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TÉMOIGNAGES: l’attente pour recevoir une aide psychologique est interminable

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste


Si vous tombez gravement malade ou que vous vous cassez une jambe, il est normal que vous consultiez immédiatement un médecin. Malheureusement, ce n’est pas aussi évident si vous êtes aux prises avec des problèmes mentaux. De nombreux jeunes sont actuellement sur liste d’attente pour recevoir de l’aide.

Sophie*, 20 ans, souffre de dépression depuis des années. En mars, elle devait se rendre chez le psychiatre, mais son rendez-vous a été annulé à cause du premier confinement. Jusqu’à aujourd’hui, elle n’a trouvé nulle part où aller.


« J’ai eu de nombreux hauts et bas ces six derniers mois. Parfois, je me sentais très optimiste, parfois je me disais que le monde entier était mauvais. Et j’ai quelques fois été sur le point de faire quelque chose de stupide. Mais par rapport à il y a 3 ans, je me sens déjà mieux aujourd’hui. J’ai toujours la crainte de craquer un jour, mais j’ai déjà connu pire. Mes sentiments dépressifs ont débuté à mon entrée en secondaire. Pendant la puberté, ils se sont transformés doucement en longues périodes sombres. Je me sentais complètement paumée. J’avais peu d’estime de moi, je me sentais inutile, je pensais que personne ne m’aimait... J’étais tellement enfoncée dans une spirale destructrice que j’ai fini par me dire : ‘Pourquoi est-ce que j’existe encore ? Pour moi, ça n’en vaut plus la peine.’



Je ne vis pas, je survis

Le jour où ma maman a vu les cicatrices sur mes bras, ça a été trop pour elle : nous avons commencé à chercher de l’aide. Chaque jour, je devais me battre contre moi-même. Il m’arrivait parfois de me poser quelque part, de regarder dans le vide et d’avoir l’impression que je ne vivais plus. J’avais le sentiment que je ne pouvais plus être sauvée, et me scarifier était à mes yeux la seule manière de garder le contrôle sur quelque chose. D’être maîtresse de ce que je ressentais. Les mauvais jours, il n’y a pas grand-chose “à affronter”, juste le simple fait de vivre. Et beaucoup de pleurs. Heureusement, ce genre de phases ne durent aujourd’hui plus de quelques jours, alors qu’avant, elles pouvaient durer des semaines.

Au début de cette année, je me suis malheureusement à nouveau sentie mal pendant une longue période. C’était à cause d’une combinaison de facteurs: le stress à l’école, un colocataire qui s’était suicidé et plusieurs décès dans ma famille.

Et puis avec toute cette crise du Coronavirus, j’avais du mal à rester positive. Comme l’idée de mettre fin à mes jours revenait me trotter dans la tête, j’ai réalisé qu’il était à nouveau temps de chercher de l’aide.




La danse comme échappée

À cause du Coronavirus, je ne trouvais nulle part où être admise, ce qui était très dur pour moi. Je m’isolais à nouveau dans ma chambre, je pleurais beaucoup, je ne faisais rien… Pourtant, je me disais: peut-être que je n’ai pas besoin d’un psychiatre, que ça va passer. En même temps, je savais au fond de moi qu’en repoussant le moment d’être aidée, les choses ne s’arrangeraient pas. En fait, je pense même que mes idées noires ne disparaîtront jamais complètement et que ma dépression est une chose avec laquelle je vais devoir apprendre à vivre. Mais un jour, j’espère avoir une sorte de contrôle sur elle.

Mon copain et ma famille ont été mon roc pendant toute cette période. Ils étaient l’oreille attentive dont j’avais parfois besoin, me distrayaient avec de belles choses les mauvais jours… Pour le moment, je suis sur liste d’attente depuis six mois. J’aurais pu recevoir un appel si une place se libérait entre-temps, mais ça n’a pas encore été le cas. Je suis frustrée qu’on me laisse à mon sort sans me proposer de solution transitoire. J’ai récemment repris mon vieux hobby, la danse classique, et je remarque que j’en tire beaucoup d’énergie. Me concentrer sur autre chose et me vider la tête, ça m’aide. J’essaye tant que possible de me remplir la tête avec des pensées positives pour retrouver une sorte de paix intérieure. Je sais que les choses iront mieux un jour. Ou au moins, qu’elles seront plus supportables. »

* Sophie est un nom d’emprunt.

 

Jana, 18 ans, a été hospitalisée pour la première fois quand elle était en cinquième humanité. À ce moment-là déjà, elle a dû attendre de l’aide pendant cinq mois. Et maintenant que son état s’aggrave à nouveau, elle doit attendre six mois.


« J’ai commencé mes secondaires en option Sciences sociales et techniques et je trouvais ça super, mais je n’ai pas obtenu 80 % et mes professeurs estimaient qu’il valait mieux que je me redirige vers l’enseignement professionnel. Je suis restée dans ma filière malgré tout, mais quoi que je fasse, je trouvais que ça ne suffisait pas. Mes sentiments ne concordaient pas avec mes résultats: malgré mes bonnes notes, je n’étais pas contente de moi. Je me sentais éloignée de ma famille, je me mettais trop de pression. À un moment donné, j’ai craqué. J’avais un petit ami et c’est le seul qui me procurait du bonheur. Quand j’ai découvert qu’il m’avait trompée, ça a été la goutte de trop. Je n’allais déjà pas très bien, mais là, j’ai commencé à avoir des pensées suicidaires, et j’ai cherché de l’aide. Après quelques appels, j’ai pu, cinq mois plus tard, me rendre dans un centre de santé mentale. Entre-temps, je suis restée à la maison, avec mes idées noires.

Le système belge suppose qu’on peut estimer six mois à l’avance qu’on va sombrer, c’est ça? Heureusement que ma belle-mère était là. C’est grâce à elle que je suis toujours là.


Elle a toujours été présente pour moi, elle a cru en moi. C’est ma meilleure amie et mon filet de sécurité.

J’attendais quelque chose de tout à fait différent de mon internement. J’espérais une thérapie intensive et ciblée, mais c’était plutôt un lieu où reprendre son souffle pendant quelques mois. Tout le monde vient pour trois mois, et peut ensuite demander une prolongation. Au centre, mes journées se sont structurées: réveil à la même heure tous les jours, repas, thérapie, temps libre… Mais cela ne m’a pas fait me sentir mieux pour autant. Une fois par semaine, j’avais un rendez-vous individuel avec mon psychologue et une fois par mois, je voyais mon psychiatre. Tous les autres moments étaient en groupe. J’ai eu beaucoup de mal après mon départ, quatre mois plus tard. Là-bas, on vous retire du monde et de la société, vous recevez une structure, de la sécurité, un endroit où vous pouvez toujours être écouté. Mais une fois que vous sortez, vous êtes renvoyé dans la société sans ménagement. Après ma sortie, j’ai été confrontée devant un choix compliqué: retourner à l’école ou passer le jury central.

Au jour le jour

En octobre, je suis retournée à l’école. J’ai directement été submergée par la matière que j’avais manquée. J’ai directement senti la pression peser sur mes épaules. Le jour de mes 18 ans, j’ai décidé de quitter l’école et de passer les examens du jury central. Depuis, j’ai réussi trois examens, et grâce à ce système, je peux planifier mes examens moi-même et les annuler si les choses ne se présentent pas bien. Pendant tout un temps, je me suis sentie mieux, mais dernièrement, ça s’est à nouveau dégradé et je ne sais pas vraiment pourquoi. Je ne voulais pas décevoir ma famille à nouveau, donc pendant longtemps, je n’ai pas osé le dire à mon père et pas même à ma belle-mère, ce qui m’a vraiment fait peur.

Il y a quelques semaines, j’ai finalement trouvé le courage de tirer la sonnette d’alarme et de chercher de l’aide. Mais là encore, je dois attendre des mois avant qu’un endroit soit disponible. Il y a quatre lieux où je peux être admise, mais pour chacun d’entre eux, je dois attendre le rendez-vous avec le psychiatre avant de pouvoir m’inscrire.


Pour l’instant, j’attends le rendez-vous avec le psychiatre pour pouvoir éventuellement surmonter les prochains mois grâce à un traitement. Je prends vraiment les choses au jour le jour. Je vois les autres qui mènent leur vie, vont à l’école, ont de bons amis, une relation amoureuse... Et moi, je n’y arrive pas. Mais je veux travailler sur moi-même et il n’y a pas de raison d’en avoir honte. »

Yana, 21 ans, a été admise en service psychiatrique à l’hôpital en septembre 2019. Sept mois plus tard, elle devait être admise ailleurs, mais le Coronavirus est arrivé…


« Dans un hôpital psychiatrique, la prise en charge est très individuelle. Il y a parfois des thérapies de groupe, mais la plupart du temps, vous êtes un peu isolé, et donc un peu seul. Un tel service est destiné aux admissions courtes, de trois mois maximum. Au final, j’y suis restée sept mois, mais je n’étais pas encore là où j’aurais dû être. C’est pourquoi mon psychologue a proposé de me transférer dans un lieu où l’approche serait différente, et c’est ainsi que je suis arrivée dans un centre de réhabilitation psychosociale. Vous y vivez dans une maison avec huit autres adultes. Ensemble, vous vous occupez de tenir la maison et vous recevez aussi une thérapie. L’accent est mis sur la collaboration et le soutien mutuel, pour que vous puissiez gagner en indépendance, traiter le passé et construire votre avenir. Pour moi, cela semblait l’endroit idéal. En février, je m’y suis rendue pour un rendez-vous d’admission. Il n’y avait personne sur la liste d’attente donc on m’a dit qu’à la fin du mois de mars, je pourrais prendre la place de quelqu’un qui partait.

Comme je voulais reprendre mon souffle à la maison quelques temps entre deux admissions, mon internement à l’hôpital s’est terminé le 8 mars. Ce qui s’est passé la semaine suivante, tout le monde le sait…

Le Coronavirus est monté en flèche et le confinement a été annoncé, également pour le centre de réhabilitation psychosociale. Les patients n’étaient plus autorisés à en sortir ou à rentrer chez eux, et il ne pouvait pas y avoir de nouvelle admission.


Il n’y avait aucune perspective claire quant à l’évolution de la situation et j’ai bien senti que j’avais besoin d’une thérapie entre-temps, mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Surtout au début, il n’y avait vraiment nulle part où aller, parce que personne n’avait le droit de prendre de nouveaux patients.

Quête d’identité

Finalement, j’ai trouvé quelqu’un qui m’a proposé un rendez-vous en ligne via vidéo-conférence, mais je n’ai pas accepté. Je trouvais fou de passer un entretien d’admission de cette manière, de m’ouvrir à quelqu’un comme ça. J’ai fini par rester quatre mois à la maison, entre mes deux admissions, sans aide ni accompagnement. Après six mois passés hors de ma famille, je me retrouvais soudain parmi eux. Ce n’était facile ni pour eux, ni pour moi, et cela a donné lieu à de nombreuses disputes. Comme je n’étudie plus, je n’ai plus vraiment de distraction. C’était vraiment une période très sombre pour moi. Lors de mon entretien d’admission précédent, le psychiatre a remarqué que j’avais déjà suivi beaucoup de thérapies et que j’avais pas mal d’acquis à ce sujet. Mais pendant ces quatre mois, j’en ai perdu beaucoup.

Fin juin, j’ai finalement reçu l’appel salvateur qui m’annonçait que je pourrais entrer au centre en juillet. Entre-temps, nous sommes quelques mois plus tard et j’ai encore un long chemin à parcourir, mais je remarque une grande différence par rapport à mon internement à l’hôpital. Là-bas, il y avait des gens de tous les âges, avec toutes sortes de problèmes. Ici, nous ne sommes que des jeunes adultes et l’accent est mis sur l’identité et la recherche de qui l’on est. Comme nous faisons tout ensemble, je me sens beaucoup moins seule. On se soutient les uns les autres, on est vraiment dans un processus commun. C’est aussi parfois compliqué à gérer, mais nous y travaillons. Pendant mes quatre mois à la maison, j’ai senti que je voulais aller de l’avant, mais que je ne pouvais pas y arriver. Maintenant je rebondis enfin, mais il y a encore du travail à faire, pas à pas. »

 

Vous cherchez de l’aide ?

En appelant le 103, vous bénéficierez d’une écoute gratuite et anonyme de 10h à minuit, 7 jours sur 7 (www.103ecoute.be). En Wallonie, chaque province compte aussi un réseau intersectoriel consacré à la santé mentale des enfants et des adolescents. Il dispose de ressources qui peuvent vous être utiles. N’hésitez pas à les contacter : www.archipelbw.be, www.reseau-sante-kirikou.be, etc.




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