Louvain (UCL), Emilie de Morteuil a toujours été passionnée par la santé mais surtout par la nature : « J’ai grandi en pleine campagne, dans une ancienne ferme rénovée, entourée de champs et de forêts. Mes parents m’ont fortement sensibilisée à l’observation de la nature et des animaux » nous confie-t-elle. Il y a 7 ans, lors d’une conférence donnée par Pablo Servigne, un auteur français passionné par les questions de transition écologique, elle se passionne à son tour pour l’agro-écologie et décide de se former. « J’ai eu une sorte de révélation. J’ai commandé des livres sur le sujet, et j’ai envoyé ma candidature pour la formation d’agro-écologie en Belgique » se rappelle-elle. La journée, elle est consultante dans une grosse boîte : le soir, elle enfile ses bottes en caoutchouc pour partir à la rencontres de fermiers pour ses cours. Depuis, elle n’a pas arrêté de se former, tant en gestion de l’environnement qu’en nutrition. Avec son Guide de la consommation durable : prendre soin de soi et de la planète, Emilie De Morteuil compte apporter des informations sur l’état actuel de notre planète, mais aussi des conseils concrets pour consommer plus durablement. Dans ce livre de plus de 300 pages, Emilie revient sur tous les sujets qui nous concernent : l’eau, les médicaments, les aléas de la mode, l’électronique, les loisirs (et les vacances en avion…), les cosmétiques et les substances nocives et l’alimentation et ses impacts. C’est sur ce dernier point que nous avons axé l’interview !

Pensez-vous que la crise du COVID-19 puisse nous inciter à prendre davantage soin de la planète ?

« C’est quitte ou double. Certaines études montrent que, pendant le confinement, de nombreuses personnes ont consommé local, ont diminué leur consommation de viande, se sont tournées vers des aliments bio et fairtrade. Cela envoie un signal positif. D’autant plus que les gens ont aussi revu leur façon de se déplacer, en utilisant moins la voiture et davantage le vélo. Profiter d’un air de qualité est devenu un luxe.

Il est prouvé que la prise de conscience par rapport à la protection de l’environnement a été plus forte au milieu de l’année 2020 qu’au milieu de l’année 2019.

Cela dit, il faut voir comment la crise économique qui s’en suit va être perçue et gérée. Les personnes en situation financière délicate vont peut-être privilégier un mode de survie plutôt que la protection environnementale. »

On pense souvent à tort que consommer durable coûte plus cher. Dans votre livre, vous prouvez par le biais de calculs concrets et précis, que cela peut justement représenter un gain d’argent. Pourquoi est-ce important pour vous d’aborder cet aspect économique ?

« Je sais qu’aujourd’hui, beaucoup de familles vont penser à l’aspect financier avant l’aspect environnemental, ce qui peut être compréhensible (nous ne sommes pas tous égaux face au changement climatique). Je trouvais ça intéressant de montrer que la transition économique et durable n’est pas uniquement dédiée aux personnes qui ont les moyens. Cela permet même de faire des économies. »

Exemple : gain économique pour un ménage de 4 personnes
Le prix de 1 kg de viande coûte entre 7 et 15 euros (voire plus)
Les légumineuses ou les légumes coûtent entre 1 et 5 euros/kilo.
En devenant végétarien ou flexitarien, vous pourriez économiser jusqu’à 350 euros/an par personne, soit près de 1500 euros/an pour un ménage.

 

Vous proposez aussi des idées de solutions que devraient prendre les politiques. Pour vous, quelles sont les mesures les plus urgentes ?

« Au niveau de l’alimentaire, il y a énormément de choses à faire. Le secteur agricole est encore très polluant en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Mais en plus, l’agriculture traditionnelle utilise des pesticides, fait énormément usage de machines, abîme les sols et les êtres vivants qui les composent comme les vers de terre, qui sont très importants pour la biodiversité. Le politique devrait promouvoir les formes d’agricultures alternatives comme l’agroécologie et la permaculture. Il faudrait fournir des aides, diminuer les taxes sur les produits issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Ce serait déjà un sacré changement. Il faudrait aussi mettre sur pied des programmes de formation et de sensibilisation auprès des agriculteurs eux-mêmes : ils n’ont pas le temps de se former. Il faudrait rémunérer les agriculteurs en fonction de la qualité (et de l’impact environnemental) et non pas de la quantité produite comme c’est le cas actuellement. Selon moi, nous devrions aussi renforcer les recommandations sur la santé : beaucoup de personnes ne savent tout simplement pas ce que veut dire manger sainement. D’ailleurs, les dépenses en soin de santé sont énormes en Europe. Le Nutriscore a été implémenté dans les supermarchés, mais on peut aller encore plus loin. Il faudrait notamment uniformiser les labels. »

Vous écrivez qu’aujourd’hui, une famille belge, composée de 4 personnes, consomme en moyenne l’équivalent de 11 tonnes de CO2 par an pour son alimentation. Que faire concrètement pour réduire cette empreinte énergétique ?

« Selon moi l’une des premières choses à faire, c’est de manger de saison. Quand on mange des fruits et légumes de saison, leur production ne nécessite pas qu’on surchauffe des serres. Si vous mangez des tomates en hiver, sachez qu’elles proviennent de serres chauffées (rarement aux panneaux solaires).

Pour vous donner une idée, il faut compter 950 kg de pétrole pour produire une tonne de tomates sous serre contre 95 kilos de pétrole pour cultiver la même quantité à ciel ouvert.

Si on réapprenait les saisons, on pourrait réguler l’empreinte écologique venant de cette production d’énergie dans les serres. En mangeant plus de production locale, on réduirait les émissions liées au transport et ferait tourner l’économie locale. Il faut aussi diminuer drastiquement sa consommation de viande. La production de viande est polluante car elle nécessite de la déforestation, une consommation énorme d’eau… Et l’élevage de porcs n’est pas forcément plus glorieux. Les matières fécales (qu’on appelle lisier) des cochons sont répandues dans les champs et peuvent se retrouver dans les eaux. En France, cela a entraîné une prolifération d’algues vertes sur les plages de Bretagne. L’accès à certaines plages est encore interdit car la présence de ces algues en grande quantité peut être toxique, voire mortelle. Mais même en termes de santé, consommer trop de viande est nocif. L’OMS recommande un maximum de 500 grammes par semaine. Il y a de plus en plus d’alternatives aujourd’hui. De plus, il faut aussi absolument diminuer le gaspillage alimentaire. Il existe de nombreuses applications qui permettent d’acheter les restes de certains magasins à prix réduits (Too good to go, par exemple, ndlr). Les dates de péremptions ne sont pas toujours bien lues par les consommateurs : on confond « à consommer avant » avec « à consommer de préférence avant » qui signifie que vous pouvez encore le consommer mais simplement que le produit ne sera pas aussi riche en nutriments après cette date. Apprenons à faire nos courses plus intelligemment, à ne pas acheter trop, à être créatifs en cuisine. Certains aliments ont une empreinte écologique forte, comme notamment le cacao, le café et le sucre. On importe ces produits d’Afrique, d’Amérique Latine et on n’a pas de vue sur l’impact de la production ni sur les conditions sociales. »

Idem pour les avocats et les bananes…

« Ces fruits ont certes des propriétés intéressantes mais aucun des deux ne sont produits en Europe. Et la banane est l’un des produits qui a le plus haut taux de gaspillage. Les consommateurs sont extrêmement regardants sur sa couleur : dès qu’elle n’est plus jaune ou qu’elle a des taches, on n’en veut plus. Les supermarchés en jettent énormément chaque jour. Si vous en consommez, soyez conscient du trajet qu’elles ont dû faire pour arriver à vous et ne les gaspillez pas. Vous pouvez par exemple les couper en morceaux quand elles brunissent pour les conserver au congélateur ou en faire des cakes.

La production d’avocat consomme aussi énormément de pesticides entraînant de graves problèmes de santé, principalement hormonaux, chez les enfants des écoles avoisinant les plantations. Sa production provoque aussi une déforestation massive.

Au Mexique, en l’espace de 15 ans, les exportations ont été multipliées par 30 et pas moins de 170.000 ha de pins ont été rasés. Pour produire 1kg d’avocat, il faut 1000 litres d‘eau… Au Chili, la culture d’avocats prive les habitants d’eau. Et en plus, cela conduit à des conflits mortels au Mexique. On l’appelle d’ailleurs « l’or vert » et les plantations d’avocats appartiennent aux plus grands cartels mexicains. Je ne dis pas qu’il ne faut plus consommer ces produits. Juste qu’il faut les consommer en conscience et donc plus modérément.»

Vous expliquez que le label bio comporte certaines zones d’ombres. Peut-on s’y fier ?

« La raison première de l’existence du bio, c’était de protéger la santé des consommateurs en diminuant l’usage des pesticides. Mais l’agriculture bio ne garantit en rien le respect des sols, ni le respect des travailleurs. Des nombreux produits bio sont cultivés en monoculture, selon des procédés non respectueux de la biodiversité. Des fruits et légumes bio peuvent aussi provenir de serres chauffées en Espagne, ce qui est un non-sens au niveau écologique. Sans parler des conditions de travail : par exemple, dans la province d’El Ejido, en Espagne, les fruits et légumes sont cultivés en respectant les normes du bio mais les travailleurs sont pour la plupart immigrés clandestins, logés dans des abris de fortune, sans eau courante, et ils sont payés avec un salaire misérable. On peut aussi parler des emballages individuels des fruits et légumes bio qui sont contraires aux valeurs véhiculées par cette filière. En résumé, c’est parfois plus durable d’acheter chez un petit producteur local qu’au supermarché bio. »

Selon vous, santé et écologie sont indissociables ; au niveau de la consommation de la viande, comme vous l’avez dit, mais aussi du sucre.

« Il est clair que la production de sucre est très polluante (utilisation intensive d’eau, de pesticide, et érosion des sols) et sa consommation, très nocive pour la santé. Je pense que la santé est un point majeur pour parvenir à sensibiliser les gens à l’environnement. Mais ça va encore plus loin, selon moi : tant que l’homme n’est pas bien dans sa tête, qu’il n’est pas heureux, je pense qu’on ne peut pas lui demander de faire attention à l’environnement. C’est pourquoi il faut penser à la santé mentale des gens : quelqu’un de profondément bien dans ses baskets fera plus attention à la terre.

Les personnes qui s’autodétruisent, qui sont anxieuses et malheureuses ne peuvent s’intéresser pleinement au monde qui les entoure. Plus les gens sont malades et malheureux, plus la planète sera malheureuse. Il faut prendre conscience de la relation win-win entre la nature et notre bien-être.

C’est elle qui nous donne de l’oxygène, nous fournit de la nourriture et nous émerveille. Pendant le confinement, les gens se sont d’ailleurs davantage rendu compte des bienfaits de la nature, notamment en voyant les animaux reprendre leurs droits, les dauphins apparaître dans certains ports en France… Il faut comprendre que l’écologie va de paire avec une certaine qualité de vie. Manger plein de produits transformés, aller courir au milieu des voitures… Est-ce que ça nous rend finalement heureux ? Il ne faut pas voir l’écologie comme des contraintes et des privations, mais comme une possibilité d’aller vers une vie plus naturelle et qualitative. Même sur le court terme, consommer durable rend heureux. »

On parle beaucoup de viande, mais la pêche est aussi parfois dévastatrice pour l’environnement : devrions-nous arrêter de manger du poisson ?

« La pêche à un impact environnemental. La surpêche notamment. On observe une intensification des activités dans le secteur de l’aquaculture, mais les grands élevages industriels nuisent à l’environnement, notamment avec les déchets alimentaires et chimiques. Les poissons sont élevés dans des bassins en contact direct avec la mer. Ils reçoivent des antibiotiques pour éviter le prolifération des maladies. Ces antibiotiques, tout comme les produits chimiques utilisés pour traiter les bassins, se répandent dans les eaux. Sans oublier que les bateaux de pêches tournent au fuel, ce qui est une aberration. Il faudrait réduire sa consommation de poisson pour l’environnement mais aussi pour la santé. Les poissons gras par exemple contiennent parfois des substances nocives. Et les mollusques ne sont pas épargnés non plus par la pollution. »

Ce qui peut être décourageant, c’est cette impression que nos gestes individuels ne pourront pas renverser la balance du désastre écologique. Que répondez-vous à ces réflexions pessimistes ?

« Je crois en la règle du 1/3-1/3-1/3. La solution doit venir pour un tiers du gouvernement, un autre tiers des citoyens et un dernier tiers des industries. C’est le gouvernement qui fixe les règles pour les entreprises et les consommateurs qui les influencent. Les entreprises peuvent tout à fait changer leur offre pour combler les consommateurs. Nous sommes trois acteurs, tous autant responsables les uns que les autres. Il faut montrer aux entreprises que nous sommes conscients des efforts écologiques qu’ils mettent en place. »

Et vous, est-ce que vous vous considérez comme exemplaire dans vos comportements ?

« Non, je ne suis pas exemplaire. J’essaye de faire attention, mais j’essaye de ne pas être trop extrémiste au risque de saouler mon entourage. Je fais attention à mon alimentation, à ma consommation de vêtements, à mes loisirs… Mais j’ai toujours une voiture pour moi toute seule. J’habite à Bruxelles mais je travaille en dehors donc je n’ai pas encore trouvé la solution adéquate. Je préfère inspirer en montrant mon évolution. »

Le guide de la consommation durable : prendre soin de soi et de la planète, 35 €, sur emiliedemorteuil.com

 

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