La naissance d’un enfant est l’un des plus beaux et émouvants moments que l’on puisse vivre en tant que femme. Mais il arrive parfois que l’accouchement tourne au cauchemar, au point de provoquer un véritable traumatisme dont il est ensuite très difficile de se remettre.
Le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) est un trouble anxieux qui apparaît après qu’une personne ait vécu ou ait été témoin d’un événement terrifiant et ayant entraîné une détresse importante. Il n’est pas déterminé par l’événement lui-même mais par la réaction à celui-ci. Un contrecoup psychologique qui peut survenir lorsque l’intégrité physique est menacée ou atteinte. Ce moment de choc entraîne un intense sentiment de peur, d’impuissance et/ou d’horreur. On ne l’imagine pas forcément, pourtant entre 1,5 et 4 % des femmes vivent un SSPT après la naissance de leur enfant. Et il peut aussi toucher les hommes suite à l’accouchement.
Lorsqu’on parle de stress post-traumatique, on pense à ceux qui ont vécu la guerre ou une attaque terroriste. Donner la vie est une bataille complètement différente. Mais comme l’explique la gynécologue Els Dufraimont, un SSPT qui se développe à l’arrivée d’un enfant n’est pas nécessairement lié à l’accouchement en lui-même : « Il concerne la manière dont la mère a vécu la naissance. Et cette expérience peut être traumatisante, même si elle semble de l’extérieur, s’être passée sans aucun problème. On part souvent du principe que si bébé et maman sont tous les deux en bonne santé, c’est tout ce qui compte. Sans parler du partenaire qui lui ne le vit pas physiquement de l’intérieur et passe souvent plus vite à autre chose. Tout cela rend parfois difficile la reconnaissance du choc vécu par la mère. »
Une perte de contrôle
“Demander de l’aide est une étape importante et difficile. Si la détresse de la maman n’est pas remarquée par le gynécologue, les sages-femmes ou le médecin traitant, alors elle se convainc souvent que tout va bien. Or l’une des réactions de ce trouble est le déni des souvenirs liés à l’événement. Et ignorer les angoisses et refuser de voir les symptômes peut d’autant plus amplifier le stress et conduire à développer un SSPT. Parfois même bien plus tard ou dans d’autres circonstances. Par exemple, on remarque de nombreux cas de femmes vivant un burn out, à première vue lié à une trop forte pression au travail, mais qui en fait est directement lié à un traumatisme à l’accouchement ou durant la période qui a suivi. Cet événement, ayant provoqué une anxiété extrême, a fini, à plus ou moins long terme par se transformer en syndrome de stress post-traumatique.
Je pense que l’on devrait davantage féliciter les femmes pour leur force et leur courage. Chez de nombreuses mères, le SSPT se manifeste après une impression d’avoir failli, d’avoir perdu le contrôle. Cela peut être suite à un événement en apparence minime comme des paroles qui leur ont fait perdre confiance en salle d’accouchement ou une part du travail qui ne s’est pas passé comme elles l’avaient imaginé.
L’expérience m’a appris qu’il suffit bien souvent que la gynécologue ou la sage-femme demande la permission à la maman avant d’entreprendre un geste médical, de façon à lui donner le sentiment de garder le contrôle sur ce qui se déroule. Communiquer permet de vivre l’action comme une décision partagée et pas comme quelque chose de subi. Et c’est également nécessaire pour que la patiente s’autorise ensuite plus tard à venir demander de l’aide si elle en ressent le besoin. Le corps médical doit garder à l’esprit de créer ce lien intime, et pas seulement penser aux actes obligatoires à accomplir. Les femmes doivent se sentir écoutées afin que leur traumatisme puisse s’apaiser. De cette manière il sera possible d’empêcher une angoisse plus profonde qui elle risquerait de conduire à un stress post-traumatique. »
Avant l’accouchement
“Si vous craignez ce moment, n’hésitez pas à rédiger des instructions sur la manière dont vous désirez être prise en charge. Cela vous rassurera et donnera également des indications au personnel soignant sur ce que vous attendez de lui. Ainsi il pourra se référer à vos demandes pour être sûr que tout se déroule de la manière la plus respectueuse possible. Et si certaines de celles-ci ne sont pas respectées, il vous sera plus facile après la naissance de bébé, d’expliquer vos difficultés ou d’éventuelles angoisses. Lorsqu’une urgence se produit pendant le travail, il n’est souvent pas possible d’expliquer les gestes posés, tant ils sont pressés. Et dans les moments d’euphorie qui suivent l’arrivée de son enfant, on ne ressent pas forcément le besoin d’en discuter. Mais parfois ce besoin ressurgit plus tard et il est alors important d’en reparler. »
Après l’accouchement
Si votre partenaire ou vous-même vous reconnaissez dans ces cas de figure ou vivez les symptômes suivants, il y a de fortes chances que la naissance de votre bébé ait été vécue comme un événement traumatisant, ayant entraîné un sentiment important d’anxiété. Sans accompagnement adapté, celui-ci peut se muer en angoisse et conduire à un syndrome de stress post-traumatique.
- Vous revivez l’accouchement par flashs d’images ou sons perçants et ou en faites des cauchemars accompagnés de sueurs nocturnes ou de palpitations… Pénétrer dans une maternité ou sentir des odeurs d’hôpital suffit à vous faire ressentir un stress profond, vous amenant à suer à grosses gouttes et à sentir votre cœur cogner dans votre poitrine.
- Vous présentez des réactions extrêmes comme des moments d’hyperactivité ou de profonde apathie. Une tendance à vous endormir n’importe quand ou à être facilement absente, ou au contraire une très grande nervosité et ressentez un état d’alerte permanent, comme si un danger pouvait frapper à tout moment. Vous craignez par exemple, constamment qu’on fasse tomber votre bébé ou qu’il lui arrive quelque chose de grave.
- Vous évitez de vous souvenir de l’accouchement ou d’aborder le sujet avec d’autres. Lorsque la conversation y vient, vous vous mettez à transpirer abondamment et aimeriez être n’importe où ailleurs. Vous évitez également les visites à la maternité pour ne pas retourner sur les lieux.
- Après une longue période d’hypervigilance et d’état d’alerte constant vous ressentez désormais une grande fatigue, de l’apathie et un épuisement émotionnel et évitez au maximum les contacts avec le monde extérieur. Ces symptômes peuvent être confondus avec une dépression post-partum. »
Sigrid, 34 ans, a longtemps cru qu’elle devait prendre sur elle pour oublier son accouchement traumatisant
“J’étais sûre que mon accouchement se passerait sans souci. Tout s’était bien déroulé la dernière fois, alors pourquoi pas celle-ci ? Quand nous sommes allés à l’hôpital avec mon mari, j’avais déjà des contractions très régulières. Tout semblait trop calme à la maternité. L’atmosphère était tendue, comme si nous arrivions au mauvais moment. Après un examen on m’a directement emmenée en salle d’accouchement. Tout ce que je voulais c’était recevoir ma péridurale au plus vite, comme cela avait été le cas lors de la naissance de mon premier enfant. Mais l’anesthésiste était occupé par un autre accouchement. J’avais l’impression qu’elle n’avait pas ou ne voulait pas prendre le temps pour moi et j’ai commencé à angoisser. J’avais tout imaginé et je tenais absolument à avoir ma péridurale. Mon mari a tout fait pour me calmer mais quand l’injection est enfin arrivée, il était trop tard. Elle n’agissait pas et j’ai paniqué encore plus. La douleur était déjà très forte et le fait que ce ne soit pas ma gynécologue habituelle mais un autre médecin qui m’accompagne ne me rassurait pas du tout. Je connaissais sa remplaçante et j’avais déjà vécu une mauvaise expérience avec elle. Et cette fois ne risquait pas de me faire changer d’avis tant elle était brusque. On aurait dit un para-commando en action et même la sage-femme semblait démunie face à elle.
Elle ne faisait preuve d’aucune empathie, pas le moindre réconfort ni soutien. Au contraire, elle m’ordonnait de pousser alors même que j’étais submergée par la douleur et l’épuisement. Ma peur a pris le dessus. Je ne me sentais pas en sécurité, ni avec elle ni dans cette situation. Après une heure horrible notre fille est finalement venue au monde.
C’était tout sauf un accouchement rêvé mais notre bébé était là et c’était l’essentiel. Cela faisait oublier tout le reste. Du moins c’est ce que j’ai cru… »
S’en sortir seule
“Ce n’est qu’une fois revenus à la maison qu’est arrivé le contrecoup. J’avais de violentes crises de migraine et j’ai dû prendre des médicaments. Cela m’a forcé à abandonner l’allaitement. Un terrible coup pour moi car je tenais absolument à donner le sein à mon bébé. Mon corps réagissait violemment à mon stress et à mon mal-être. J’ai senti que j’avais besoin d’aide et j’ai demandé à être réadmise à la maternité pour y être épaulée par des professionnels. Mais là-bas je n’y ai pas trouvé le soutien que j’espérais. J’avais l’impression de devoir résoudre mes problèmes moi-même et j’ai donc essayé. Mais avec un bébé pleurant et demandant de l’attention constante, il m’était impossible de souffler et de lâcher prise. Alors au bout d’un moment, j’ai craqué. C’est comme si j’avais sombré et que je m’étais perdue. Rien ne m’intéressait plus. Je ne prenais plus d’initiatives. Je me traînais à longueur de journées. Je pensais que c’était normal de traverser une phase comme celle-là. Mais ça ne l’était pas. Quand je suis allée voir mon généraliste, sur les conseils de mon mari et que je lui ai raconté mon histoire, cela m’a ouvert les yeux. Elle m’a rassurée, m’affirmant je n’étais pas faible et que ce n’était pas ma faute mais que c’était simplement trop à supporter. Elle craignait que je me dirige vers une dépression postnatale et m’a prescrit un antidépresseur léger. Cela a rendu le quotidien moins difficile même si je continuais à avoir des hauts et des bas. Je sentais que j’allais un peu mieux mais je ne pouvais pas tout surmonter seule et il m’a fallu l’aide d’un psychologue. Il m’a permis de comprendre qu’à cause d’un syndrome de choc post-traumatique, je n’arrivais pas à me remettre de mon accouchement. Je ne parvenais pas à me défaire de l’angoisse que j’avais ressenti à ce moment-là et mon corps restait en état de vigilance constante. Ce thérapeute m’a expliqué que la crise de panique et la volonté de fuir que j’avais vécu étaient tout à fait normal. Je me rappelle avoir littéralement voulu refermer mes jambes en plein travail pour que ça s’arrête et que la gynécologue a ordonné à mon compagnon de les maintenir ouvertes de force… Pouvoir confier mon histoire à ce psychologue m’a permis de l’entendre prononcée à voix haute pour la première fois. Et ainsi que de l’accepter et de lui donner une place. Mais m’en sortir a dû passer par la reconnaissance de cette souffrance par mon homme, mon médecin et mon thérapeute. Jusque-là, je croyais que je faisais une montagne de pas grand-chose, et qu’il me fallait juste prendre sur moi pour passer outre. Aujourd’hui, j’ai l’impression que tout cela est derrière moi et que je m’en suis sortie, mais je reste vigilante. Je connais désormais les signaux d’alarme et je sais comment réagir si j’angoisse à nouveau. Et j’ai retrouvé ce sentiment de sécurité, que j’avais perdu le jour de mon accouchement. »
La césarienne d’urgence qu’a dû subir Anna, 29 ans, l’a laissée perpétuellement épuisée et angoissée
“Tout commençait pourtant comme je l’avais souhaité. Nous sommes arrivés à l’hôpital un peu avant minuit, alors que j’avais perdu les eaux. Et j’ai directement été amenée et installée dans une chambre qui ferait aussi office de salle d’accouchement. La baignoire et le ballon que je comptais utiliser m’y attendaient et cela m’a rassurée. J’ai même plutôt bien dormi cette nuit-là. Je sentais que le travail commençait, mais les contractions restaient légères et ne progressaient pas très vite et j’ai donc pris une pilule le lendemain matin pour provoquer l’accouchement. Je suivais un rythme assez régulier, avec 1 cm d’ouverture par heure. Les contractions sont devenues de plus en plus fortes. J’ai pris un bain mais ça n’a pas soulagé la douleur. J’ai donc testé le ballon mais lui aussi n’a eu que peu d’effet. La tranquillité que j’avais ressenti jusque-là avait par contre complètement disparue. Je ne m’étais pas préparée à un scénario ou rien ne parviendrait à calmer cette terrible souffrance. J’ai commencé à pleurer et à frissonner. Les contractions se succédaient et c’était de plus en plus dur. Mais quand la sage-femme m’a demandé si je voulais une péridurale, j’ai refusé. À mes yeux, ça voulait dire avoir échoué. Alors j’ai tenté de tenir le coup. Jusqu’à ce que je n’en puisse plus. J’étais épuisée et je n’étais même pas encore vraiment en train d’accoucher. Mon mari remarquait à quel point j’avais mal et m’a demandé si j’étais vraiment sûre de ne pas vouloir d’anesthésie. J’ai fini par céder et accepter. La douleur a disparu mais je me sentais mal d’avoir fait ce choix. Lorsqu’un peu plus tard, j’ai finalement été autorisée à pousser, ça a été le chaos. Mon bassin s’est avéré ne pas être assez large pour que bébé sache passer. Sur le moment, je n’ai pas compris ce qui se passait, je n’ai entendu que les mots : « Ça ne va pas marcher. Il faut pratiquer une césarienne d’urgence. »
S’enfuir de la salle d’accouchement
“Il est devenu impossible pour moi de garder le moindre sang-froid. Dans ma tête c’était clair, j’allais mourir et mon fils ne survivrait pas. Pendant qu’on me préparait pour la césarienne, j’ai paniqué. Soudain, je n’avais plus aucune prise sur le sort de mon bébé. Notre vie dépendait uniquement des médecins.
J’ai commencé à hurler que personne ne pouvait me toucher. Je me souviens que mon mari a dû me retenir alors que j’essayais de sortir de mon lit. Il pensait que je ne savais plus ce que je faisais, mais dans mon esprit c’était très clair : je voulais fuir cette salle d’accouchement dans laquelle je ne pouvais et ne voulais plus mettre mon enfant au monde.
Mon bébé est finalement né. Il allait bien, j’allais bien. C’était tout ce qui comptait. Une fois qu’il a été là, j’ai voulu croire que tout ce qui c’était passé était derrière moi, derrière nous. Mais j’étais entrée dans une sorte de mode de survie. Et même si je récupérais bien et que notre petit bout était heureux, je ne parvenais pas à en profiter. J’avais constamment peur qu’il lui arrive quelque chose. La nuit je vérifiais s’il respirait toujours et j’avais du mal à le laisser, même à mon mari. Pourtant en même temps, j’angoissais de me retrouver seule avec lui. J’étais très contrariée et énervée si nos plans tombaient à l’eau ou ne se déroulaient pas comme prévu, même s’il s’agissait d’une simple balade. Je dormais mal et j’étais absente. Même si je refusais de l’admettre, j’avais un problème. Mais je m’interdisais d’être faible. De m’effondrer comme je l’avais fait pendant l’accouchement. Les semaines sont devenues des mois. Un jour, alors qu’après une énième réaction excessive de ma part, mon homme m’a demandé ce qui n’allait pas et j’ai essayé de lui expliquer ce que je ressentais. J’ai parlé de l’angoisse, des cauchemars, de l’impression de ne plus être moi-même. Nous avons pensé que je faisais une dépression post-partum. Je me suis effondrée chez le médecin et à partir de là tout s’est précipité. J’ai découvert que je souffrais en réalité d’un SSPT. Je n’en avais jamais entendu parler avant. Et on m’a envoyé en thérapie. Il m’a fallu beaucoup de temps pour l’accepter, mais en même temps, c’était un soulagement. Ce n’était finalement pas que mon imagination, il se passait vraiment quelque chose. Après avoir hésité, j’ai finalement accepté de me faire aider et j’ai suivi une thérapie par EMDR, une forme d’hypnose visant à traiter les traumatismes. Cela m’a aidé. Depuis, je parviens plus facilement à repenser à mon accouchement. J’ai réalisé que ce jour-là, j’avais perdu toute confiance en les autres et en moi-même. Heureusement, j’ai retrouvé ce sentiment de sécurité aujourd’hui, et cela fait toute la différence. »
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