Faut qu’on parle: non, je ne balancerai pas mes porcs
Au pluriel, oui. Parce qu’en matière de porcs, j’ai de quoi ouvrir un abattoir. Mais j’ai préféré planter leurs portraits dans mon jardin secret. Pour viser leur sale tronche avec les fléchettes de mon mépris.
Je n’avais pas six ans lorsqu’un premier visage familier s’est dissimulé sous son masque de gros dégueulasse. Après plusieurs épisodes franchement incommodants, j’ai connu un répit jusqu’à l’adolescence, où là, un parfait Le Quesnoy bien-propre-sur-lui et toujours au premier rang à la messe du dimanche a réveillé le diable qui se cachait en lui. Plus tard, bien plus tard – il n’y pas si longtemps d’ailleurs – un ignoble affreux, persuadé d’un quelconque pouvoir de séduction (je rigole…) a cru bon de me faire goûter à l’excitation électrisante d’être plaquée contre un mur et pour se faire voler un… Non, pas un baiser, certainement pas. Disons un contact labial.
Dois-je leur en vouloir? Les dénoncer sur le grand forum mondial? Non. Et non, non plus. Je ne leur en veux pas, simplement parce que je n’ai pas envie de leur consacrer le moindre fifrelin de sentiment, quel qu’il soit. Ni peur, ni tristesse, ni colère. Rien. Et je veux encore moins les dénoncer car, si ça se trouve, je les ai laissés croire qu’ils pouvaient y aller franco. Oui, même à 6 ans.
C’est vrai que c’est jeune, 6 ans, mais souvenez-vous: a déjà une bonne notion de ce qui est bien ou mal. Et “ces choses-là”, on sait que c’est mal. Ai-je pour autant été “le dire à ma maman”? Non. Même si je détestais ça. J’ai gardé le secret. Preuve que j’étais bien consciente de l’aspect scandaleux du… “jeu”… comme il disait.
Rien vu. Rien entendu. Rien dit.
À l’âge rebelle, où l’on s’amuse presque à trouver des sujets de révolte, me suis-je vengée de ce pourceau de bénitier en l’accusant ouvertement? Non. Même si j’ai tout fait pour l’empêcher de continuer. Même si je l’ai craint et haï tous les week-ends, menottée aux barreaux de mon impuissance.
Il y a quelques années, ai-je crié quand “l’autre” m’a attrapée? Non. Ai-je au moins fait un scandale sur le paysager? Pas plus. Alors suis-je allée trouver la directrice des RH avec laquelle j’entretenais d’excellentes relations? Même pas. Je n’ai rien dit, rien fait, rien vomi. Pire: je suis devenue expert en minauderie et en évitement de sujet. J’aurais pu faire virer cette enflure que nous étions dix au moins à détester. Qui sait, maintenant que j’y pense, j’aurais même pu réclamer des dommages moraux et toucher le pactole grâce à ce connard. Mais non, je n’ai absolument rien fait. Pas une phalange qui n’atterrisse sur la joue mal rasée du bonhomme. Aucun son qui ne sorte de ma bouche prête à dégueuler. Aucune larme qui ne coule pour laver mon affront.
Rien vu. Rien entendu. Rien dit. La parfaite petite femmelette. Alors qu’à côté de ça, j’étais – et suis toujours – la première à sortir de ma bagnole pour engueuler tout qui m’apparaît comme un Fangio. La première à dire à la petite vieille qu’elle ne manque pas d’air à me dépasser dans la file de la boulangerie, j’étais là avant, putain. La première à hurler sur mes gosses quand ils me mentent parce que c’est pas bien de mentir.
Mais balancer mes porcs? Jamais.
Oui, on peut dire non
Car en fait, c’est moi que je devrais balancer. Mon attitude molle. Mon indignation relative. Moi qui avais pourtant toutes les clés en main, qui connaissais la solution, qui savais pertinemment que ce genre de dérapage est sévèrement puni. Moi qui aurais pu, aurais dû avoir le courage de me defendre. Et maintenant, quoi? Entrer dans la grande ronde solidaire du hashtag? Limite, être contente d’avoir moi aussi un porc à balancer pour faire partie de la bande? Jamais de la vie.
On se plaint souvent, nous, les femmes, de ne pas être soutenues par ces messieurs, de devoir nous battre pour obtenir le même salaire, avoir les mêmes droits, être traitée d’égale à égal. Or, on se complait dans ces revendications de petites choses fragiles, comme si “toutes ensemble, on était plus fortes.” Comme si, depuis que des stars ont levé le voile sur la vérité crue d’Hollywood, on se devait d’élever notre voix pour inciter d’autres sœurs de galère à le faire elles aussi. A mes yeux, c’est un spectacle pathétique.
On peut dire non. On peut dire “dégage pauvre tache”. On peut aller se plaindre. Ces actrices, effectivement (tenez, voilà le bâton pour me faire battre), pouvaient envoyer paître ce déchet qui leur tendait le contrat où clignotait le montant ahurissant de leur cachet. Elles pouvaient aller trouver des journalistes pour lâcher leur bombe et faire exploser l’empire de leur bourreau. Mais, c’est vrai, c’était cracher dans la main de celui qui les nourrit… Si je les admire aujourd’hui d’oser dire la vérité? Ha ha ha. Non.
Moi la coupable
Je ne me prends pas pour Angot face à Rousseau, non. Je dis juste – parce que j’ai le droit de pouvoir écrire ce que je pense et que c’est mon métier de le publier – qu’il faut qu’on arrête, nous, les femmes, de croire qu’on est rien sans la reconnaissance universelle de notre combat et de nos souffrances. Je pense – mais ça n’est que mon avis – que ces #Metoo n’ont ni queue ni tête. Si on a quelque chose à dire, une plainte à déposer, un coup de genou à bien placer, on n’a pas à se gêner. Exactement comme devraient le faire les hommes si nous les harcelions. Venir des années plus tard participer à cette grande queue-leu-leu sur Facebook, c’est tout simplement, à mes yeux j’insiste – du grand n’importe quoi. Je compare cela à ces phrases ridicules qu’on nous invite à inscrire en statut pour – laissez-moi rire – participer à la lutte contre le cancer du sein. Inutile, provocateur, impudique et théâtral. C’est à moi que j’en veux, de ne pas avoir été plus forte et plus intelligente, d’avoir réagi comme l’on s’attend à ce qu’une femme réagisse. Ma grande gueule, pour une fois, j’aurais mieux fait de l’ouvrir pour prendre ma défense.
Allez-y, ne vous gênez pas. Battez-moi.
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