Témoignage de la rédac: ““J’ai été harcelée à l’école””
Barbara, 30 ans, a été harcelée durant trois années de primaire
""Dans la vie, il y les aigles et les poules. Les aigles sont rares. Ils prennent leur envol et accomplissent de grandes choses. Les poules elles, regardent le ciel en maudissant les aigles d'être coincées au sol. Tu es un aigle. Ne laisse jamais les poules te couper les ailes et te ramener sur la terre ferme." Mon papa me réconfortait avec ces mots à chaque fois que je rentrais de l'école en pleurant. Lorsque l'angoisse m'empêchait de respirer, le matin, alors qu'il fallait quitter la sécurité de la maison, avec mon cartable. Cela a commencé en 4ème primaire. De banales remarques de gosse, parce qu'à 9 ans, j'avais l'audace de continuer à jouer aux Barbies. Cela s'est empiré jusqu'en 6ème, avec un point d'honneur en toute fin d'année, juste avant de devoir changer d'école pour entrer en secondaire.
L'escalade
Pendant un certain temps, nous étions plusieurs à être montrés du doigt et mis à l'écart. Il y avait deux groupes au sein de la classe. Les populaires et puis les rejetés. Tous les autres, ceux qui ne rejoignaient, pour une raison ou une autre, pas la norme. Progressivement, à force de me battre pour tenter de changer cet état de fait, c'est devenu plus personnel. Les moqueries physiques, les coups de téléphone anonymes. Les amies qui se détournaient pour rejoindre le clan des bien vus. Ce concert d'un groupe de rap de l'époque, où je m'étonnais d'avoir été conviée et où je me suis retrouvée abandonnée devant la salle, par la maman d'une de mes fausses copines, tout aussi méchante que sa fille. J'ai alors été obligée alors de rentrer chez moi avec la mienne.
Et ces fêtes d'anniversaire auquelles j'étais invitée juste parce que ça donnait l'occasion de me transformer en cible de sales blagues et de mauvais coups. Et enfin cette lettre d'insultes, non signée, dans la boîte au lettres.
Une dernière attaque
C'était l'été. Deux pages de mots cruels. Un torrent de méchanceté et d'attaques, sur mon apparence, ma façon de parler, mes intonations, même mon odeur. Sur mes parents aussi. Des coups qu'on se permet, bien à l'abri, lorsqu'on pense ne jamais être découvert. Sauf que. À 12 ans, on n'est pas le roi de la manigance et un cachet postal du sud de la France, présent sur l'enveloppe, a permis de savoir. Elles étaient 5 ou 6 à y avoir participé, dont deux filles plus jeunes, que je connaissais à peine. Elles ont pas mal payé pour leurs actes. Obligées de m'écrire un mot d'excuse, tandis que l'une d'elles était, en gage de punition, privée du lycée où elle souhaitait aller.
Avancer
Je suis entrée en secondaire dans un nouveau lieu, où je ne connaissais personne, pour repartir de rien. Sans marque, sans étiquette. J'étais presque euphorique. Avec l'impression d'avoir fini par venir à bout de cette situation, à bout d'elles. D'être un peu amochée mais pas brisée. Je savourais le boomerang qui leur avait renvoyé leur haine en pleine figure. Et surtout, j'avais tenu grâce à mes parents, présents et à l'écoute, m'incitant parfois à m'endurcir et à ne pas les laisser m'atteindre, et le plus souvent à dénoncer auprès de mes professeurs et à répliquer, sans une cruauté qui ne me correspondait pas, mais avec fermeté. À ne pas me murer dans le silence. Ils ont été eux-mêmes témoigné auprès de l'école pour moi, mais ils ne voulaient pas agir totalement à ma place, au risque de me donner l'impression d'être faible, sans défense. Ils m'ont permis de dépasser tout cela, d'en garder des séquelles mais pas irrémédiables. Désormais je regarde tout cela avec indulgence, de très loin et sans douleur.
Mais si cela c'était passé à une époque comme la nôtre, je ne serais peut-être plus là aujourd'hui pour en parler.
2017. Mille fois pire.
C'était il y a presque 20 ans. Lorsque le bouton off existait encore. Qu'il était vraiment possible de se cacher sous son lit et d'attendre que ça passe. Que l'on pouvait encore fermer la porte de chez soi et laisser la cruauté sur le palier. Dans mon enfance, on ne parlait pas de harcèlement. Certes, cela en était, mais à un niveau plus basique. Si la méchanceté des enfants et des adolescents n'a depuis pas augmenté, les canaux d'expression de celle-ci ont explosé.
Là où il suffisait de déchirer un bout de feuille remplie d'insultes et de demander à ses parents de ne pas nous passer d'appels téléphoniques, siègent désormais internet, Facebook, Ask, les SMS, Messenger et WhatsApp. Une infinité de possibilités d'humiliation et d'acharnement.
Retourner à la réalité
Si je me réveillais demain, en ayant de nouveau 11 ans, ou 15, en étant victime de harcèlement j'aimerais qu'on ne me dise pas que je suis un aigle et que je dois laisser la méchanceté à mes pieds. Je voudrais qu'on me dise qu'ils ont beau être juste des gosses qui jouent avec une violence et avec un acharnement dont ils ne perçoivent pas le quart de l'impact, cela ne les rend pas moins coupables. Et pas moins condamnables.
Je demanderais aux adultes de comprendre que les querelles ne s'arrêtent plus à la cour de récré. Et qu'aujourd'hui il n'y a plus où se cacher, car il n'y a plus aucun lieu sans réseau.
De comprendre que je ne peux pas mettre mon esprit en offline. Et je souhaiterais que mes parents fassent ce qui, il y a presque 20 ans aurait surement été une honte suprême et aurait à coup sûr empiré le problème. Je voudrais tous nous voir réunit dans une pièce. Bourreaux, victimes, parents de chacun, professeurs. Loin des photos de profil, sans clavier, ni filtre. Face aux actes, et aux larmes tout sauf virtuelles. Reconnectés, avant qu'il soit trop tard."
Laura, 26 ans, harcelée à l’école pendant un an
"J’avais 12 ans. J’étais sur le point de quitter le cocon de mon enfance pour rejoindre ma nouvelle école secondaire. J’ai choisi d’intégrer le même établissement que deux copines rencontrées sur les bancs de l’école primaire un an plus tôt. Au bout de quelques semaines, elles ont cessé de me parler. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi Avais-je dit ou fais quelque chose de mal ? Était-ce à cause d’une dispute en particulier ? Est-ce que je les avais déçues, trahies ou vexées ? Mes questions restent encore aujourd’hui sans réponse. Faute d’explications, j’ai fini par tisser de nouvelles amitiés et me suis accommodée au fait de susciter l’indifférence. Jusqu’à ce que mes amies décident de liguer l’ensemble de la classe contre moi.
J’ai suscité l’indifférence puis la haine et le mépris. J’étais la cible de moqueries et je redoutais la récréation par dessus-tout.
Certain(e)s leur ont tenu tête mais la plupart de mes camarades ont suivi le mouvement, sans doute par peur d’être à leur tour rejetée. Je ne suscitais plus l’indifférence mais la haine et le mépris. J’étais la cible des railleries, des moqueries. Je redoutais la récréation par-dessus tout. On me bousculait, on donnait des coups de pied dans mon cartable. Mes parents étaient au courant de la situation mais je leur ai demandé de ne pas intervenir.
Je me suis confiée à mon journal intime
Ils m’ont aidé autrement. Ma mère m’a acheté un journal intime. Chaque jour, pendant un an, je me suis confiée dans les pages de ce petit cahier bleu. Je n’ai jamais écrit le nom de mes amies dans ce journal, tout comme Harry Potter n’aurait jamais prononcé à voix haute le nom de Voldemort avant de se sentir prêt à l’affronter. Mes parents m’ont aussi conseillé de parler à l’un de mes professeurs, celui ou celle en qui j’avais le plus confiance. J’ai immédiatement pensé à mon professeur de géographie. J’ai pris mon courage à deux mains. Elle m’a écouté une dizaine de minutes avant de retourner à ses activités. Mon mal-être grandissait. J’étais humiliée dans les vestiaires de la piscine.
J’ai développé une forme rare d’allergie à l’eau. Inconsciemment, mon corps s’était trouvé une bonne raison de ne plus subir les railleries du cours de natation.
Cette année-là, j’ai développé de l’urticaire aquagénique. Une allergie à l’eau très rare. Je prends les devants en répondant à l’une des questions que l’on me pose systématiquement : « Oui, je peux boire de l’eau ». Les plaques rouges et les démangeaisons se manifestent après une douche, un bain, sous l’effet de ma propre transpiration... ou lors d’une séance de piscine. Inconsciemment, mon corps venait de me donner une bonne raison de manquer les cours de natation. Cette urticaire, j’en souffre malheureusement toujours aujourd’hui.
Elles ont détruit mon carnet d’amitié
Après quelques mois, mes deux harceleuses ont décidé qu’il était temps de nous réconcilier. En gage de paix, elles m’ont demandé de leur prêter mon carnet d’amitié, celui dans lequel je collectionnais les témoignages et dessins de mes proches. Lorsqu’elles me l’ont rendu quelques jours plus tard, toutes les pages avaient été déchirées. Les mots tendres avaient été remplacés par des torrents d’injures. Je n’oublierai jamais le visage de ma mère lorsqu’elle est venue me chercher à l’école ce soir-là. Elle était en rémission de son cancer. Je me suis effondrée et j’ai demandé à changer d’école l’année suivante. Les années qui ont suivi ont été les plus belles de ma vie. Mon journal intime ? Je l’ai jeté sans jamais le rouvrir.
Ne pas avoir honte
On ne cesse de répéter aux jeunes filles victimes de harcèlement que la vie est longue et belle, que le temps seul efface les blessures et que les jours meilleurs sont à venir. C’est vrai mais ces moments restent douloureux. Mon conseil ? Parlez, confiez-vous à vos parents, vos grands-parents, à un journal intime. N’ayez pas honte de vous-même. Deux personnes qui ont réussi à liguer une classe entière contre vous ne peuvent pas vous faire douter de vous-même ou définir qui vous êtes. Prenez votre destin en mains. Prenez des risques. Osez. Changer d’école, ce n’est pas renoncer à se battre, ce n’est pas faire preuve de faiblesse, c’est prendre un nouveau départ. Pour recommencer à zéro, il faut faire preuve de courage."
Si vous être victime de harcèlement et vous vous souhaitez en parlez, n'hésitez pas à contacterle 103, le service Écoute-Enfants.
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