Internet déborde de films porno, mais tous ne se valent pas. Nous nous sommes glissées dans les coulisses de SuperFemmes, une production de la réalisatrice Erika Lust. Et nous avons discuté ensemble de l’évolution de l’industrie du porno.
Le porno. Il y a peu de temps encore, ce mot faisait rougir. Presque tout le monde en regardait, mais toujours en cachette. Dans les vidéoclubs, les films étaient planqués derrière un rideau rouge et l’offre gratuite en ligne ne brillait pas par la qualité de ses dialogues. Les stars de porno féminines répondaient aux stéréotypes les plus clichés et la seule diversité qui existait n’était présentée que sous forme de fétichisme dénigrant comme le BBC (Big Black Cock, soit « grosse queue noire »), MILF (Mother I’d Like to Fuck, soit « mère que j’aimerais baiser ») et l’Ebony (porno avec une femme noire).
Jusqu’à ce qu’une nouvelle génération de producteurs, de réalisateurs et d’acteurs mettent la main à la pâte. Ils ont examiné de près le contenu, le style et le message de la pornographie pour en ressortir une nouvelle plateforme. Une plateforme où l’on accorde plus d’importance à l’authenticité, à la beauté et à la diversité. Où la qualité prime sur la quantité et où les scènes fades et bon marché cèdent la place à un érotisme respectueux aussi beau qu’excitant. À la source de cette (r)évolution se trouve une femme qui a réussi à développer sa plateforme indépendante en ligne pour donner naissance à l’une des chaînes de divertissement pour adultes les plus primées au monde: Erika Lust.
Mauvaise impression
Erika Lust, réalisatrice et productrice:
Comme beaucoup d’autres, j’ai découvert le porno à l’adolescence. J’ai immédiatement eu l’impression que quelque chose clochait. Le porno grand public n’était pas un reflet du sexe réel. Tout y était orienté autour du plaisir masculin, sans laisser de place à l’expérience et au plaisir de la femme. Le sexe ne semblait y être qu’une question de pénétration.
D’un côté, le manque d’imagination et d’authenticité des histoires était soporifique et de l’autre, les titres et les scénarios étaient empreints d’une agressivité inquiétante. Tout sauf sexy, en fait. Que ce soit pour moi en tant que femme, ou pour toute autre personne qui ne répond pas aux stéréotypes de l’homme blanc, hétérosexuel et cisgenre (où le genre ressenti d’une personne correspond à son sexe biologique, ndlr).”
Voix des femmes
“Avec le temps, j’ai ressenti le besoin de faire mon propre truc. Je voulais créer un film porno explicite mais authentique avec de belles images et une intrigue passionnante. Un film qui exprimerait ma vision, mes goûts et mes valeurs et qui redonnerait de l’importance au plaisir féminin. Mais aussi une production où le plaisir masculin ne serait pas réduit à un besoin de domination. En 2004, j’ai sorti The Good Girl, une version humoristique de l’intrigue classique du livreur de pizza. J’ai mis le film en ligne gratuitement, sans m’attendre à grand-chose. À ma grande surprise, ce court-métrage a été téléchargé massivement. Cela m’a fait réaliser que je n’étais pas la seule à chercher une alternative. J’ai reçu des e-mails de gens du monde entier, qui me demandaient quand sortait le prochain film. Erika Lust Films était né.”
SuperFemmes.
Changer une industrie est une évolution
“Jusqu’à aujourd’hui, ma mission est toujours restée la même. Dans chacune de mes productions, je veux dresser un portrait réaliste du plaisir, pour et par tous ceux qui s’intéressent au sexe. Je veux promouvoir une culture saine basée sur le consentement mutuel. Je veux toucher tout le monde, quels que soient ses désirs, sa morphologie, son identité sexuelle et sa couleur de peau.
Plutôt qu’une représentation plastique et mécanique de ce à quoi le sexe ‘devrait’ ressembler, je veux dépeindre des relations sexuelles torrides et saines. Capturer toute la tension sexuelle : l’alchimie entre deux personnes, l’émotion des corps qui se touchent, l’évolution des sensations tout au long du rapport. Pour moi, le sexe n’est pas qu’un acte, c’est une expérience globale, qui va de la séduction à l’intimité physique.
Sur le tournage de “SuperFemmes”.
La diversité, même en coulisses
“Nous sommes tellement habitués à voir des gros plans d’organes sexuels dans la pornographie ! Dans le porno grand public, la plupart des plateaux de tournage sont gérés par des hommes, une tendance qui reflète clairement le fait que l’industrie du porno est encore dominée par des hommes blancs et hétérosexuels.
Sur nos plateaux, les femmes sont en majorité que ce soit derrière la caméra, dans les studios de montage ou dans la conception et l’écriture des scénarios. C’est le seul moyen de donner vraiment sa place à la vision féminine du sexe.
Pour les acteurs professionnels (essentiellement les femmes) qui sont habituées à des petites équipes majoritairement masculines, notre plateau donne l’impression de faire partie d’un environnement amical, encourageant et sûr. J’ai aussi quelqu’un sur le plateau dont la tâche spécifique est de s’occuper des acteurs. Nous confions toujours le catering à un service local qui prévoit une nourriture saine et investissons aussi dans des logements de qualité et des vols payés. Enfin, avant chaque scène de film, je leur parle pour m’assurer qu’ils se sentent bien avec ce qu’ils vont faire. Le fait que nous mettions tant d’attention à créer un environnement de tournage confortable donne aussi une âme à nos décors.”
Sur le tournage de “SuperFemmes”.
Un porno n’est pas un autre
“À l’ère du numérique, le porno est inévitable et constitue souvent la première confrontation des jeunes au sexe. Alors qu’à notre époque, les violences faites à l’égard des femmes, des personnes d’autres origines ou de la communauté LGBTQ+ continuent d’atteindre des sommets effrayants, notre société ne place toujours pas l’éducation sexuelle en priorité. Je pense que c’est un gros problème.
Quand le porno défend des comportements nocifs et donne la priorité au plaisir masculin, les jeunes garçons finissent par croire qu’ils doivent ‘performer’ d’une certaine façon. Ils ont l’impression de devoir être dominants, ou pensent que toutes les filles aiment qu’on les étouffe, qu’on les batte ou qu’on leur éjacule dessus. Cela peut rendre les jeunes hommes terriblement nerveux et les pousser à faire (involontairement) mal aux filles.
Nous ne pouvons pas empêcher les jeunes de regarder du porno en ligne. Ce qui est impératif, c’est de leur donner un cadre pour qu’ils puissent rester critiques face à ce genre d’images. Ils doivent comprendre la différence entre les types de porno qui existent et le véritable sexe entre adultes consentants. Nous avons besoin de modèles qui enseignent aux jeunes que le sexe est plus que ce qu’ils voient en ligne, et que le porno amateur disponible gratuitement montre généralement des représentations nuisibles de la sexualité. C’est pourquoi mon mari et moi avons créé une organisation à but non lucratif appelée ThePornConversation.org, conçue pour aider les parents et les éducateurs à aborder le sujet de la pornographie avec les jeunes.”
Une alternative précieuse
“Depuis quelques années, de plus en plus de gens cherchent des alternatives aux stéréotypes du porno mécanique. Ils veulent explorer différents types de films pour adultes et cherchent autre chose que les sites amateurs gratuits. Ils en ont marre des gros plans sur les organes génitaux, des corps d’hommes sans visage, des scénarios pourris et des intrigues sans émotion. Ils préfèrent payer pour du porno de qualité, comme ils le font pour un abonnement Netflix. Ce qu’ils veulent voir, c’est du sexe réaliste, de l’érotisme, de la passion et un contexte crédible, présentant les hommes et les femmes comme maîtres de leur propre corps et de leur propre plaisir.”
Sur le tournage de “SuperFemmes”.
Inspirés de vrais fantasmes
Pour les courts métrages de la plateforme Xconfessions, je m’inspire des fantasmes sexuels que les gens proposent anonymement sur mon site. Généralement, je choisis les fantasmes qui stimulent ma propre imagination et puis je crée le scénario à partir de là. Il m’arrive aussi de penser à un concept intéressant et de chercher un témoignage ou un aveu pour nourrir mon idée et la traduire en film. C’est donc une construction basée sur de vraies personnes, avec de vrais fantasmes et une vision réaliste du sexe. L’objectif est de montrer le plus de diversité possible et de ne jamais se répéter. Si j’ai appris une chose ces dernières années, c’est que les possibilités de films sont infinies si l’on s’inspire de la vie réelle et si l’on essaie de se diversifier le plus possible.
Pour le tournage de SuperFemmes, je me suis inspirée d’une fille qui m’avait raconté qu’elle rêvait de devenir une super-héroïne dont la mission serait d’aider toutes les femmes dont le petit-ami ne pratique pas le sexe oral. J’ai tout de suite trouvé le concept sympa et émancipant.
Mon équipe et moi avons développé le scénario sur base de trois super-héroïnes : Superclit, Vagitarian et Steetlits. Dans le court-métrage, ces féministes endurcies se donnent pour mission d’agir contre les amants égoïstes et contre tous ceux qui font obstacle au plaisir féminin. SuperFemmes combine le live et l’animation, ce qui rend son style encore plus spécial. Enfin, un film de super-héros ne serait pas complet sans un plan à trois torride de nos superfemmes après une rude journée de travail… »
SuperFemmes est sur XConfessions.com
Texte : Elien Geboers et Julie Braun
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