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Le dropshipping, l’arnaque shopping en ligne dont vous êtes victime sans le savoir

Kathleen Wuyard


À moins d’être une lectrice fervente de la presse tech, le terme de dropshipping ne vous évoque peut-être rien. Et pourtant, il y a de fortes chances pour que vous ayez déjà été victime de cette arnaque shopping, qui appauvrit l’offre en ligne tout en enrichissant des “entrepreneurs” peu scrupuleux, dont une grande partie coule des jours luxueux à Bali.



Louise l’avoue, si elle n’avait pas lu un article consacré au phénomène quelques jours seulement avant d’en être victime, elle n’aurait jamais fait le lien entre sa mésaventure shopping et le dropshipping. C’est que le principe, qui n’est rien de plus qu’un système tripartite, où des boutiques vous vendent des biens qu’elles ne possèdent pas, reste relativement méconnu sous nos latitudes. Né outre-Atlantique il y a quelques années, le dropshipping consiste à passer commande sur un site qui se positionne comme une boutique en ligne, mais n’est en réalité que la vitrine d’un revendeur qui passe lui-même commande auprès d’un fournisseur pour honorer les vôtres.

Prenez l’exemple des sandales Arizona Love ornées de lambeaux de bandana que toutes les modeuses s’arrachaient au printemps dernier, et qui coûtaient tout de même près de 200 euros pour un ersatz de Teva. Un dropshipper expérimenté repère la tendance dès qu’elle commence à bourgeonner, sent le commerce juteux à venir et lance rapidement une page pour vendre des sandales similaires à prix défiant toute concurrence, sauf qu’il n’en possède en réalité aucune paire et n’est que le relais d’AliExpress, une petite commission pour sa peine en prime. Des “boutiques” dont le terrain de recrutement favori se trouve sur les réseaux sociaux, matraquage de pubs Facebook et Instagram nourries aux cookies à l’appui.

Trop beau pour être vrai


Dans le cas de Louise, c’était presque trop beau pour être vrai: coup sur coup, elle avait aperçu en “ad” dans les stories Insta d’abord, puis sur Facebook ensuite, des pubs pour Lota and Chain, positionnée comme une marque de bijoux indé aux modèles originaux et aux prix doux. “Je cherchais un cadeau d’anniversaire atypique pour ma meilleure amie, qui adore les bijoux mais n’est pas du genre à porter des modèles gentillets, et cette marque est arrivée au moment opportun dans mon feed: non seulement leurs modèles ornés de grigris correspondaient à merveille à son esthétique, mais en prime, le délai de livraison annoncé de deux semaines me laissait amplement le temps de les recevoir avant le jour J”. Louise passe donc commande début janvier, avec un délai de livraison de deux semaines maximum (la boutique étant localisée aux Etats-Unis), et attend patiemment mais sans panique: après tout, l’anniversaire de sa BFF n’est que début mars.

Un détour suspect


Sauf que très vite, les semaines s’enchainent, et, voyant la date se rapprocher, Louise a une mauvaise surprise: le lien de tracking fourni avec sa commande lui indique que son colis est coincé depuis 15 jours en Chine. Pas franchement surprenant, vu le contexte de pandémie de Coronavirus, frappant alors l’Empire du Milieu de plein fouet, mais carrément étrange comme détour sachant que son colis est supposé lui être envoyé depuis les Etats-Unis. Ses mails de demande d’explication restent d’abord sans réponse, puis quand celle-ci arrive enfin, elle est vague et n’offre ni explication pour le colis bloqué en Chine, ni date d’arrivée potentielle de celui-ci.

C’est là que mon franc est tombé et que j’ai réalisé que j’avais été victime malgré moi de dropshipping. J’ai immédiatement annulé ma commande, et eu la chance d’être remboursée rapidement vu que le délai de livraison était largement dépassé”.


Depuis, son intuition n’a fait qu’être confirmée: “j’ai vu les bijoux que j’avais commandés vendus sur différentes “marques”, toutes proposées dans des pubs sur mes feeds Facebook ou Instagram”. Des terrains de chasse privilégiés pour les dropshippers, pour qui ce petit business peut vite s’avérer très lucratif.

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La vie de château à Bali


Incroyable mais vrai: certains d’entre eux sont même devenus des célébrités dans le milieu. C’est qu’entre villas luxueuses, voitures de sport et train de vie fastueux affiché à outrance sur les réseaux sociaux, certains dropshippers possèdent tout le parfait nécessaire des célébrités 2.0. On les trouve notamment en masse à Bali, où le faible coût de la vie leur permet de vivre comme des princes, sans forcément avoir le compte en banque qui va avec. Signe des temps: les espaces de co-working se sont multipliés sur l’île, devenue un véritable paradis pour les digital nomads. Figure de proue du mouvement, Mike Vestil se définit comme un “auteur, investisseur et conférencier, célèbre pour avoir construit un business de 0 à 1,5 million de dollars en 12 mois seulement tout en parcourant le globe”. Et les compliments qu’il se jette ne s’arrêtent pas là, ce beau parleur en rajoutant une couche sur son site internet.

Je suis une sorte de savant fou quand il s’agit de gagner de l’argent facilement de manière passive en ligne. Chaque jour, je concocte de nouvelles manières de générer de nouvelles sources de revenus passives suffisantes pour faire face à une apocalypse zombie. Le tout, en vivant ma vie comme le héros d’une comédie romantique/d’un film d’action et d’aventure”.


En toute modestie, of course. Arrogant, Mike Vestil? Si peu. Mais il a de quoi se vanter: son livre, “The Lazy Man’s Guide to Living The Good Life”, soit le guide de la grande vie pour les paresseux, a reçu des critiques majoritairement dithyrambiques en ligne, il rassemble près de 55 000 followers sur Instagram et certaines de ses vidéos YouTube ont déjà été vues plus de 500 000 fois. C’est que sa vie ressemble au rêve de nombre d’opportunistes de tout poil, qui aimeraient devenir (très) riches, et vite, si possible sans trop travailler au passage. Un rêve rendu en partie accessible par le dropshipping, à condition d’avoir du flair pour les tendances, et de s’établir au bon endroit.



Bali, pour certains, d’autres pays d’Asie du Sud-Est pour d’autres, ou tout endroit offrant une qualité de connexion internet inversement proportionnelle au coût de la vie. Une fois sur place, il s’agit d’avoir le nez fin: tout le succès d’une entreprise de dropshipping repose dans sa capacité de surfer sur la tendance du moment en proposant des biens fort demandés à prix défiant toute concurrence. Comme les bijoux mystiques de Lota & Chain, les parures nacrées il y a quelques mois, des copies convaincantes de la maroquinerie tressée de Bottega Veneta cet hiver ou encore des éléments de déco ornés de perroquets et autres drôles d’oiseaux l’hiver dernier.

La majorité de ces produits étant made in China, quelle que soit la prétendue localisation de l’e-shop trop mignon sur lequel vous les avez dénichés, et la plupart d’entre eux étant en outre vendus par AliBaba, qui sert d’intermédiaire à votre revendeur et qui est en réalité le véritable livreur de vos biens. Les tendances étant capricieuses et volatiles, cela explique aussi pourquoi certaines boutiques, sur lesquelles vous aviez trouvé l’accessoire à la mode du moment, disparaissent tout simplement quelques semaines plus tard: avec les outils actuels de création de sites internet, il est parfois plus simple pour les dropshippers de recommencer à 0 avec une nouvelle boutique dédiée à leur nouveau produit plutôt que de réassortir la marchandise de l’e-boutique précédente, dont l’ADN ne correspond peut-être plus à l’évolution des tendances.



Dans un reportage réalisé parmi les dropshippers de Bali pour Wired, Sirin Kale dénonce l’évidence: “c’est du vent”. Et d’expliquer que les dropshippers à succès ne sont jamais que des bonimenteurs doués: “ils identifient un besoin dans le marché, par exemple des laisses mains-libres pour ceux qui aiment courir avec leur chien, ils en trouvent une version bon marché sur AliExpress, et ils la revendent via des pubs Facebook ciblées sur les joggers qui ont un chien”.

Souvent, ils créent de brèves vidéos promotionnelles alléchantes, et ils vous matraquent sur les réseaux sociaux jusqu’à ce que vous cédiez et que vous achetiez leur produit. Après quoi, il vous faudra attendre au moins un mois avant de le recevoir, un délai qui ne ment pas et permet d’identifier les dropshippers puisque votre produit est en réalité envoyé depuis la Chine”.


Un business fructueux qui permet à des millenials désoeuvrés, rêvant de richesses mais réalisant que les règles du jeu sont plus complexes que jamais, de gagner pas mal d’argent rapidement, sans être esclaves d’un boulot prenant. Et si l’incroyable magot que Mike Vestil affirme avoir empoché en 12 mois seulement grâce au dropshipping (sans preuve toutefois) reste relativement inaccessible, un dropshipper à succès peut espérer gagner jusqu’à 150 000 dollars par an, de quoi vivre incroyablement largement à Bali, même si l’afflux de dropshippers occidentaux qui s’installent sur place fait augmenter un coût de la vie déjà gonflé par les touristes.



Mais comment se prémunir et distinguer les e-boutiques légitimes des vitrines de dropshipping? Certains signes ne trompent pas: aucune page de contact n’est disponible, seulement une adresse e-mail, qui vient de Gmail, hotmail ou autre plutôt que d’être affiliée au site (cela permet aux dropshippers d’économiser des coûts). Les produits sont présentées sur fond uni ou artificiel, les revendeurs n’étant pas en possession du moindre stock pour organiser des shootings, le site est truffé de promos qui incitent à acheter rapidement, et le signe par excellence: les produits sont également vendus sur AliExpress. Et tiens, est-ce que c’est bien légal tout ça? S’il y a clairement arnaque sous roche, les revendeurs faisant passer des vessies pour des lanternes, ou plutôt des camelotes dénichées à prix mini pour des produits ultra désirables, le dropshipping n’est illégal que s’il peut être assimilé à une pratique commerciale déloyale.

Pratiques déloyales


Par exemple, ainsi que l’explique le cabinet d’avocats parisien Haas, s’il s’agit de pratiques commerciales agressives, “caractérisées par des sollicitations répétées et insistantes ou par l’usage d’une contrainte qui est notamment de nature à altérer le choix du consommateur” ou si une confusion est créée avec un autre bien, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif. Et gare à ceux qui voudraient s’offrir la grande vie en se lançant dans le dropshipping: en Belgique, la loi du 6 avril 2010 relatives aux pratiques du marché et à la protection du consommateur qualifie notamment clairement de pratique déloyale le fait de “déclarer faussement que le produit ne sera disponible que pendant une période très limitée ou qu’il ne sera disponible que sous des conditions particulières pendant une période très limitée, afin d’obtenir une décision immédiate”, ou encore “créer faussement l’impression que le service après-vente en rapport avec un produit est disponible dans un État membre de l’Union européenne autre que celui dans lequel il est vendu”. Avec, à la clé, des sanctions régies par une directive européenne, voulues comme “proportionnées, efficaces et dissuasives”, et pouvant, à cet effet, aller jusqu’à plusieurs centaines de milliers d’euros d’amende. L’argent facile a un prix...



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