Aux premiers jours du confinement, les gros titres optimistes se sont multipliés. En poussant les deux parents à rester à la maison et à jongler ensemble avec les obligations, forcément, cette période de repli allait avoir des conséquences bénéfiques sur le partage des tâches, ou du moins, les médias choisissaient de le croire. Verdict deux mois plus tard? Ainsi que 10 mères aux foyer en témoignent, le grand rééquilbrage attendu ne s’est pas produit, ce qui ne veut pas dire que tout est entièrement noir pour autant.
Marine, 30 ans, maman de deux garçons en bas âge, a décidé d’adapter son temps de travail dès la première grossesse. Une évidence pour celle qui savait “que j’aurais besoin d’être avec eux, et inversement”. Après avoir passé la première année de son aîné à la maison et accueilli avec surprise l’arrivée du cadet, elle a aujourd’hui repris le travail à temps partiel, une décision concertée avec son compagnon. “S’il pouvait tout assumer financièrement tout en étant suffisamment à son goût à la maison, je resterais auprès de mes bébés tout le temps. Comme mon compagnon est très papa poule, on a pris la décision de réduire mutuellement nos horaires pour profiter à part égale de nos garçons: s’il était le seul à bosser, il ne les verrait plus assez”. L’arrangement idéal, donc? Oui et non: “le partage des tâches est relativement équitable chez nous. En théorie en tout cas, parce que je suis quelqu’un qui a besoin de tout contrôler”. Résultat, si Marine affirme que “ça roule plutôt bien malgré les tensions passagères”, son constat est sans appel: parce qu’elle a du mal à déléguer, elle en fait toujours plus que son mec à la maison. Et elle est loin d’être la seule dans le cas.
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Entre fatigue et fatalisme
Si Sabrina décrit cette période passée à la maison avec son compagnon et leur fils comme “un cadeau”, qui lui permet de voir son bébé grandir à vue d’oeil, niveau partage des tâches, ce n’est pas exactement l’extase totale: “rien n’a changé, je fais TOUJOURS plus que lui”. Et d’expliquer ce déséquilibre par le fait que “les femmes sont multitâches, les hommes, pas, il faut se faire à cette idée”. Une fatalité? Laura, mère au foyer d’une petite fille, concède que son compagnon l’aide plus que d’ordinaire, même si cela ne permet toutefois pas d’inverser la tendance: “avec le confinement, il met plus facilement la main à la pâte, même s’il en fait quand même toujours moins que moi. Il ne voit pas toujours ce qu’il y a à faire et a tendance à se contenter du minimum”.
Et il ne s’agit pas là des témoignages isolés d’un panel de malchanceuses qui auraient tiré la courte paille lors de la répartition des tâches du ménage: une étude réalisée par Harris Interactive en avril dernier, sur demande du secrétariat français chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, révèle ainsi que durant le confinement, la préparation des repas et les tâches ménagères reviendraient principalement aux femmes, plus de deux tiers d’entre elles (68%) estimant que la répartition est inégalitaire au sein de leur couple. Et si on ajoute des enfants, les tensions augmentent: 40% des femmes vivant en couple avec un ou des enfants admettent que des tensions ou des désaccords sont déjà survenus concernant la répartition des tâches ménagères depuis le début du confinement ; contre 26% des femmes en couple sans enfant au foyer. En mars dernier, Amandine Hancewicz, présidente de l’association Parents & Féministes, sonnait l’alarme, annonçant qu’une augmentation des inégalités préexistantes au sein des couples était à craindre, et il semblerait donc que les semaines écoulées lui aient donné raison.
En admiration
Obstacle principal, selon les mamans interrogées pour les besoins de ce reportage? La stigmatisation. Celle de la société, bien sûr, pour qui une mère au foyer reste quelque part toujours un peu plus chanceuse que les mamans qui travaillent. Mais aussi celle qui a lieu dans le chef de leurs compagnons, qui ne réalisent pas toujours l’ampleur des tâches à accomplir, même quand elles sont sous leur nez. Alice, maman de deux enfants, avoue avoir aussi entretenu ces préjugés: “avant d’être moi-même maman, je ne comprenais pas ces mères au foyer, et je me demandais ce qu’elles pouvaient bien faire de leurs journées. Et puis j’ai eu un bébé, puis deux, et maintenant je suis littéralement en admiration face à ces mamans courageuses”.
Les mères au foyer restent stigmatisées, mais uniquement par les personnes qui n’ont connu ni de près ni de loin une mère assez dévouée pour occuper un rôle à part entière durant 126h/semaine si on compte une moyenne de 6 heures de sommeil quotidiennes”.
Et d’ajouter espérer que “tous les papas confinés continueront les nouvelles habitudes prises durant cette période afin de soutenir les mères au foyer et réduire les tâches dont elles se chargeaient habituellement avant le confinement”. Naïf? Pas forcément: si la majorité des mamans confie toujours assumer la majorité du travail à domicile, les habitudes se modifient lentement mais sûrement au gré des semaines de confinement.
Sophie, confie que depuis que son compagnon est H24 à la maison avec elle et leurs deux enfants, “il se rend compte de ce que c’est et fait son possible pour profiter de son rôle de père à 100%”. Laure, infirmière à temps partiel, s’amuse de constater que “mon compagnon, qui a toujours eu une maman qui travaillait, ne comprenait pas ma volonté de rester avec ma fille, et ne comprenait pas non plus qu’en étant à la maison, je ne parvienne pas à tout faire sur une journée. Maintenant qu’il a vécu le confinement, il comprend mieux”. Sabrina, elle, souligne que son compagnon l’aide plus qu’en temps normal, et ne se prive pas de lui rappeler que toutes ces tâches lui incombent d’ordinaire en solo “quand il me dit être fatigué”. Et Marine d’ajouter en note de fond, avec un petit juron bien senti pour appuyer ses propos, que “putain, on a le mec qu’on se fait aussi”. Petit rappel nécessaire à celles qui auraient besoin de prendre le leur par la main pour lui montrer comment la mettre à la pâte...
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