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Témoignage: ““Je suis autiste et je ne le savais pas””

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Le 2 avril, c’est la Journée mondiale de l’Autisme. Une maladie qui reste mal connue, même si environ 80.000 personnes sont concernées en Belgique. Les autistes ont un cerveau qui fonctionne autrement, ils s’adaptent mal au changement et ont souvent des problèmes relationnels. Élise, 30 ans, est autiste et a bien voulu se confier à nous sur sa maladie.

 


“J’ai appris il y a trois ans seulement que j’étais autiste et TDAH, même si au fond, j’ai toujours su que j’étais différente. Enfant, j’avais des problèmes de concentration et j’étais rapidement distraite. J’étudiais pendant des heures, pour apprendre trois pages à peine. Je ne comprenais pas pourquoi, j’en avais honte. À l’école, personne n’a jamais rien remarqué, parce que j’ai toujours eu de bons points. Mais pour ça, j’ai dû étudier dix fois plus que les autres, même le week-end, et cela dès la première année. Mes parents préféraient que je joue un peu plus dehors, mais j’étais très perfectionniste et consciencieuse.

À l’adolescence, j’ai commencé à sentir de plus en plus que quelque chose n’allait pas et que je n’entrais pas dans le moule. J’étais très seule et souvent triste, mais sans savoir pourquoi.


En classe, j’étais toujours hors du groupe et mes camarades de classe ne me proposaient jamais de me joindre à eux lorsqu’ils faisaient une activité ensemble. Au début, je pensais qu’ils avaient un problème avec moi, mais plus tard, j’ai commencé à penser que ça venait de moi, même si je n’avais aucune explication à mon comportement. Je pense que j’ai souvent donné l’impression que je voulais être ailleurs ou que je n’étais pas intéressée, alors que ce n’était pas le cas. Il m’arrivait souvent de rêvasser et de regarder ailleurs au cours d’une conversation. Surtout quand il y avait trop de bruit ou quand j’étais dans un groupe. Je me déconnectais automatiquement et je pensais à autre chose.

 

Pas si normale que ça


Quand j’ai eu 19 ans, mes parents ont divorcé, mais je n’étais ni en colère ni triste. Je ne laissais rien paraître, mais toute l’année, je me suis sentie mal. Je ne comprenais pas pourquoi. Je ne sentais pas le lien émotionnel avec le divorce, mais rationnellement, je savais que cela avait quelque chose à voir avec ça. Pour la première fois, j’ai senti que je n’étais pas si normale…

Maintenant que je sais que je suis autiste, je me rends compte que c’était difficile pour moi d’exprimer mes sentiments et que je me suis inconsciemment protégée, parce que j’avais perdu mon seul élément de stabilité, mon nid douillet. Ce changement était bouleversant.


J’ai cherché une explication, mais je ne l’ai trouvée que des années plus tard. Entretemps, j’ai continué à travailler dur à l’école. Je n’avais pas de vie. En deuxième secondaire, j’ai moins bien réussi à l’école, et cela m’a énormément stressée. Je voulais et devais réussir. C’est pourquoi j’ai commencé à imiter mes camarades de classe. S’ils pouvaient le faire, pourquoi pas moi? J’ai donc arrêté de dessiner dans mes livres, je me suis assise au premier rang en classe pour être plus attentive, j’ai rempli mon journal de classe avec beaucoup de rigueur et j’ai pris note de tout ce que les professeurs racontaient. Toutes ces choses que je ne faisais pas en temps normal, parce que j’étais trop distraite et occupée avec d’autres choses dans ma tête. Je me suis imposé des règles strictes. Je devais étudier tous les sujets au moins trois fois, sinon je ne me souvenais de rien. À cause de mon autisme, je devais d’abord apprendre les détails pour pouvoir comprendre et étudier. J’étudiais tous les jours, du matin au soir. Depuis l’âge de 6 ans jusqu’à mes 25 ans, j’ai été coincée entre les livres et les résultats. Je suis très fière de mes diplômes, on ne me les prendra pas. Mais j’ai payé cher pour les obtenir. J’étais de plus en plus épuisée tellement je me battais contre moi-même. Si j’avais su à ce moment-là que je souffrais d’autisme, j’aurais probablement suivi d’autres directions. Le journalisme et la traduction-interprétation sont des emplois où il faut parler à des gens étranges tous les jours, et c’est un enfer pour moi. Je ne m’en rendais pas compte, je voyais que j’étais très stressée, mais je ne savais pas du tout que c’était à cause d’un problème dans mon cerveau.

 

Enfin un diagnostic


Juste avant d’obtenir mon diplôme, quelqu’un m’a dit qu’il avait des problèmes de concentration dus au TDAH. Cela m’a choquée et j’ai immédiatement fait des recherches sur Internet. Enfin, je me reconnaissais dans tout ce que je lisais. J’étais si heureuse d’avoir trouvé ce que j’avais, après toutes ces années! J’ai aussi réalisé que cela n’expliquait pas tout non plus, parce que je n’étais pas du tout impulsive et je n’arrivais pas à bien gérer le changement. J’ai suivi une thérapie, mais même mon psychiatre ne trouvait pas ce qui n’allait pas. Un an plus tard, j’ai lu un livre sur l’autisme… Je n’arrivais pas à y croire: on aurait dit qu’il parlait de moi, tout concordait. Je me suis rendue dans un centre de diagnostic et on m’a dit que je souffrais clairement d’autisme, mais que je parvenais à le cacher mieux que quiconque.

Les spécialistes ont compris que je m’étais rongée à l’intérieur et que cela m’avait coûté beaucoup d’efforts pour essayer de faire les choses normalement. Le fait qu’une personne atteinte d’autisme et de TDAH ait même obtenu son diplôme secondaire tenait presque du miracle pour le psychologue.


Vous ne pouvez pas imaginer quel soulagement cela a été pour moi. Je travaillais déjà à l’époque et mon autisme avait une grande influence sur mon job. Pendant un certain temps, j’ai fait de l’e-mail marketing pour des sociétés externes. C’était horrible! Je devais non-stop contacter des clients, mais je ne supportais pas qu’ils ne me répondent pas ou qu’ils soient trop difficiles. Mon patron disait que le client était roi, mais je ne parvenais pas à travailler avec des gens qui ne respectaient pas leurs deadlines sans même le faire savoir. J’arrivais à travailler avec mes collègues, mais avec les autres, c’était beaucoup plus difficile. Je ne savais jamais comment écrire des courriels, quels mots et quel ton utiliser. Ça me prenait souvent une demi-heure rien que pour en écrire un. Les appels téléphoniques étaient un enfer. Finalement, ils m’ont virée, parce qu’ils voyaient bien que ça n’allait pas.

 

#nofilter


Maintenant, je vais mieux, même si chaque jour reste une lutte contre moi-même. J’ai dû mal à attendre le train qui a souvent du retard. Je ne peux pas conduire, car je peine à me concentrer et que la circulation est tellement imprévisible. Mais le train n’est pas beaucoup mieux et je me fatigue parfois au travail. J’ai du mal à me concentrer au milieu de tous ces bruits. Je ne peux rien filtrer. Je m’entends bien avec mes collègues, mais j’ai toujours du mal à réfléchir à ce qu’il convient de leur répondre, à ne pas rêvasser ou détourner le regard au cours d’une conversation, et à montrer de l’intérêt. Je parviens très bien à cacher mon autisme, mais après toutes ces années, je suis tellement épuisée que ça ne marche pas toujours très bien. Parfois, je ne sais plus qui je suis, comment je peux redevenir moi-même.

J’ai essayé toute ma vie de m’intégrer dans cette société, mais je ne me sens pas chez moi et en m’adaptant constamment, je m’éloigne de plus en plus de moi-même. Je sens que le monde est un cercle et que je suis un carré.


Quand je rentre du travail, je suis exténuée, je n’arrive même plus à réfléchir. Pourtant, un deuxième travail m’attend: prendre une douche, me laver les cheveux, faire les courses, cuisiner, préparer mes sandwiches. Je sais que tout le monde le fait, mais pour moi, c’est vraiment trop. Mes parents sont heureux de m’aider. Ils me donnent parfois des repas à congeler et ma mère me conduit partout. Mais je dois apprendre à me gérer seule et c’est un vrai défi. Pour chaque jour de travail, je devrais rester à la maison pendant une journée pour récupérer. Mais ça ne marche pas comme ça, j’ai besoin de mon salaire et je ne suis pas en mesure d’obtenir une aide financière de la caisse d’assurance maladie. En même temps, je ne supporter pas de me sentir moins capable que tout le monde. Alors je continue à me battre et j’espère ne pas flancher. Je vais toujours chez un psychiatre qui m’aide à mieux gérer les choses. Je n’abandonne jamais et je continue de chercher des solutions pour me rendre la vie un peu plus facile. J’ai aussi commencé un blog pour aider les autres.

 

Quelqu’un qui me comprenne

Je ne suis pas en couple en ce moment, mais j’ai besoin de quelqu’un qui m’accepte telle que je suis et qui puisse gérer le fait que je suis différente, parce que je ne peux pas me changer. J’ai eu un copain qui était très impulsif et, un soir, il a suggéré spontanément qu’on parte en week-end. Mais c’était impossible pour moi. À cause de mon autisme, j’ai besoin que tout soit réglé longtemps à l’avance. Où allons-nous dormir, qu’allons-nous faire, à quelle heure? Mon ex a eu le sentiment d’étouffer et nous avons finalement rompu, parce que nous étions trop différents. J’espère trouver quelqu’un qui me comprenne, mais en attendant, j’essaie de trouver ma propre voie.”

 

Interviews: Chaima Saysay. Photos: Leen Van den Meutter. Adaptation: Justine Rossius.

 

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