Pourquoi Greta Thunberg divise (et pourquoi les arguments contre elle sont stériles)
Avec sa tresse et sa bouille enfantine, Greta Thunberg a l’air plus jeune que ses 16 ans, jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche et nous mette face à l’état catastrophique de la planète avec une maturité qui manque à de nombreux chefs d’état. Héroïne pour les uns, démon pour les autres, elle divise l’opinion publique, qui n’aime rien tant que l’encenser ou la démonter. Plutôt que de s’intéresser vraiment à ce qu’elle dit, et à agir pour la planète.
La photo émeut autant qu’elle agace. Une fillette à l’air morne, repliée sur elle-même, à côté d’un panneau indiquant “grève pour le climat” face au Parlement suédois. À l’époque, en août 2018, les mouvements #YouthforClimate n’ont pas encore pris d’assaut les grandes villes avec leur grèves du jeudi, et l’enfant, qui a en réalité 15 ans, semble porter sur ses frêles épaules tout le poids du changement climatique et de ses effets dramatiques. Un cliché fort, un peu trop peut-être, qui donne presque l’impression d’avoir été mis en scène. C’est là le premier reproche qui est fait par les détracteurs de Greta Thunberg: sous ses airs de pasionaria à la franchise désarmante, elle ne serait rien d’autre que le produit de l’imagination de ses parents, respectivement chanteuse d’opéra et acteur de cinéma, et donc habitués des rouages de la presse. D’autres vont plus loin: ce n’est pas sous l’influence familiale que Greta agit, mais bien celle des lobbies. Elle serait en effet la “marionnette du capitalisme vert”, rien que ça. De quoi rendre verte Malena Ernman, la mère de la jeune activiste, qui a dénoncé ses accusations dans un long post Facebook en janvier dernier.
En tant que parent, on lui a déconseillé de faire grève pour le climat, et on lui a dit qu’on ne pouvait pas l’encourager parce qu’elle devait aller à l’école. Greta a eu l’idée de ses grèves d’école en s’inspirant de l’environnementaliste Bo Thoren. Personne n’agissait, donc elle a décidé de se lancer”
Source: Getty Images
Voilà pour le “pur produit de l’imagination de papa et maman”. Et la marionnette verte alors? Pour trouver les racines de cette accusation, il faut remonter à un article du 9 février 2019 signé par l’ancienne députée écologiste française Isabelle Attard pour Reporterre, le quotidien de l’écologie. Son titre est sans appel: le capitalisme vert utilise Greta. Selon elle, Greta serait soutenue depuis ses débuts par Ingmar Rentzhog cofondateur de la start-up We Don’t Have Time, un réseau social visant à influencer politiques et chefs d’entreprise pour lutter contre le réchauffement climatique. Et parmi les actionnaires duquel on retrouve notamment les enfants du milliardaire suédois Sven Olof Persson, qui a construit sa fortune en vendant des voitures, entre autres biens. Il n’en faut pas plus pour qu’Isabelle Attard, qui se décrit elle-même comme une écoanarchiste, accuse Greta d’être un rouage dans une conspiration visant à “sauver la planète tout en maintenant la croissance économique et en réclamant encore plus de mondialisation”. Et tant pis si tous les discours donnés par la jeune fille depuis son ascension médiatique vont à l’encontre de cette accusation: Greta fascine, Greta polarise, on l’adore ou on la déteste mais elle prend les gens par les sentiments, alors forcément, les arguments qu’on lui oppose ne se basent pas sur le rationnel mais bien sur le ressenti.
La femme-sorcière au bûcher
Dans une infographie aussi claire que passionnante, le chercheur Albin Wagener s’est attelé à décortiquer les reproches lancés sur Internet à l’encontre de Greta Thunberg. Des critiques qui ne sont finalement pas sans rappeler celles faites à l’encontre de Rosanne Mathot lorsqu’elle écrit sur Stéphane Pauwels, Myriam Leroy quand elle s’exprime dans les médias ou n’importe quelle autre “sorcière” qui a l’audace de ne pas se taire. Cachez cette présence féminine que je ne saurais voir, et surtout, dites-lui de ne pas faire de bruit.
Au-delà de la conspiration du greenwashing évoquée ci-dessus, et du reproche de ne pas laisser la parole “à ceux qui savent”, les critiques faites à la jeune activiste ne sont jamais qu’une redite de celles que les femmes doivent subir. Le reproche de l’appel au pathos, car les femmes sont forcément émotives et irrationnelles, et tant pis si tout le discours de Greta est basé sur des faits avérés et des découvertes scientifiques. La condamnation de la femme sorcière, sorte de Jeanne d’Arc virginale des temps modernes, qui annonce une apocalypse climatique qu’on veut ignorer et qu’on préfère voir comme une diablerie inventée de toutes parts par la Suédoise. Les attaques sur le physique, enfin, parce que Greta est une fille, une jeune femme, et que c’est malheureusement le lot féminin: gare à celles qui s’expriment, elles seront toujours ramenées à leur corps. Des attaques que l’adolescente, à qui on reproche tout, de sa dégaine enfantine à son allure en passant par son visage peu émotif, prend avec philosophie.
C’est triste, mais c’est aussi un bon signe. Qu’ils concentrent leurs attaques sur ma personne prouve qu’ils essaient désespérément de sortir du sujet du réchauffement climatique. C’est le signe qu’on a un impact”
Mais pourquoi tant de haine au fait? Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, on ne peut pas nier que ce qu’elle dit est vrai. Et c’est pour ça, qu’elle suscite tant de colère, parce ce qu’elle empêche ceux qui voudraient se complaire dans une joyeuse ignorance de l’état catastrophique de la planète. La terre va mal, très mal, la vie telle que nous la connaissons est menacée, et Greta n’a de cesse de le rappeler. Si ses critiques lui reprochent de parler de sujets dont elle n’est pas experte, et rappellent à l’envi son âge et son absence de formation adéquate, Greta, elle, se cantonne derrière le slogan suivant: “unite behind science”. Certes, elle n’est ni climatologue, ni scientifique spécialiste de la dégradation de la couche d’ozone, mais elle se fait le porte-voix de leurs messages plutôt que de parler de manière émotionnée et non informée sur des problématiques bien réelles. Elle est l’antithèse même des climatosceptiques, et forcément, cela ne plaît guère à ces derniers, qui font un brouhaha incroyable pour tenter de noyer les vérités rappelées en boucle par la petite activiste venue de Suède. Des vérités qui ne sont pas bonnes à entendre, tant elles font peur pour l’avenir de la planète, et que des personnes pourtant plutôt sensées choisissent aussi d’ignorer, préférant critiquer le “pur produit marketing” au discours “complètement influencé” qu’est selon eux Greta Thunberg. Pas de quoi arrêter cette dernière, qui espère catalyser la peur que ses discours produisent pour nourrir le changement. “Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur qui m’habite chaque jour et que vous agissiez, comme s’il y avait le feu, parce que c’est le cas. […] Il y a encore une petite chance de stopper les émissions de gaz à effet de serre afin d’éviter des souffrances pour une grande partie de la population de la planète”. Pester devant sa télé contre Greta Thunberg, par contre, n’aura aucun effet positif pour la survie de la planète. Vous qui la critiquez aujourd’hui, que ferez-vous, demain, quand il sera trop tard pour agir?
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