Et si aujourd’hui, la vraie originalité était de n’avoir ni piercing ni tatouage?
Hier encore uniques, rebelles, et donc forcément über cools, piercings et tatouages sont aujourd’hui devenus la norme. Et si finalement, en 2022, la vraie originalité, c’était d’avoir la peau vierge?
Votre comptable en a un qui dépasse de sa manche, la caissière du supermarché le plus proche aussi, et l’institutrice de vos mini-humains en a carrément quatre ou cinq, fièrement affichés. C’est qu’aujourd’hui, tant les piercings que les tatouages ne sont plus l’apanage des marins, marginaux et autres repris de justice : c’est bien simple, tout le monde en a, qu’il s’agisse de multiplier le métal ou de se faire encrer la peau. Tenez, prenez l’auteure de cet article: une quinzaine de tatouages et autant de piercings au compteur, sans avoir un look particulièrement rebelle pour autant.
Il est loin, le frisson d’excitation au moment de piercer un deuxième trou dans le lobe à la pré-adolescence, ou le délicieux sentiment d’interdit lorsque l’aiguille du tatouage frôle la peau pour la première fois. Aujourd’hui, tant piercings que tatouages sont devenus purement décoratifs, mais plus encore, une nouvelle forme de norme.
Il n’est en effet plus rare de voir une jeune fille en fleurs à l’allure ultra sage avec un bouquet massif tatoué sur l’avant-bras. Le piercing au septum est quant à lui aujourd’hui tout sauf punk, et les tatouages sur les mains, longtemps restés la dernière frontière, franchie uniquement par les dur·e·s à cuire, sont la tendance du moment et s’affichent sur les articulations de Monsieur et Madame Tout-le-monde. C’est à se demander si pour être unique aujourd’hui, il ne faudrait pas avoir ni encre ni piercings, ni même boucles d’oreilles. Garder sa peau résolument vierge, la nouvelle rébellion?
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Rare et précieux
Mario Ben Nardiello en est certainement convaincu. Et pourtant, lui-même propriétaire du salon de tatouage berlinois Tempest Keep, il est tatoué sur chaque centimètre de peau visible. Ce qui ne veut pas dire qu’il pousse à jeter l’encre pour autant, au contraire. Flashback à l’été 2018, un rendez-vous estival, un jour de canicule. Objectif: faire tatouer la face antérieure d’une phalange, sauf que le motif est trop délicat et risque de mal vieillir.
À l’extérieur du poignet alors? Non. Ainsi que Mario le souligne, de nos jours, pouvoir encore exhiber de la peau vierge est aussi rare que précieux.
De nos jours, tout le monde a des tatouages sur les bras, les poignets, les mains... C’est devenu très rare de ne pas avoir de tatouages visibles, et c’est donc quelque chose à préserver pour ne pas ressembler à tout le monde”.
Et c’est un tatoueur qui le dit!
Autre problème: non seulement les tatouages et les piercings n’ont plus rien d’unique, mais même quand on essaie de se distinguer du lot, les réseaux sociaux rendent le processus quasi impossible.
“Originalité” en réseau
C’est un peu l’effet “dauphin sur l’omoplate” des 90s sous stéroïdes : un tatouage un peu unique et original n’a pas plus tôt été encré que l’artiste ou la personne qui vient de (se faire) tatouer le poste sur Instagram à grand renfort de hashtags. Or, quand des dizaines, centaines (voire même milliers dans le cas des followers d’influenceurs) de personnes se disent “Oh tiens, j’adore, c’est original” et le montrent illico à leur tatoueur ou leur pierceur, adieu l’originalité.
Lignes épurées autour de l’épaule, points sur la phalange, bouquet sur l’avant-bras, anneau façon Shiva dans le septum,... Inutile de vous faire un sang d’encre en expliquant à qui veut l’entendre que “Non mais vous vous l’aviez fait avant que tout le monde ne suive le mouvement” : votre acte de rébellion vous donne l’air à peu près aussi unique que l’étaient les hordes d’inconditionnels de la Stan Smith en 2016.
Mais au fond, est-ce vraiment important d’avoir un piercing ou un tatouage “original”? La normalisation des méthodes d’ornementation corporelle a aussi et surtout permis à nombre de personnes qui ne l’auraient peut-être jamais osé de se réapproprier leur corps et d’afficher la couleur. Si certain·e·s choisissent leurs piercings ou tatouages sur des critères purement tendance ou esthétiques et le revendiquent, pour d’autres, qu’importe si le motif choisi est vu et revu, il comporte pour eux une signification particulière.
Certes, rien ne ressemble plus à un tatouage d’envol d’oiseaux qu’un autre tatouage d’envol d’oiseaux, mais les significations qui leur sont associées, elles, sont aussi diverses qu’il y a de personnes tatouées. Et puis surtout, même si les tatouages ne sont plus vraiment rebelles et les piercings, plus trop punk non plus, ils restent un acte de rébellion quand même : faire le choix de se foutre des tendances pour se sentir bien dans sa peau. Avec ou sans encre et métal.
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