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FAUT QU’ON PARLE: et si on arrêtait d’éco-culpabiliser sans cesse?

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Ce matin, j’ai mangé une banane, j’ai culpabilisé. J’ai pris une douche chaude, j’ai culpabilisé. J’ai lu mes 55 mails, j’ai culpabilisé. Cette frustration a un nom : l’éco-culpabilité. Vous la connaissez ?


 

« C’est pas très écolo, ça ». On connaît tous cette phrase, qui hante nos pauses à la machine à café, quand on a le malheur d’utiliser un gobelet plastique.  Mais au final, est-ce notre collègue Jeaninne ou simplement notre propre conscience qui nous susurre ces quelques mots au coin de l’oreille, pour nous rappeler que oui, le monde va mal et que non, vraiment, on ne fait rien de bien (ou pas assez) pour changer cela? Cette petite voix s’appelle l’éco-culpabilité et nous sommes nombreux à en souffrir.

 

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Elle émerge quand je prends ma voiture pour aller au boulot un jour de pluie, oubliant l’existence d’une invention super chouette qu’on appelle le parapluie. Elle pointe le bout de son nez quand je me prélasse dans un bain, alors que, franchement, je n’aurais pas moins senti bon des aisselles avec une douche. Encore hier, j’arrive chez le médecin, il fait super chaud, j’ai archi soif, je remplis un gobelet en plastique d’eau fraîche. Quel kiff ça aurait été sans cette éco-culpabilité qui me donnait l’impression d’être une horrible personne. Celle-ci sévit aussi quand je lance une machine de blanc. Pas remplie la machine: je suis célibataire et j’aimerais sortir ma chemise H&M du bac à linge avant l’année prochaine. H&M : oui, je sais, le diable. Et je ne vous parle pas de mon dernier citytrip à Copenhague : je ne sais pas combien de tonnes de kérosène j’ai consommé pour me détendre 3 pauvres jours de mon existence. Et en plus, j’y ai mangé une pizza prosciutto, alors que je sais pertinemment que l’industrie de la viande est l’un des principaux pollueurs de notre planète. L’autre jour, je me suis carrément surprise à culpabiliser d’être journaliste puisqu’en rédigeant des articles, je détruis des arbres, d’une certaine façon. Comment ça, là, j’exagère?!

 

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Bref, vous m’aurez compris: vivre en 2019, sans être irréprochable niveau empreinte carbone et tutti quanti, avec tout ce qui sort de la bouche de Greta Thunberg, c’est comme inviter Trump à prendre le thé avec Pierre Rhabi : c’est pas l’ambi’. Et c’est bien normal : on nous a offert une vision, un peu biaisée, comme quoi la somme des bons gestes individuels permettrait d’aboutir un changement collectif. Comme on peut le lire dans le magazine Society, qui cite le sociologue Jean-Baptiste Comby, l’effet de ce discours dépolitisé est d’évacuer les vraies causes de la pollution,  « qui sont en réalité bien plus structurelles et collectives : l’aménagement des villes et des transports, l’organisation du travail, le fonctionnement de l’agriculture, le commerce international, la responsabilité des entreprises… ». Cette vision est super culpabilisante : les gestes individuels sont bien sûr utiles, indispensables, même, mais ils ne doivent pas nous faire oublier que le problème est plus large et que tant que le système ne bouge pas, ne pas manger de Nutella ne nous évitera pas de drames environnementaux (désolée pour l’envie de Nutella).

 

Et si, plutôt que de culpabiliser sans cesse pour nos modes de vie, pas assez green, pas assez zéro déchet, pas assez low carbon ou vegan, on rassemblait toutes nos frustrations pour réclamer des changements au niveau politique ? Toute l’énergie qu’on perd à se sermonner sans cesse pourrait nous faire défiler dans les rues 100 fois. Si on créait et qu’on soutenait plutôt des plateformes qui rendraient notre vie écologiquement plus simple ? Plus de supermarchés bios, d’épiceries en vrac, de bornes à vélos et de restos veggie, par exemple. On ne peut certainement pas changer le monde tout seul, mais nos inquiétudes peuvent servir de moteur pour faire exploser un système qui mène à sa perte. Un peu d’optimisme, bon sang !

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