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La surefficience mentale, ou vivre sa vie avec une intensité amplifiée

Manon de Meersman


Des pensées qui fusent sans cesse, des questions qui se posent en continu, une sensibilité exacerbée... Les surefficients mentaux sont des personnes possédant des capacités naturelles ou des fonctionnements différents de ceux de la moyenne, et dotées d’un potentiel hors-norme, bien souvent trop encombrant. Ces personnes, on les appelle “zèbre”, “profil atypique” ou encore “HP”.



“Face à une situation ou à un problème, j’ai l’impression que mon cerveau analyse rapidement les choses et toute une série d’éventualités pour finalement s’arrêter sur une vision claire. Je compare souvent mon mode de raisonnement à un tableau mécanique dans les gares où les plaquettes bougent à toute vitesse pour changer les horaires et d’un coup s’arrêtent  sur l’horaire adéquat. C’est le même type de bouillonnement dans ma tête, et puis la stabilité”, explique Isabelle, 52 ans, professeur de français, diagnostiquée il y a peu HP, soit “haut potentiel”. La pensée en arborescence – c’est le nom que porte ce genre de pensées – fait partie de la surefficience mentale. “Une idée en fait jaillir dix, qui à leur tour en font jaillir dix nouvelles, fonctionnant par association d’idées, dans un foisonnement infini. Cela explique que votre cerveau n’arrête jamais. Il y a toujours de nouvelles portes qui s’ouvrent”, explique Christel Petitcollin, Conseil et Formatrice en communication et développement, dans son bouquin “Je pense trop: comment canaliser ce mental envahissant?”.

Vivre la surefficience mentale au quotidien n’est pas une tâche simple, au contraire. “Qui pourrait penser qu’être intelligent puisse faire souffrir et rendre malheureux?“, écrit Christel Petitcollin. “Pourtant, je reçois souvent en consultation des gens qui se plaignent de trop penser. Ils disent que leur mental ne leur laisse aucun répit, même la nuit. Ils voudraient débrancher leur esprit, mais ils souffrent surtout de se sentir différents, incompris et blessés par le monde d’aujourd’hui. Ils concluent souvent par: ‘Je ne suis pas de cette planète!’“, ajoute l’écrivaine. Alors quand on parle de surefficience, de quoi parle-t-on exactement et en quoi est-ce aussi lourd à vivre?

Une hypersensibilité pas toujours simple à vivre


Avec une pensée en arborescence, les surefficients mentaux vivent avec un fourmillement constant de pensées, les menant dans des tourbillons d’idées. “Là où la pensée séquentielle enchaîne une idée après l’autre de façon linéaire, cette pensée explore simultanément et parallèlement de nombreuses pistes de réflexion. Cela se fait naturellement et inconsciemment. Le travail est extrêmement rapide, au point que la solution semble s’imposer d’elle-même”, explique Christel Petitcollin.

Mais ce mode de pensée est loin d’être le seul trait de reconnaissance des surefficients mentaux. En effet, ces personnes sont également dotées de capteurs hypersensibles: on appellera cela l’hyperesthésie, terme scientifique pour désigner le fait d’avoir les cinq sens dotés d’une acuité exceptionnelle, que ce soit le goût, l’odorat, la vue, l’audition ou le toucher. Cette hyperesthésie exacerbe, de facto, la sensibilité, faisant des surefficients mentaux des personnes hypersensibles.

Dans mes raisonnements et ma manière d’expliquer, les mots ont vraiment leur importance, ils portent les détails de ma pensée... Impossible pour moi de faire court, par souci d’honnêteté aussi”.


explique Isabelle. Un raisonnement confirmé par Christel Petitcollin qui explique que les surefficients “sont sensibles au ton employé, aux mots prononcés, aux expressions du visage, à la gestuelle de leur entourage. Cette hypersensibilité les rend avides de précision. Pour eux, un mot est rarement synonyme d’un autre puisque chacun apporte sa nuance”. Vivre avec cette hypersensibilité n’est pas forcément simple. En effet, si l’on imaginait un schéma, on pourrait voir les informations reçues par ses personnes comme transitant par le coeur avant d’arriver au cerveau. “Les hypersensibles sont envahis par leurs émotions comme autant de tempêtes incontrôlables. Baladés par leurs changements d’humeur, ils font des montagnes russes entre anxiété, accès de colère ou de rage et des moments de déprime”, écrit Christel Petitcollin. Cette hypersensibilité donne elle-même lieu à une hyperempathie.

Émotionnellement, j’ai des ‘feelings’, des ressentis, sans pouvoir toujours nommer les choses, les décoder, mais régulièrement, je ressens physiquement si une personne n’est pas bien, c’est une espèce d’intuition.  Je suis très très sensible aux intonations de voix... Par exemple, une hésitation dans la voix d’un interlocuteur, je la perçois à la puissance 10, c’est ce qui fait qu’avec certains élèves ça barde parfois”.


explique Isabelle. Et cela est tout à fait normal. En effet, les surefficients mentaux parviennent à capter, à deviner et à ressentir l’état émotionnel des gens qui les entourent et ce, même s’ils ne les connaissent pas. “Je constate que les gens, parfois des inconnus, se confient à moi très très facilement sur des choses très privées de leur vie... J’ai parfois l’impression d’être un aimant à émotions“, décrit Isabelle. Cette empathie décuplée peut être synonyme d’invasion émotionnelle. Ces personnes “aimeraient bien ne pas ressentir les souffrances des autres. C’est souvent de façon soudaine et involontaire qu’ils sont submergés par les états d’âme des gens qu’ils croisent”, précise Christel Petitcollin.

Une difficulté à être compris


Lorsqu’elle a appris qu’elle était un “zèbre”, Isabelle est d’abord restée incrédule. “Je continue à me documenter et lors de mes visites suivantes chez ma psychothérapeute, je lui demande de me réexpliquer les choses, je lui pose de nombreuses questions – j’ai  d’ailleurs un petit carnet avec moi, avec toutes les questions que je veux lui poser. Ça a l’air bête à dire, mais jusque là, je m’étais souvent sentie différente des autres... Pas toujours comprise... Ce qui est logique en fait”, exprime Isabelle. Ce sentiment de différence est commun à tous les surefficients mentaux, les faisant souffrir d’un vide identitaire. “Comment se faire une idée précise et positive de qui on est et de ce que l’on vaut quand l’entourage n’y comprend rien?”, questionne Christel Petitcollin dans ses écrits, comparant la pensée de ces personnes à un entonnoir, alors que la plupart des gens possèdent une pensée en tuyau. “Or on ne peut pas faire rentrer un entonnoir dans un tuyau“, précise Christel Petitcollin pour parler de cette difficulté à cerner le monde de pensée des surefficients mentaux.

Heureusement, lorsque je l’ai appris, j’ai eu une sensation de soulagement, comme si je comprenais qui j’étais vraiment. Je suis ‘différente’, mais pas dingue.”


ajoute Isabelle. Cette sensation de différence se répercute malgré tout dans une certaine mesure sur l’estime de soi, aka la mesure, particulièrement subjective, de sa propre valeur. Une bonne estime de soi nous permet de donner une impulsion positive à nos vies. L’estime de soi se créant et s’entretenant à travers les signes de reconnaissance et nos réussites, elle part avec des difficultés de base pour les surefficients mentaux, qui les amène à construire un “faux self”, soit un “faux moi”, permettant de s’adapter à la vie en société. Mais à côté de ça, les surefficients mentaux possèdent un système de valeurs bien ancré. “Ils ont une idée très précise de ce que doivent être la justice, la franchise, la loyauté, l’honnêteté, l’amitié, l’amour et revendiquent leurs critères extrêmes comme étant normaux et évidents”, explique Christel Petitcollin.

Un long chemin avant l’acceptation


Lorsque la personne découvre qu’elle est HP, elle ressent d’abord un énorme sentiment de soulagement. “Je me sens rassurée par rapport à moi-même“, explique Isabelle. Et quel soulagement qu’est celui d’enfin pouvoir mettre des mots sur ce que l’on ressent. Mais il est courte de durée et le chemin avant l’acceptation peut prendre plus ou moins de temps. “Je voudrais apprendre encore davantage à vivre avec mes ressentis, à vraiment intégrer les choses... Je me sens encore fragile... Mais je ressens aussi que cette fragilité me permet de rester très humaine”, explique Isabelle, qui apprivoise encore, quelques années plus tard après cette découverte, sa surefficience mentale. Dans son livre “Je pense trop: comment canaliser ce mental envahissant?”, Christel Petitcollin livre des clés pour appréhender au mieux cette surefficience mentale. Elle y explique notamment comment ranger et organiser ses pensées, comment restaurer son intégrité en passant de la valorisation de l’image de soi à la culture de l’amour de soi, comment optimiser le fonctionnement de son cerveau ou encore comment bien vivre sa surefficience en société.

“Je continue mon travail pour apprivoiser cette notion et j’apprends à exprimer les choses en en tenant compte. Par exemple, par souci d’efficacité, en conseil de classe, je pouvais dire des choses droit au but; comme m’a dit ma directrice “même si tu as raison, on peut se sentir jugé”. Je suis tombée des nues car il n’y avait pas de jugement pour moi... Mais je disais simplement les choses clairement. Ma perception et celle des collègues n’était pas la même... Donc j’apprends désormais à faire passer les messages autrement, ce qui n’est pas facile”, explique Isabelle. La surefficience mentale est complexe et donne du fil à retordre aux personnes qu’elle touche, les envoûtant dans un monde où tout est “hyper” et “trop”, un monde où les raisonnements sont complexifiés et les pensées décuplées.

J’accepte aujourd’hui de vivre avec certains traits de ma personnalité. Par exemple, je comprends pourquoi je suis parfois en retrait. J’aime observer et parfois je suis assaillie de ressentis et ça me fatigue énormément... Mais avant, j’osais pas dire ‘j’en ai assez, j’ai pas envie’, parce que je croyais que c’était pas normal. Aujourd’hui, je sais que j’ai le droit de le dire, de le faire, je m’écoute davantage et surtout, je culpabilise moins...”


conclut Isabelle.



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