Nos vies mises entre parenthèses pendant de nombreux mois ont influencé de nombreux aspects de nos vies, dont notre rapport à la famille ! Laurence Sohy, conseillère conjugale et familiale, nous explique comment et pourquoi nous avons assisté à un rapprochement durable et profond au sein des foyers.
“Dans un passé pas si lointain, deux ou trois générations avant les millennials, la famille restait soudée quoi qu’il arrive et vivait ensemble sous le même toit”, explique Laurence Sohy, conseillère conjugale et familiale, spécialisée en psychogénéalogie. Aujourd’hui, c’est loin d’être le cas. Nous vivons parfois à des kilomètres de nos parents et grands-parents, et nous limitons à notre cocon familial restreint composé, dans le meilleur des cas, d’une maman, d’un papa et des enfants (sans oublier le Golden Retriever!). Sans trop se poser de questions… Jusqu’à ce que la crise du Coronavirus s’immisce dans nos vies, nous obligeant à restreindre encore plus nos contacts avec nos parents, grands-parents, nos cousins et nos tantes.
Ce manque de contact a provoqué chez certaines personnes une prise de conscience, comme le souligne Laurence Sohy: “Le confinement a mis en lumière que la distanciation des liens est une souffrance et que l’individu souhaite peut-être ramener à soi ses proches, renouer et trouver une autre connexion avec les anciens. Ce qu’on a vécu, c’est un peu comparable à un état de guerre. On a vu les gens se battre pour de la nourriture dans les magasins… ça montre un retour à l’état primaire de l’être humain. Et le retour à la famille fait partie de nos fondements.”
D’autant plus que cet état de guerre a fait ressurgir une peur: celle de voir nos proches disparaître. “On savait qu’il y avait le risque d’une issue fatale. On a eu besoin de sentir que nos proches étaient en sécurité, d’où un resserrement des liens intrafamiliaux. Ça relève de l’instinct”, conclut-elle. Et cette peur pour nos proches, nous sommes nombreux à l’avoir ressentie, à l’instar de Florence, 31 ans, qui nous explique avoir appelé sa mamy tous les trois jours pour prendre des ses nouvelles, durant ce confinement: “Je craignais qu’elle ne fasse pas assez attention et je la réprimandais par téléphone si j’entendais qu’elle allait faire ses courses toute seule par exemple. Elle m’a dit qu’elle adorait ce confinement, car elle n’avait jamais été autant chouchoutée de sa vie (rires)”.
Retourner à ce qu’on connaît le mieux
Les mesures de confinement ont notamment donné envie à des familles d’accueillir les aînés, esseulés en maison de repos, dans la maison familiale. “On a assisté à une panique dans certaines familles. On s’est dit que ces mesures étaient trop difficiles à vivre pour les personnes âgées. Quand on est proche de perdre quelque chose, on se rend compte de son importance”, prévient la thérapeute, qui rappelle aussi que de nombreux jeunes, vivant en kot, notamment, sont retournés vivre chez leurs parents le temps du confinement. Camille ne vit pas en kot, mais en colocation à Bruxelles. Dès les premières mesures de confinement annoncées, elle s’est, elle aussi, réfugiée chez ses parents, pour quelques jours, qui se sont transformés en mois… “Je vis dans un appartement avec un mini-balcon. Je sentais que ça allait être une période angoissante et que j’aurais besoin de tendresse et de réconfort, donc je suis retournée chez mes parents, à la campagne”. Un besoin de réconfort intense, pour contrebalancer le climat anxiogène. Le monde extérieur était alors vu comme angoissant, mais aussi inconnu, comme l’exprime la thérapeute:
Face à l’épidémie, nous avons été confrontés à l’inconnu de manière radicale: personne ne savait comment sortir de cette crise. La famille représentait alors ce qu’on connaît et ce qu’on connaît est rassurant.
Ce qui nous est familier nous rassure, nous apaise, et ce, même s’il comporte des aspects négatifs. “Même si une famille dysfonctionne, qu’il y a des tensions, des conflits, des relations toxique: au moins, on sait comment elle fonctionne et ça peut quand même soulager”, confirme Laurence Sohy.
Un retour aux fondamentaux
Depuis la fin du confinement, Florence, 31 ans, a besoin de voir sa famille régulièrement: “J’ai pu revoir ma maman à partir du week-end de la fête des Mères et depuis, j’essaye de la voir tous les week-ends. Avant toute cette épidémie, je ne prenais jamais le temps de retourner voir mes parents, car je mettais mon job, mes amis, les sorties, les après-midis shopping en priorité. Maintenant qu’il n’y a plus rien de tout ça, j’ai pris l’habitude d’occuper mes week-ends en retournant en famille. Et ça me fait un bien fou, d’autant plus qu’elle vit en campagne là où je vis dans un appartement sans terrasse en ville”, souligne-t-elle. Ce rapprochement, même les familles qui vivent ensemble sous le même toit ont pu l’expérimenter, c’est le cas de Catherine, 44 ans et mère de 3 enfants: “J’ai pu télétravailler et même si ce n’était pas facile tous les jours, cela m’a permis de passer plus de temps de qualité avec mes enfants, sans devoir courir entre l’école, le boulot, le cours de danse de Jude et celui de guitare de Jim. Ça nous a clairement tous soudés”.
Avec l’épidémie du COVID-19, la famille a dû se réorganiser. “Les membres d’un foyer ont dû réapprendre à vivre ensemble, à partager des choses qu’ils avaient perdu l’habitude de partager, par manque de temps”, souligne la thérapeute. “Notre société de surconsommation nous pousse à multiplier les activités. Il n’est pas rare de voir des enfants avec 3 ou 4 activités extrascolaires par semaine, sous couvert de leur épanouissement. Avec la mise en quarantaine, tout cela a été mis sur pause et on a réalisé qu’on pouvait s’épanouir autrement, à la maison aussi.” Une réorganisation que Camille a expérimentée lorsqu’elle est rentrée chez ses parents dans la campagne namuroise: “On a mis en place une certaine organisation pour que ça fonctionne. Au niveau de la nourriture, notamment, mon père ayant besoin de sa pièce de viande quotidiennement alors que je ne jure que par le tofu et le quinoa (rires). On a mis en place des petits rituels, comme une balade chaque soir. Le week-end, mon père organisait une promenade à vélo pour le dimanche, tandis que ma mère me faisait découvrir les joies de cuisiner, créer et bricoler”, raconte-t-elle, en ajoutant garder un merveilleux souvenir de cette période avec les siens.
Un besoin de se reconnecter à soi-même
Avec la crise du Coronavirus, nous avons presque tous eu le temps de prendre rendez-vous avec nous-mêmes pour un face à face parfois angoissant. Nous avons pu réfléchir à ce qui était vraiment important pour nous dans la vie, sans le regard extérieur ou la pression de la société. Dépouillés des tracas du quotidien, nous avons été confrontés à notre essence, à notre identité parfois encore floue. Et cet ADN, c’est dans la famille qu’on le trouve: “Passer des moments en famille nous apporte du bonheur car cela crée un sentiment d’appartenance. Être en famille, c’est retrouver les siens, mais aussi son identité. Se reconnecter à sa famille, c’est se reconnecter à soi, comprendre qui on est. Notre famille nous a apporté du positif et/ou du négatif et c’est un bagage qui fait partie de notre identité”, explique Laurence Sohy. “Même le fait d’avoir vécu dans une famille sans amour, par exemple, nous a permis de nous construire par rapport à ce manque de tendresse. Renier d’où l’on vient, c’est se couper d’une part de soi. Notre famille fait partie de nous, même s’il s’agit parfois de notre part d’ombre. On n’est pas obligés de l’accepter, mais on ne peut pas la nier.” Se connecter à soi-même passe donc par un retour aux sources et à quelques dodos dans son ancienne chambre d’enfant. Anecdotique mais pas tant que ça: Camille raconte s’être replongée dans les cassettes vidéo et albums photo d’enfance durant ces quelques semaines en famille…
Le partage intergénérationnel
Ce que Laurence Sohy note également, c’est que le caractère inédit de cette situation nous a amenés à ouvrir le dialogue avec nos aînés. En effet, les jeunes générations n’avaient jamais connu de guerre et des conditions de vie moins confortables par rapport à leurs aînés. Cette mise en quarantaine rappelle, à une échelle différente évidemment, les conditions de vie pendant la guerre et ce parallélisme amène naturellement les plus jeunes à s’intéresser aux histoires de vie de leurs aïeux et aux plus vieux à se rappeler et à se confier sur cette période de leur vie. “Ce confinement a encouragé le partage de l’histoire familiale. Par exemple, certaines femmes ont été obligées de se glisser dans la peau d’une femme au foyer pendant des mois, comprenant ainsi mieux ce que leur propre mère ou grand-mère avait pu connaître”, souligne la thérapeute. “Un regard différent sur sa propre famille s’éveille et mène à une meilleure compréhension ou à un autre point de vue sur les faits douloureux anciens mêlés et réactualisés par un présent douloureux aussi.” Sans oublier que l’assignation à résidence nous a forcés à vivre ‘comme autrefois’: mijoter des bons petits plats plutôt que de manger à l’extérieur, rafistoler son vieux jeans plutôt que d’en acheter un nouveau, cultiver ses légumes dans son jardin ou ressortir son vélo du garage. Autant de nouvelles activités qui ont donné envie à beaucoup d’entre nous d’interroger ceux qui connaissent tout de ce mode de vie: nos grands-parents et nos parents. “En se calquant sur un modèle de vie plus ancien, nous avons eu besoin des conseils des plus anciens” explique Laurence Sohy. Et Florence l’a aussi constaté: “Pendant ce confinement, j’ai eu l’impression de vivre comme ma mère, comme une personne plus âgée, plus posée, plus ancrée et avec moins d’activités, de concerts et de soirées dans tous les sens. Du coup, c’est aussi pour ça que ça nous a rapprochées”. Ce rapprochement survivra-t-il au déconfinement? Va-t-on à nouveau se détourner de la cellule familiale pour reprendre nos vies à mille à l’heure? Personne ne détient les réponses à cette question, mais on peut espérer que cette crise nous ait montré que le secret du bonheur n’était peut-être pas à chercher ailleurs que dans une balade en forêt avec ses parents, un gâteau préparé à quatre mains avec sa sœur ou une conversation de femme à femme avec sa grand-maman. Des moments passés avec ceux qui connaissent le pire comme le meilleur en nous et nous aiment (souvent) inconditionnellement. Des moments avec ceux qui nous semblent acquis, mais qui ne le sont pourtant jamais vraiment.
Remerciements au réseau belge des conseillers conjugaux et familiaux (RBCCF) et à Laurence Dohy: 0477.421.989.
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