Lettre à Arturo, l’ours blanc que nous avons tué
Cher Arturo,
J'ai honte de t'écrire aujourd'hui. Honte de m'émouvoir de cette fin solitaire que tu as connue. D'entendre ton surnom d' "ours le plus triste au monde", et de lui trouver une consonance familière. Comme beaucoup, j'avais été bouleversée par la campagne que Greenpeace avait lancée en 2014 pour tenter de t'arracher à ce zoo argentin, à cet enfer tropical dans lequel tu pourrissais depuis des années. À ton isolement dans cet enclos, depuis la mort de ta compagne. J'avais été scandalisée par le refus de ton transfert vers le Canada, l'incompréhension se disputant à l'indignation.
Puis, je suis passée à autre chose. D'autres espèces en détresse, un accident de voiture, une guerre, un enjeu politique ou social, les soldes. Ailleurs. J'ai oublié. J'ai surement lu quelques bribes sur Mendoza, ton zoo de 48 hectares, à ce point vétuste et pollué qu'il a dû être fermé au public suite à la mort de 64 animaux en six mois. J'ai zappé, concrètement. Mais pas que.
Tu avais 31 ans. Un record pour un ours polaire. Ils ont dit que tu étais parti suite à une "défaillance générale de ton organisme". Une jolie formule pleine de vacuité. Une manière polie de dire les 23 ans passés en captivité. Plus des deux tiers d'une vie. Alors, oui, aujourd'hui, comme le reste de la planète, je pleure ton départ. Avec ces larmes de crocodile, propres à notre époque. Et le plus triste dans l'histoire, c'est que je sais qu'après les avoir séchés, il y aura autre chose. Un accident de voiture, une guerre, un enjeu ailleurs. Mais d'ici là, j'ai vraiment honte. Pour toi. Mais surtout pour nous. Honte de ce que l'homme est capable de laisser faire.
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