FAUT QU’ON PARLE: du problème avec les films lesbiens d’époque
“La favorite”. “Portrait de la jeune fille en feu”. “Ammonite”. Le cinéma n’échappe pas aux tendances, et clairement, celle du moment est aux films lesbiens d’époque. “Chouette, plus de visibilité pour les personnes LGBT!”. Sur papier, oui, mais en pratique, la temporalité choisie pose question.
Quand Alice* et Charlotte*, deux amies liégeoises, ont vu “Imagine Me and You” lors de sa sortie en 2006, bien qu’elles aient toutes les deux adoré le film, leur ressenti a été quelque peu différent. Pour Alice, inconditionnelle assumée de la Noël, à l’époque complètement sous le charme si britannique de Matthew Goode, le film a été un véritable bonbon feel good, qu’elle regarde d’ailleurs encore avec plaisir aujourd’hui. Pour Charlotte, qui s’apprêtait à faire son coming out quelques mois plus tard, voir deux femmes s’aimer à l’écran à l’époque où c’était encore relativement rare, sauf dans les films pornos (mauvais exemple...) ou bien dans “The L Word” (inaccessible pour celles dont les parents n’avaient pas le câble), le couple formé par Piper Perabo et Lena Headey était une véritable révélation. Même si, avec le recul, elle est bien moins susceptible que son amie de se mater les rediffusions du film à la télé.
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Clichés sur grand écran
“Entre la femme lesbienne qui “convertit” la jolie hétéro et le bon gros cliché de la lesbienne aux cheveux courts, aux tenues garçonnes et au métier manuel et puis l’hétéro convertie, délicate, aux longs cheveux blonds, le film ne lésine pas sur les préjugés, ce qui n’est pas franchement étonnant puisqu’il a été réalisé par un homme, hétéro qui plus est” souligne Charlotte. Qui, bien qu’ayant adoré “The Lobster” et s’étant précipitée pour voir “The Favourite” dès sa sortie, ne manifeste pas plus d’intérêt que ça face à la vague de films lesbiens d’époque déferlant sur les cinémas. “The Favourite”, donc, sorti en 2018 et montrant dans des décors à couper le souffle l’amour interdit entre la reine Anne et son amie Sarah Churchill, ainsi que son “amitié sexuelle” avec sa courtisane, Abigail Hill. Mais aussi “Carol”, sorti quelques années auparavant et acclamé pour la photogénie folle de la romance interdite sur fond de 50s entre Cate Blanchett et Rooney Mara. Sans oublier “Ammonite”, mettant en scène la relation taboue entre Mary Anning (Kate Winslet) et Charlotte Murchison (Saoirse Ronan) dans l’Angleterre de 1840, ou encore “Portrait de la jeune fille en feu”, un drame romantique mettant en scène la passion interdite de deux femmes dans la France du XVIIIe siècle. Et si on ne peut certainement pas accuser la réalisatrice de ce dernier, Céline Sciamma, d’être un homme blanc hétéro portant son male gaze sur les lesbiennes, la réalisatrice ayant notamment vécu une longue relation avec Adèle Haenel, le choix de montrer toutes ces romances dans des films d’époque, époque où elles étaient mal vues voire punies par la loi, pose question.
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Une obsession pour les films lesbiens d’époque
Dans un article pour BuzzFeed intitulé “Enough with the lesbian period dramas” (“Assez des films lesbiens d’époque”), Lauren Strapagiel salue l’effort, mais souligne que ce qu’elle aimerait surtout voir à l’écran, ce sont des romances contemporaines. Ainsi qu’elle le dénonce,
L’industrie du cinéma semble avoir développé une fascination frôlant l’obsession pour les films lesbiens d’époque, sombres mais sexy”.
Et d’ajouter, pince-sans-rire que “les stéréotypes relatifs à ce que portent les lesbiennes sont bien connus. Chemises à carreaux, bottines, mais aussi, s’il faut en croire la manière dont Hollywood montre les lesbiennes, des corsets et des jupes à crinoline”. “Ce n’est pas que ces films soient mauvais, au contraire, ils sont même parmi les meilleurs films du genre, mais ils sont aussi les plus applaudis par des audiences blanches et hétéro, poursuit Lauren Strapagiel, et je ne pense pas que ce soit un hasard mais bien un choix. L’élément qui ne trompe pas? Ces films ne parlent jamais de “lesbiennes” ou de “saphisme”, mais bien d’amitié passionnelle ou de passion interdite. Ca a du sens si on les prend dans le contexte de l’époque, mais à l’heure actuelle, c’est juste un véhicule de masturbation mentale, qui convainc la personne qu’elle n’est pas anti-LGBT et que la société en a fait du chemin”. Sauf qu’en fait, ainsi que le rappelle Anaïs Montes, chargée de projets pour Arc-en-ciel Wallonie, c’est malheureusement loin d’être le cas.
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Montrer des femmes qui vivent leur vie
La jeune femme, pourtant de son propre aveu plutôt calée sur la question, confie d’emblée que “Carol” est un des seuls films qu’elle ait vu malgré la tendance ces dernières années à porter des romances saphiques historiques à l’écran. “Les films lesbiens ne sont pas faits pour des personnes lesbiennes donc je ressens un grand sentiment de lassitude et de désintérêt” avoue-t-elle.
Ce sont des films le plus souvent basés sur des clichés, une des deux femmes sera toujours plus masculine que l’autre, c’est typique du male gaze. Ce n’est pas inclusif, et en tant que lesbienne, on ne se sent pas représentée par ce qu’on voit à l’écran”.
Car même dans les films à crinoline, les clichés persistent: “ce n’est pas tant la tenue que la manière dont les deux femmes vont interagir ensemble qui me dérange. Ces films perpétuent le stéréotype que dans un couple lesbien, il y a forcément une des deux qui est masculine et plus dominante et l’autre, plus féminine et douce. Dans les films d’époque, ça ne se voit pas forcément dans la tenue mais bien dans les interactions”. Des interactions quasi principalement axées autour d’une sensualité exacerbée que critique également Anaïs: “on ressent très fort le fait que ces films ne sont pas faits par des personnes lesbiennes. Je ne dis pas que les lesbiennes ne sont pas sensuelles, mais l’accent est presque entièrement mis là-dessus, on ne les voit que comme des êtres sexuels”. Et d’ajouter que le problème n’est pas tant l’époque choisie que la trame narrative.
Pour moi, ce n’est pas tant qu’il faut plus de films lesbiens mais bien plus de films où les héroïnes se trouvent être lesbiennes, mais où leur sexualité n’est pas centrale. Être lesbienne n’est pas un trait de personnalité”.
Et Anaïs de rappeler dans un éclat de rire que pour sa part, “dans ma vie de tous les jours, en tant que lesbienne, je fais beaucoup d’autres choses que d’être lesbienne”, et qu’il serait bon que les réalisateurs s’en inspirent pour montrer à l’écran des femmes qui, certes, aiment les femmes, mais surtout qui vivent leur vie.
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*Prénoms d’emprunts
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