Ana Girardot nous parle self-love: ““C’est dur de s’aimer””
Nous avons rencontré Ana Girardot à Paris à l’occasion de la sortie en salles de “Madame de Sévigné”. Film d’époque, ce long-métrage est aussi une histoire moderne. Celle d’une mère (Karin Viard), devenue l’une des plus grandes femmes de lettres de France, qui entretient une relation toxique avec sa fille (Ana Girardot).
Ana, on vous connaît surtout pour votre rôle dans “La Flamme”, puis “Le Flambeau”. On vous appelle encore Anne?
“Oui, mais, en même temps, le public adore Anne! La gentille et douce Anne, qui se fait avoir à tous les coups. Je crois que c’est facile de s’identifier à elle parce que, dans la vie, on est tous un peu victimes de gens, de situations. On a tous, y compris moi, beaucoup d’empathie pour Anne. J’adore l’idée d’avoir incarné un personnage qui se cristallise comme ça.”
En plus d’être comédienne, vous êtes aussi réalisatrice. Qu’est-ce que ça vous apporte d’être derrière la caméra?
“C’est extrêmement libérateur. De ne pas être uniquement dépendante du désir des autres, de pouvoir créer mes propres projets. Ça me permet, en tant que comédienne, de mieux choisir mes films. Il n’y a plus cette nécessité de dire ‘oui’ à tout.”
Avec les réalisatrices, je me suis toujours sentie plus à l’aise. Avec les hommes, il y a toujours eu cette notion de vouloir plaire. De me dire que, si un réalisateur voulait de moi, je ne pouvais pas refuser.
C’est ce que vous faisiez à vos débuts?
“Peut-être. Même si je ne regrette rien car chaque tournage est une expérience formidable. Mais aujourd’hui, avant d’accepter un rôle, je veux vraiment comprendre l’essence du film, la démarche du réalisateur, le message qu’il veut faire passer. Je pose des questions en amont. Surtout aux hommes. Avec les réalisatrices, je me suis toujours sentie plus à l’aise. Avec les hommes, il y a toujours eu cette notion de vouloir plaire. De me dire que, si un réalisateur voulait de moi, je ne pouvais pas refuser. Ce n’est pas plaisant, c’est un constat.”
Vous avez parfois eu le sentiment d’être limitée à votre physique?
“Je me suis parfois posée la question, oui. À une époque, on ne me confiait que des rôles de femmes éthérées. Quand j’étais petite, je voulais jouer Scapin, le guignol, l’amie un peu décalée dans une comédie romantique. Surtout pas la jeune première! Mais ça prend du temps de sortir de cette case. Et, c’est vrai que mon physique m’a parfois empêchée d’aller chercher des choses plus intéressantes. Moi, les actrices que j’aime, je ne les aime pas pour leur physique, mais pour ce qu’elles ont réussi à retranscrire à travers des personnages forts. Le physique, on sait que ça ne va pas durer et moi j’aimerais faire ce métier longtemps. Je ne dis pas que je ne serai pas une belle femme de 75 ans, mais je veux que ce soit la personnalité qui prime. Car, pour être honnête, quand je me regarde dans le miroir le matin, je ne me dis pas: ‘Oh, quelle belle femme!’. Je suis plutôt méchante envers moi-même.”
Je pense qu’on est toutes comme ça, qu’on est toutes magnifiques, mais qu’on a du mal à s’accepter. Notamment parce que, depuis notre enfance, les hommes jugent notre physique avec une décontraction totale. De façon méchante et brutale. Que ce soit les cheveux, la peau, la taille, les seins, le cul, il n’y a jamais rien qui va. On a accepté ces insultes pendant des années et c’est ce qui nous empêche de nous supporter.
C’est dur de vous voir à l’écran?
“À l’écran, ça va, parce qu’on est mises en lumière. Par contre, au quotidien, je pense que c’est dur de s’aimer, de se regarder. Là, c’est con, mais je viens de me couper les cheveux et je pourrais pleurer tous les jours. Je pense qu’on est toutes comme ça, qu’on est toutes magnifiques, mais qu’on a du mal à s’accepter. Notamment parce que, depuis notre enfance, les hommes jugent notre physique avec une décontraction totale. De façon méchante et brutale. Que ce soit les cheveux, la peau, la taille, les seins, le cul, il n’y a jamais rien qui va. On a accepté ces insultes pendant des années et c’est ce qui nous empêche de nous supporter.”
Qu’est-ce qui vous aide aujourd’hui à vous accepter davantage?
“La maternité. On se lâche la grappe parce que notre mission est désormais d’essayer de survivre (rires).”
La maternité qui, dans le film, permet aussi à Madame de Grignan de se libérer progressivement de l’emprise de sa mère…
“Je crois que, quand on devient soi-même parent, on ne se voit plus uniquement dans le miroir de ses propres parents. Même si, bien sûr, on veut toujours qu’ils soient fiers de nous. Moi, quand je m’engueule avec ma mère, qu’elle dit quelque chose qui me blesse, qui me fait mal, je vais m’en vouloir d’avoir été un peu froide. J’ai toujours besoin de son approbation et en même temps d’aller à l’encontre de sa vision pour lui prouver que je peux aussi m’affirmer par moi-même. L’autre jour, elle m’a envoyé un texto, le langage était différent, mais son discours ressemblait beaucoup à celui de Madame de Sévigné...”
Votre maman, l’actrice Isabel Otero, est une femme très indépendante?
“Très. Elle vit entre la France et le Costa Rica, elle ne veut pas d’homme dans sa vie. Et moi, je me suis mariée à 19 ans! Je suis partie vivre à New York. Il y a eu une forme d’arrachement alors qu’on était très fusionnelles. Il y a toujours eu beaucoup d’amour entre nous, même si tout n’était pas toujours correctement exprimé. Ce qu’elle m’a appris, c’est d’être en accord avec mes envies, de ne pas me laisser imposer quoi que ce soit, d’avoir le courage de changer les choses si je ne suis pas heureuse.”
Qu’est-ce que c’est, finalement, être indépendante? Est-ce que ça veut dire qu’il faut expérimenter la vie seule dans son bateau?
Vous entendez le point de vue de Madame de Grignan, qui trouve son bonheur au chevet de son mari et de ses enfants?
“Oui. Je pense qu’on peut trouver son bonheur, son indépendance dans son foyer. Qu’est-ce que c’est, finalement, être indépendante? Est-ce que ça veut dire qu’il faut expérimenter la vie seule dans son bateau?”
Vous êtes maman d’un petit garçon. Vous pensez que les relations mères-filles sont plus complexes?
“Comme les relations pères-fils, ce sont des relations miroirs. On voudrait que l’enfant nous ressemble et, quand il choisit une autre voie, il y a une forme de déception. Je pense, qu’en tant que parent, il faut juste essayer de comprendre les choix de son enfant, de lui faire confiance. Se dire qu’on a essayé de lui instruire plein de choses, qu’il a hérité de tout ça et que ça lui permettra de vivre sa vie indépendamment de ce qu’on aurait voulu pour lui. Très vite, j’ai compris que mon fils avait une vie à part entière. Peu de temps après sa naissance, j’ai dû partir en tournage à Prague, voyager en Europe et il était avec sa nounou. J’ai découvert un petit garçon très ouvert aux autres. Je suis sa mère, je serai toujours là pour lui, je serai son meilleur soutien mais il ne va pas vivre sa vie à travers moi. J’espère que j’arriverai à garder cet état d’esprit quand il sera plus grand.”
Madame de Sévigné, avec Ana Girardot, actuellement au cinéma.
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