J’ai le COVID, et je n’étais pas préparée à son impact sur ma santé mentale
Essoufflement, fatigue, maux de tête, toux, crampes, perte de l’odorat et du goût... Mais aussi anxiété, insomnie et dépression: si les symptômes physiques du COVID-19 sont connus (et scrutés) de tous, la maladie a aussi un impact non négligeable, et pas suffisamment connu, sur le mental. Notre journaliste, Kathleen, l’a appris à ses dépens et raconte son expérience.
Tout a commencé un lundi. Logique: les pires histoires commencent toujours le lundi matin. Après un week-end très productif mais malheureusement peu reposant, et alors que le soleil des dernières semaines avait fait place depuis quelques jours à un temps plus froid et humide, soudainement, mon fiancé a annoncé être en train de tomber malade. Je l’avoue, un peu honteusement d’ailleurs au vu des événements qui ont suivi, ma première réaction a été de rire. C’est que Chéri a face au moindre rhume une tendance au drame qui fait passer les autres hommes, pourtant déjà pas en reste, pour des monstres de stoïcisme face à la maladie, et exposée de bon matin au spectacle de mon compagnon de télétravail planté devant son écran avec le visage caché jusqu’aux yeux par une écharpe, forcément, j’ai ri, et j’ai même posté une petite photo gentiment moqueuse de son accoutrement sur Instagram. Et puis le thermomètre a indiqué qu’il frôlait 39 de fièvre, et tout de suite, la situation m’a semblé beaucoup moins drôle.
D’ailleurs, 48h plus tard, ça n’a pas loupé (ou plutôt, le karma ne m’a pas loupée) et c’est moi qui ai commencé à ressentir crampes, maux de tête et fièvre, au point de devoir demander un jour off à la rédac’, et d’en profiter pour découvrir que les “sueurs froides” ne sont pas qu’une expression mais bien une affliction ultra désagréable, durant laquelle on a l’impression de bouillir tout en étant recouvert d’une pellicule de sueur glacée en prime. Délice. Et pourtant (insouciance! idiotie!) je n’ai pas immédiatement pensé au COVID. Quand on est tombés malade, le pic actuel d’infections n’était pas encore atteint, tout juste si les médias se bornaient à continuer de répéter le même refrain usé, “attention, la deuxième vague arrive”. Tous deux persuadés d’avoir un vilain refroidissement (“la crève”, comme on dit à Liège), on a tout de même sonné à mon papa, médecin, qui nous a dit qu’un test n’était pas obligatoire, vu qu’on ne présentait aucun symptôme respiratoire, avant de se raviser 24h plus tard et de nous rédiger les papiers nécessaires. Grand bien lui en a pris puisque nos tests sont tous les deux revenus positifs. Et si, assez rapidement, mon mec a réussi à se défaire de la plupart des symptômes de la maladie (le pouvoir de son écharpe magique?) pour moi, l’enfer a commencé après mes 48h de sueurs froides.
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Un brouillard mental impénétrable
J’ai honte de l’écrire, mais sur le coup, j’étais même relativement ravie. Je blâme ça sur la fièvre qui me faisait un peu délirer, mais quand je me suis pesée après deux jours passés à transpirer à grosses gouttes au lit sans presque rien avaler, et que j’ai vu que la balance annonçait moins 2 kilos, pour peu, c’est presque si je n’ai pas bondi de joie. Odieux, oui. Plus triste encore: l’extase passagère provoquée par la lecture de mon poids allait être mon dernier moment de bonheur avant longtemps. De manière insidieuse, sans que je comprenne d’abord bien ce qui se passait, j’ai commencé à lutter contre une crise existentielle très difficile à vivre. Alors que j’exerce le job de mes rêves, que je m’apprête à me marier avec la version la plus réaliste d’un Prince Charmant en dehors des contes Disney et qu’on vit ensemble dans un super duplex, depuis lequel on planifie mille aventures, d’un coup, tout m’a semblé nul et insoutenable. Ma vie était nulle, nulle, nulle, et un refrain me tournait en boucle en tête: “tout plaquer pour aller habiter à Berlin, tout de suite”.
Le premier jour, j’ai réagi comme un beauf de base et je me suis dit “tiens, on sent que je vais bientôt être réglée”. Sauf que a) l’arrivée de l’armée rouge n’a jamais qu’une influence minimale sur mon humeur, merci la pilule monodosée et b) non seulement le sentiment ne s’est pas atténué au gré du cycle, il n’a fait qu’empirer, et au 10e jour d’affilée passé dans un brouillard anxiogène, j’ai dû me rendre à l’évidence: il y avait un problème. Plus rien n’avait de goût, pas seulement les aliments (cimer la perte de goût et d’odorat) mais bien la vie en général. Moi qui suis une lectrice compulsive, je n’arrivais pas à lire plus d’une page, aucune activité ne m’apportait de plaisir, tout me semblait pénible, compliqué et inutile. C’est là que je me suis rappelée une conversation avec ma pote Elo l’été dernier, et cette phrase, alors qu’elle me racontait la convalescence de son père, atteint par la 1e vague de COVID: “le plus difficile, ça a été vers le 8e jour, tout à coup il n’avait plus goût à rien”. D’un coup, j’ai arrêté de remplir la valise mentale que je préparais pour ma fuite à Berlin, et j’ai décidé plutôt, quitte à être journaliste, d’effectuer quelques recherches. Et si ce mal-être était lié non pas au fait que ma vie est nulle, nulle, nulle (elle ne l’est pas, en vrai) mais bien à un des effets secondaires du COVID?
Le COVID, la dépression et moi
Spoiler, mais bon je l’avais indiqué dès le titre donc je doute de l’effet de surprise: la réponse est “oui”. S’il est encore trop tôt pour avoir une idée de l’impact psychologique à long terme du Covid-19 sur les personnes atteintes, des chercheurs américains ont compilé 65 études relatives aux conséquences psychologiques d’autres Coronavirus, le SRAS par exemple. Verdict de cette analyse d’envergure, publiée par The Lancet et relayée par la RTBF: des études qui ont évalué les symptômes communs aux patients souffrant du SRAS et du MERS ont relevé différents troubles mentaux, parmi lesquels une confusion mentale (28%), une humeur dépressive (32%), de l’anxiété (35%), des troubles de la mémoire (34%) et de l’insomnie (42%). Un constat inquiétant, qui a poussé le Dr Jonathan Rogers, chercheur à l’University College London et co-auteur de l’étude du Lancet, à mettre ses confrères en garde.
Bien qu’il y ait peu de preuves suggérant que les maladies mentales courantes au-delà du délire de courte durée soient une caractéristique de l’infection par Covid-19, les cliniciens devraient surveiller la possibilité que des troubles mentaux courants tels que la dépression, l’anxiété, la fatigue et le stress post-traumatique puissent apparaître dans les semaines et les mois suivant la guérison d’une infection grave, comme cela a été observé avec le SRAS et le MERS”
Et comme je l’ai appris à mes dépens. Avant de réaliser que le trouble mental que je traversais et mon diagnostic COVID-positif étaient liés, j’en étais arrivée au point d’écouter en boucle des chansons tristes (mention spéciale si elles étaient en prime associées à un souvenir triste) avec les yeux brillants de larmes, et à pleurer en silence en réponse à la phrase la plus anodine. Au bout d’un moment, mon mec s’est sagement abstenu de me demander ce que j’avais envie de manger puisque cette simple question suscitait une crise de larmes accompagnée d’un “je ne veux rien manger puisque je n’ai plus goût à rien, je veux simplement tout plaquer et partir loin d’ici, tout m’oppresse”. Grosse ambiance. Pour peu, dans mes rares moments de clarté mentale, et étant d’ordinaire d’un naturel rieur à mille lieues de l’épave en laquelle je m’étais transformée, j’étais persuadée d’être en train de devenir folle. Ayant la chance d’avoir un frère psychiatre, j’ai décidé de lui passer un petit coup de fil pour en avoir le coeur net.
“Mais évidemment que c’est lié, tout le monde sait que le COVID est associé à des symptômes psychologiques” qu’il m’a répliqué, et sa réponse, abrupte au possible, a eu le mérite de me faire rire tant elle manquait totalement d’empathie. Mais aussi de me donner une arme avec laquelle lutter contre les idées noires qui m’oppressaient: non, le problème ne venait pas de moi ou de ma vie mais bien de cette saleté de virus. Armée de ce nouveau savoir, j’ai commencé à réfuter mentalement la moindre pensée sombre qui m’assaillait, en mode “je refuse d’y penser, ce n’est pas vrai, c’est le COVID qui parle”. Ma pote Jules a eu cette phrase salvatrice, qui s’est ajoutée à mon arsenal de lutte: “mes pensées ne sont pas des faits”, et pour se faire pardonner sa première réponse quelque peu sèche (mais aussi parce que c’est le meilleur frère du monde, coucou Nico si tu me lis), mon frère m’a envoyé une flopée d’articles scientifiques sur le sujet, qui m’ont permis, si pas de vraiment comprendre comment un virus respiratoire pouvait avoir pris mon cerveau en otage, de me rappeler que ce que je traversais était certes, ultra pénible, mais temporaire, et que j’étais loin d’être la seule dans le cas.
Aujourd’hui, à J+20, mon mental compense clairement pour l’annulation de la Foire de Liège en jouant aux montagne russes. Certains jours, je me sens “comme avant”, et je me surprends avec plaisir à éclater de rire, et d’autres, tout m’est pénible et je me convaincs que je ne redeviendrai jamais entièrement moi-même et que j’aurai toujours ce nuage noir honni au dessus de la tête. Compliqué, donc, mais je refuse fermement de devenir une statistique et si le COVID croit pouvoir me coloniser la tête aussi facilement que ça, il se trompe. Parce que j’ai la tête dure, mais aussi et surtout parce que je suis excellemment bien entourée, entre mon fiancé exceptionnel, d’un soutien sans faille, mes parents prévenants, mes amis adorables et mon frère aka mon psychiatre personnel. Mais aussi parce que j’ai la chance de savoir ce qui m’arrive et que le comprendre est essentiel pour pouvoir lutter. En espérant que cet article puisse donner à d’autres les mêmes armes: t’es gentil COVID, mais tu prends tes cliques et tes claques et tu te tailles de nos têtes. Et de nos poumons aussi, tant que tu y es, merci.
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