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Le deuil périnatal, ce vide qui rend les parents orphelins

Kathleen Wuyard

Chaque année en Belgique, environ 900 bébés décèdent durant la grossesse ou pendant les premières heures de vie. Un phénomène qui reste tabou malgré les statistiques en hausse: le deuil périnatal. Pour briser le silence, et tenter d’exorciser leur douleur, des femmes qui l’ont vécu ont accepté de témoigner.


Le deuil périnatal, c’est d’abord un manque. Le ventre soudain vide, alors qu’hier encore, un bébé s’y agitait, le berceau vide lui aussi, où aucun enfant ne viendra se reposer. C’est le manque d’informations, aussi, et d’accompagnement, certaines femmes ne bénéficiant pas d’un congé pour se remettre de la perte de leur bébé. Et puis un manque de paroles, surtout. Parce qu’en 2018, le deuil périnatal reste tabou, et ce silence vient exacerber la douleur et la désorientation de parents qui ont tout perdu. Comme Mélinda et Sam. Originaire de la région liégeoise, ce jeune couple attendait son premier enfant l’année dernière, et se préparait avec joie à son arrivée, jusqu’à la deuxième échographie. “C’était le 20 novembre, je n’oublierai jamais cette date. Au départ, rien de flagrant, même si la gynécologue me stressait. C’est après une amniocentèse et de longues semaines d’attente que les résultats sont tombés: trisomie 12 et 17”. Perdus, mal informés, Mélinda et son compagnon entendent parler de retards éventuels et de probabilités, mais rien de concret. C’est en sollicitant l’avis d’une généticienne de Bruxelles qu’ils apprennent la gravité de la situation de leur bébé. “Elle nous a expliqué que notre fils ne marcherait jamais, ne saurait pas se nourrir ni même uriner tout seul, le cervelet n’étant pas assez développé. Certains trucs me tombaient dessus, d’autres avaient été évoqués, mais jamais directement” se souvient Mélinda, qui regrette que les soignants n’aient pas été plus clairs avec elle, “certainement parce qu’ils avaient peur d’être trop brutaux”. Une “protection” que n’a pas connue Véronique Legrand, maman de 5 garçons et d’une petite fille, décédée à 19 semaines de grossesse.

Ma fille avait une malformation cardiaque, et aucune opération n’était possible. Elle était en détresse foetale, et mon gynécologue m’a conseillé de prendre une décision très vite. Je n’ai pas du tout apprécié qu’il me dise qu’il “valait mieux maintenant plutôt qu’à la naissance” et que j’y étais de toutes façons “moins attachée puisque ce n’est que le début de la grossesse”. 19 semaines, pour moi, c’est loin d’être le début de la grossesse!


Une expérience traumatisante qui a donné envie à Véronique d’agir et de fonder Les p’tites Mimines, une association qui accompagne les parents victimes de deuil périnatal et leur offre un espace pour s’épancher. “Après avoir rencontré tellement de parents, de mamans désemparées, de papas impuissants, il était important pour moi de m’engager. Ils étaient si nombreux, si seuls, je ne pouvais pas rester sans rien faire”. Parce que même si une telle perte s’accompagne forcément d’une douleur sans nom, c’est en mettant des mots sur sa souffrance que l’on peut oser espérer avancer.

Un cauchemar bien réel


Même si le chemin est long. Professeur d’arts plastique et maman d’une petite fille de 6 ans, Françoise était enceinte d’un petit Arthur, jusqu’à une interruption brutale de sa grossesse à 28 semaines: déchirure de l’utérus. Amenée en urgence à l’hôpital, sans rien comprendre à la situation, c’est au réveil qu’elle réalise que son fils n’est plus avec elle.

Le monde s’effondre.  Cette douleur est tellement forte que l’on aimerait disparaître. Dans un premier temps, tout devient une épreuve. Respirer, penser, parler. C’est un tel choc.


Et même si Arthur a été enterré le 18 janvier dernier, la douleur de ses parents, elle, reste bien à la surface.

Son absence est un déchirement. Voir la porte de sa chambre constamment fermée et celle de sa grande sœur ouverte... tout est dit. Quand vous vous réveillez et que vous avez fait un cauchemar... vous ne vous sentez pas bien du tout. Puis vous reprenez vos esprits, et vous vous rassurez car ce n’était qu’un mauvais rêve. Et bien nous, c’est tout l’inverse. Quand nous arrivons à dormir, nous sommes un peu soulagés, et c’est au moment du réveil que toute la douleur revient... le cauchemar est réalité.


Une réalité face à laquelle le personnel soignant semble encore bien trop désemparé.

Partir à trois et revenir à deux


Quand Mégane a appris en février 2009 que son fils était décédé à un peu moins de 24 semaines de grossesse, elle a pu compter sur le soutien de son gynécologue, qui “a été exceptionnel”. Mais ça s’arrête malheureusement là pour elle: “sage-femme, assistante sociale et psychologue ont été ignobles en comportement et en paroles. Par exemple la sage-femme « n’avait pas que ça à faire » quand il a fallu me donner le médicament qui arrête le fonctionnement placentaire”. Pas facile en effet d’aborder un sujet qui reste tu même lors d’études qui préparent pourtant les sage-femmes à accompagner les futures mamans. Sage-femme par vocation et elle-même maman d’une petite fille, Perrine Boveroux se souvient “qu’on a abordé le sujet, quelques fois, mais je n’ai pas beaucoup de souvenirs. Je pense qu’on n’est jamais vraiment préparé à affronter ce drame, on nous donne des pistes durant nos études, mais surtout, on observe la réaction des sage-femmes durant nos stages”. Voire, dans les pires des cas, elles puisent dans leur propre douleur pour accompagner au mieux les parents. C’est notamment le cas de Géraldine Lejeune, sage-femme à l’hôpital de la Citadelle, à Liège, et “maman de quatre enfants dont un petit ange, Quentin”, décédé le 6 décembre 2006 après 28 semaines de grossesse.

Je suis la plus concernée par ce phénomène au sein de mon équipe, car je suis là seule à avoir vécu une interruption médicale de grossesse… et toutes les démarches, questionnements, sentiments qui accompagnent ce phénomène. J’ai même proposé à ma chef de m’occuper des patientes concernées, car j’ai envie d’aider par mon expérience, mais aussi pour continuer mon travail de deuil.


Et cela fonctionne: “le jour de mon entrée à la Citadelle, j’ai eu une bonne étoile qui m’a mise sur le chemin de Géraldine, une sage-femme à qui je serai éternellement reconnaissante d’avoir partagé avec moi son expérience de la perte d’un bébé. J’étais en stress total, et elle m’a aidée à me calmer et à ne pas m’en vouloir de cette décision lourde à porter” se souvient Mélinda. Car souvent, à la douleur des parents s’ajoute un sentiment de culpabilisation difficile à ignorer. Aide-soignante dans la région de Tournai, Pauline a perdu sa fille, Léana, décédée in utero à 24 semaines de grossesse, et se souvient d’un “déni très fort”.

L’accouchement a été très long, très éprouvant, aussi bien physiquement que psychologiquement. Comment se préparer à mettre au monde un bébé décédé ? Il n’y aura aucun cri, rien. Un lourd silence, rien de plus. J’ai eu ma fille dans mes bras, cela a été à la fois le plus beau et le pire moment de ma vie. Le retour à la maison est un “crève-cœur”: partir à trois, et revenir à deux. Ce ventre qui reste rond, devoir continuer à enfiler ses pantalons de grossesse alors qu’on sait très bien que notre ventre est vide, tout comme notre cœur.


Et si le cadre légal qui entoure le deuil périnatal n’est pas vide, il est toutefois largement insuffisant selon les mamans qui ont accepté de témoigner. En Belgique, la loi prévoit que tout enfant né sans vie à partir du 180ème jour de grossesse (6 mois) a une existence légale. Concrètement, cela implique un acte de déclaration d’enfant sans vie reprenant le lieu et la date de l’accouchement ainsi que le sexe de l’enfant, et même, si les parents le désirent, le prénom de celui-ci. Mais cela veut aussi dire qu’un bébé mort moins de 180 jours après sa conception n’a quant à lui aucune existence légale. Ainsi, le fils de Mégane, décédé juste avant le cap des 6 mois, “a été inhumé dans une passerelle sans aucune stèle ni distinction, puisque la loi ne permet rien d’autre. Après plusieurs années de contacts, j’ai pu rapatrier mon petit garçon dans ma région, où j’ai pu lui offrir des funérailles dignes”. Mélinda, elle, a pu offrir une sépulture à son petit Gennaro: “j’y avait droit ! Et heureusement ! Je ne comprends pas qu’il faille un nombre de semaines définie pour pouvoir l’enterrer et qu’il soit reconnu”. D’autant qu’outre l’enterrement, la reconnaissance légale implique également que certaines “mam’anges” n’ont aucune soupape prévue pour faire face au deuil.

En Belgique, une travailleuse ne peut prétendre au congé de maternité et aux allocations qui y sont liées que si  la fausse couche survient après 180 jours de grossesse au moins. Avant 180 jours de grossesse, elle y a droit uniquement si à l’accouchement, l’enfant est mort-né (mais un médecin confirme qu’il s’agit d’une naissance), décède immédiatement ou un certain délai après l’accouchement. Une distinction inacceptable pour Véronique Legrand.

Les parents ont besoin de reconnaissance, d’être entendus, pas seulement pour eux, mais aussi pour leurs proches qui souvent son démunis face à un tel drame. Ce n’est pas seulement un fœtus, c’est leur bébé, ça pourrait être le vôtre, celui de votre fille, de votre fils, un frère que vous n’avez jamais connu, une sœur que vous n’avez pas pu dorloter… C’est le rêve brisé de milliers de familles chaque année.


Un rêve difficile à reconstruire, et duquel le bébé ne disparait jamais. Si les expériences des mamans qui ont témoigné diffèrent, toutes se disent maman également de ce bébé mort avant qu’elles aient pu lui donner la vie.

Se réinvestir dans la vie


Géraldine, la “sage-femme ange gardien” de Mélinda et de nombreuses autres patientes de la Citadelle dit être devenue maman “grâce à Quentin, son petit ange”. Pauline, quant à elle, avoue que “l’envie de lui offrir un frère ou une sœur est bien présente, mais j’ai tellement peur de revivre cette atroce souffrance”. D’autant que ses plaies sont loin d’être cicatrisées.

Ce n’est pas vivre, c’est survivre comme on peut. Et contrairement aux idées reçues, la douleur ne passe pas avec le temps, pas pour ce genre de perte, car c’est notre chair, notre sang, qui n’est plus. Chaque jour le manque grandit, la seule raison pour laquelle je me lève encore le matin c’est pour que les choses changent, que le deuil périnatal arrête d’être un sujet tabou. Et surtout, parce que je veux que de là-haut, ma fille soit fière de sa maman.


Exposée par son métier à la souffrance de ces parents soudain orphelins, Perrine rappelle quant à elle l’importance de l’écoute et du respect.

La première année est très difficile, mais souvent, les personnes sont bien entourées par leurs proches. Le problème, c’est après, durant la grossesse suivante par exemple: on oublie que la douleur peut refaire surface, parfois de manière plus violente. Des encadrements existent pour les parents, mais le sujet reste tabou, or il est primordial d’en parler.


En 2016 déjà, des médecins issus du Nord et du Sud du pays avaient signé une carte blanche où ils réclamaient notamment l’abaissement de la reconnaissance à 140 jours après la conception, ainsi que le remboursement de soins psychologiques offerts aux parents en deuil périnatal. Sans que la situation ait changé depuis pour autant. Alors les parents se serrent les coudes, créent des associations, organisent des rassemblements, et parlent, pour briser les tabous et exorciser leur mal. Et tenter de se reconstruire. Depuis son interruption médicale de grossesse en 2009, Mégane a mis au monde un autre petit garçon. Mais son premier fils, Nathan, n’est jamais loin d’elle. “Son absence est un poids au quotidien, un manque permanent. Bien sur la vie continue…Mais elle ne sera jamais ce qu’elle aurait dû être, sa présence me manquera toujours”. Une souffrance à laquelle Véronique Legrand tient à répondre un message d’espoir.

La vie n’est plus ce qu’elle était, mais c’est pourtant dans la vie qu’il est important de se réinvestir. Il est important de croire en des jours plus calmes, plus doux. De voir des petits moments de bonheur dans les choses simples.


Et Véronique de rappeler qu’il “n’y a pas de mots magiques, ni de façon de faire « idéale ». Mais permettre à chacun de s’exprimer sur ce qu’il ressent,est primordial. Sans jugement, sans pression de devoir passer à autre chose ou de devoir tourner la page”.

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