Les mosquées inclusives pourraient voir le jour grâce à une femme imam
Kahina Bahloul est une pionnère. Après avoir été promue première femme imam de France, l’islamologue de formation ne s’arrête pas: elle milite aujourd’hui pour l’ouverture d’une mosquée inclusive, où hommes et femmes prieraient côte à côte.
D’origine franco-algérienne, Kahina Bahloul est née à Paris mais elle a grandi sur la terre de ses ancêtres, en Kabylie. Après des études de juriste, elle s’intéresse de plus près à la religion que lui a transmise son père, pratiquant d’un islam “empreint d’humanisme, où la tradition peut se conjuguer à la modernité”. Au lendemain des attentats qui frappent la France en janvier 2015, Kahina Bahloul créé le site « Parle-moi d’islam », des conférences en ligne qui ont pour objectif de donner un autre visage à une religion victime d’amalgames en tout genre. Après la mort de son père, elle quitte son emploi pour reprendre des études d’islamologie à l’École pratique des hautes études et s’investit en parallèle dans diverses associations de sensibilité soufie. Religieuse et libérée, mystique et moderne, Kahina Bahloul dérange, d’autant qu’elle se refuse à porter le voile en dehors de la mosquée. Mosquée qu’elle s’apprête à révolutionner avec son projet de lieu de culte inclusif, où hommes et femmes prieraient ensemble.
Une décision motivée en partie par le fait que Kahina ne trouvait pas de lieu de culte correspondant à ses attentes. La solution? Ouvrir sa propre mosquée, baptisée Fatima, et visant à accueillir les femmes dignement. Dans une interview accordée à Baudouin Eschapasse pour Le Point, elle revient sur la genèse de ce projet révolutionnaire.
Il est temps que les femmes musulmanes se fassent entendre et que l’islam leur fasse la place qu’elles méritent. Le Coran a trop longtemps été lu avec des lunettes d’homme. Les textes peuvent être interrogés autrement.
Autrement? Ainsi que l’explique Faker Korchane, le professeur de philosophie d’origine tunisienne avec lequel elle porte le projet, “notre mosquée proposera une approche historico-critique des enseignements du Prophète. Ce qui ne veut pas dire que nous rejetons cet héritage, mais que nous souhaitons au contraire l’envisager de manière contemporaine”. Soit un “islam libéral”, un qualificatif qui en hérisse plus d’un, même si “de nombreux exégètes ont pourtant examiné les textes dans une perspective moderne”. Dont les disciples du mutazilisme, qui aborde le Coran dans une approche de réflexion (“fikr“) et de discernement (“furqân“). Un courant de pensée radicalement à contre-courant de ceux développés dans la plupart des mosquées.
Explications fumeuses
Depuis quelques années, le salafisme, un mouvement de l’islam sunnite prônant un retour aux pratiques en vigueur à l’époque du prophète Mahomet, enregistre un regain de popularité. Les salafistes se distinguent notamment par leur lecture littérale des textes fondateurs de l’islam, et leur conviction que leur interprétation est la seule légitime, ce qui les pousse notamment à rejeter la jurisprudence islamique. En Belgique, le Centre islamique et culturel de Belgique (CICB), installé dans la Grande Mosquée, est considéré comme “un cheval de Troie salafiste au cœur de Bruxelles”. En 2016, une enquête menée par la Libre Belgique estimait le nombre de mosquées sous influence salafiste à une trentaine, soit deux fois plus que l’estimation précédente réalisée en 2001. Dans ce courant de pensée, la place des femmes est archaïque et extrêmement codifiée, celle-ci se devant d’être pieuse, forcément voilée, soumise et prête à servir son mari. Le livre “Nouveau départ avec mon mari”, paru en 2009 aux éditions bruxelloises Al-Hadîth, en dit long.
Certaines femmes négligent le fait de servir l’époux (...) C’est un devoir qui est obligatoire selon l’avis le plus juste”
Si d’autres mouvances islamistes, le soufisme en tête, sont bien plus ouvertes en ce qui concerne le rôle des femmes, la ségrégation des croyants dans les mosquées reste profondément ancrée. Pourtant, à l’époque du Prophète, les deux sexes priaient ensemble, le premier rang étant réservé aux hommes et les femmes prenant place derrière eux. Ceci étant, selon un Hadith (une communication orale du prophète Mahomet ndlr), “les meilleurs endroits de prière pour les femmes sont les chambres les plus intimes de leurs maisons”. La prière du vendredi à la mosquée n’est également obligatoire que pour les hommes, ce qui pousse certaines femmes à ne pas s’y rendre par manque de place. Celles qui viennent tout de même doivent se soumettre à la ségrégation des sexes, justifiée notamment par le besoin d’éviter toute distraction aux fidèles. Le commentaire d’un des utilisateurs du forum Islam et Religions en dit long sur cette justification.
Pourquoi le femmes sont-elles séparées des hommes à la mosquée? Premièrement, imaginons que la mosquée soit pratiquement remplie, les hommes devant, et les femmes derrières. Trois hommes arrivent en retard et il n’y a plus de place entre les hommes et les femmes, que va t-il se passer ? On déplace toutes les femmes ou bien les retardataires vont se placer discrètement derrière les femmes ? Dans le premier cas, les retardataires vont être mal vus et ne recommenceront plus à déranger les femmes, de ce fait ils ne viendront plus prier s’il leur arrive d’être en retard. Dans le deuxième cas, les retardataires s’installent derrière les femmes, mais leur prière risque d’être perturbée par la vue du séant féminin qui s’offrira alors à eux !
La meilleure solution est donc bien la séparation par l’étage”
Des explications qui peinent à convaincre les femmes musulmanes, lassées de devoir prier dans des endroits de seconde zone.
Pas d’interdiction de la mixité
Avec son projet de mosquée inclusive, Kahina Bahloul n’est qu’une des voix d’un mécontentement qui se fait de plus en plus entendre. En juin 2016 déjà, Najat Al-Said, conférencière en communication saoudienne à l’université Zayed de Dubaï, déclarait que l’islam était la seule religion monothéiste qui ne s’est pas adaptée à l’époque moderne, et que ce n’était pas la faute de l’islam, mais bien celle des musulmans, trop conservateurs.
L’islam n’interdit pas la mixité, comme cela ressort de manière évidente du fait que les rituels du Hadj et de la Umrah (le pèlerinage à La Mecque) sont mixtes, de même que la prière dans l’enceinte de La Mecque. Alors pourquoi les hommes et les femmes seraient-ils séparés dans les autres mosquées?”
Et d’ajouter que “l’objectif principal que nous devons poursuivre est d’éclairer la société en étudiant l’islam dans une perspective culturelle qui encourage l’égalité et le respect mutuel entre les hommes et les femmes, au lieu de les séparer comme s’ils venaient de deux planètes différentes”. La volonté de Najat Al-Said?
Transformons les mosquées pour les rendre similaires aux églises!”
De son coté, Hanane Karimi, porte-parole du collectif Les Femmes dans la Mosquée, souligne aussi la nécessité de mosquées qui accordent plus de place aux femmes. La ségrégation des sexes?
C’est un non-sens. Les salles de prière sont faites pour prier, quel que soit le sexe du croyant”
Autant de déclarations qui doivent galvaniser Kahina Bahloul, dont le projet, acclamé par certain.e.s, l’a aussi rendue cible de moqueries et menaces. Qu’importe, il en faut plus pour décourager celle dont le prénom est inspiré de celui d’une reine berbère connue pour sa force de caractère. “La société où s’est forgé l’islam que nous connaissons était très patriarcale, mais nous pouvons soulever cette chape de plomb”.
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