Témoignage: ““Mon handicap est devenu ma force””
“C’était en juin, un soir de week-end. Je venais de fêter mes 15 ans. J’étais partie en scooter avec mon frère lorsqu’une voiture nous a fauchés. Le conducteur avait bu et il doublait un autre véhicule. Après, c’est le trou noir. Je ne me rappelle plus. J’ai fait un arrêt cardiaque sur le bord de la route. Ma jambe gauche avait été arrachée par le choc. Mon frère, lui, souffrait de onze fractures.
L’après
Je me suis réveillée après un mois et demi de coma. J’avais été amputée, une semaine après l’accident. C’était la seule solution pour éviter que la gangrène ne se propage. Mes premiers souvenirs sont rendus flous par les médicaments. J’étais incapable de manger ou de m’habiller seule. J’avais perdu toute force. Il a fallu m’opérer à de nombreuses reprises, me greffer de la peau.Je ne me rendais pas vraiment compte que j’étais amputée. Je pense que je l’ai réalisé pendant ma rééducation.
En descendant en ergothérapie, j’ai entendu un petit garçon dire: ‘Maman, il lui manque une jambe’.
À ce moment-là, le plus dur n’a pas été d’accepter mon image, mais de comprendre que je ne pourrais plus danser, alors que ça me passionnait. J’ai aussi eu très peur de l’image qu’on aurait de moi. Peur que cela change totalement mes relations avec les autres, avec mes amis, avec les garçons.
Tout réapprendre
Je suis restée deux mois et demi à l’hôpital. Puis, après avoir passé un mois à la maison, j’ai reçu ma prothèse et je suis partie huit semaines en revalidation, pour pouvoir marcher à nouveau. Ensuite, il a fallu réapprendre le quotidien. Faire mon lit ou débarrasser la table, tout me semblait une victoire après avoir été totalement dépendante. J’avais besoin d’agir. De me prouver que j’étais encore capable d’être autonome, même pour les gestes les plus simples.
Retrouver un équilibre
En janvier, sept mois après l’accident, j’ai pu retourner à l’école, reprendre une vie presque normale. J’acceptais mon corps amputé, mais pas la prothèse. Elle me faisait mal. C’était très douloureux de rester huit heures assise sur une chaise, à suivre les cours. J’ai aussi directement commencé le basket. Encore aujourd’hui, c’est mon oxygène. Je joue en première division handisport et je suis la seule fille de mon équipe. C’est une grande part de mon équilibre. Après cette première année très dure, où il m’a fallu faire le deuil de ma jambe, j’ai réalisé tout ce que j’avais accompli en douze mois Cela m’a boostée et m’a donné envie d’aller toujours plus loin. Ça m’a aussi permis de réaliser que le handicap ne devait pas être une excuse pour ne pas aller au bout de mes rêves.
Oser sans peur
Cette volonté de profiter à 300 % m’a amenée à tester le ski, à sauter en parachute et à voler en planeur. J’ai aussi participé aux 20km de Bruxelles. Des activités parfois coûteuses, mais que je tenais à essayer plus que tout.
J’ai besoin de sentir l’adrénaline et d’aller au-delà de mes limites. De réaliser que je suis en vie, moi qui ai été si proche de la mort.
Je ne repense pas continuellement l’accident, mais il m’a donné ce besoin d’apprécier chaque jour, d’y trouver à chaque fois quelque chose de nouveau ou d’intéressant.
Dépasser les préjugés
Le plus dur, ça reste le regard des autres. Les premières années, ma prothèse était recouverte par de la mousse pour imiter une vraie jambe, donc les gens ne voyaient pas que j’étais amputée. Ils me scrutaient et cherchaient ce que j’avais. On m’a même déjà demandé si j’avais volé la carte ‘Handicapée’ de ma grand-mère. Maintenant, je la laisse à découvert, car je dois recharger mon genou électronique, dont la technologie me permet d’éviter tout faux mouvement. En même temps, cela permet de rendre mon handicap visible. Je n’ai ni envie, ni besoin de me cacher. J’ai même une emboiture de cuisse rose à paillettes! C’est mon côté girly et féminin, et j’en suis très fière. En plus, ça dédramatise la situation avec les enfants. Grâce à ça, ils arrêtent de considérer ma jambe comme bizarre et la trouvent même jolie.
Égale aux autres
Quand on dit que le handicap ne change rien aux relations, c’est faux. J’ai gardé un seul ami d’avant l’accident. À mon retour en cours, les élèves étaient contents de me revoir, mais on ne m’invitait plus nulle part. Encore maintenant, me faire des amis est compliqué. J’ai accepté mon handicap, il fait partie de moi. Et j’en discute sans difficultés, comme de tout autre aspect banal de ma vie. Mais souvent, en face, il y a un malaise. Et le refus d’en parler. Pour les relations amoureuses, c’est pareil, le handicap est toujours présent. Je suis célibataire et les gens pensent aussi que parce que je suis amputée, je devrais accepter le premier garçon qui s’intéresse à moi. Alors, face à l’incompréhension ou au jugement des autres, j’ai décidé de miser sur la répartie et l’humour. Même si j’ai peur du rejet et de la critique, j’en joue. Je réponds par la provocation et la dérision. Et j’espère arriver à faire réfléchir.
On peut tout à fait ne pas m’aimer ou ne pas m’apprécier, mais je refuse que ce soit à cause de mon handicap, et non en fonction de la personne que je suis.
Besoin de donner
Vivre cette situation a rendu indispensable pour moi le fait de trouver un métier où je pourrais aider les autres. Je termine des études d’Éducatrice, avec l’espoir de m’occuper de personnes en revalidation ou d’enfants déficients mentaux. À cause de ma jambe, je ne pourrai travailler qu’à mi-temps, mais je trouve impensable de ne pas être active. Les enfants m’apportent énormément. J’adore leur spontanéité. En stage, l’un d’eux m’a dit: ‘Madame, tu dois mettre de l’essence dans ta prothèse’ et j’ai trouvé ça génial. J’aime leur naïveté, même si elle est parfois un peu brusque... Il est aussi très important pour moi de partager ce que j’ai vécu. D’essayer d’aider ceux qui sont dans le même cas.
Changer les choses
Quand Luc Huberty, triathlète paraplégique, a créé Leg’s Go, j’ai directement voulu y participer. L’association cherche à récolter des fonds pour offrir des prothèses sportives aux jeunes qui n’ont pas les moyens d’en acheter une. Leur coût peut atteindre 18.000 euros, non remboursés par la mutuelle. Pour cela, Leg’s Go organise de nombreuses courses, comme les 20km de Bruxelles auxquels j’ai participé, et l’association est aussi partenaire de Cap 48. C’est une cause que je soutiens de tout mon cœur, tant le sport m’a sauvée après l’accident. Être l’une des figures de l’organisation, témoigner sur le site et poser pour le calendrier, m’a médiatisée et a amené à ce que de nombreux jeunes handicapés viennent se confier à moi. J’essaye de les réconforter et de les encourager au maximum.
Mille projets
Aujourd’hui, je suis heureuse du chemin que j’ai parcouru. Je suis en dernière année de cours et je me consacre au basket pendant ces mois d’école, avant de me lancer dans un travail qui me passionne. J’ai mille projets, des voyages que j’aimerais entreprendre, des défis que je compte me lancer. Même si ce n’est pas toujours simple, je n’ai pas de regrets. Le handicap est une part de qui je suis. Et, en parallèle de la douleur, il a aussi entraîné les événements incroyables que je vis. Avant l’accident, j’étais peu sûre de moi et très introvertie. Perdre ma jambe a forgé mon caractère. Sans cela, qui sait si j’aurais un jour osé sauter d’un avion à 4000 mètres d’altitude?
Je sais que je peux accomplir tout ce que je veux, comme n’importe qui. Alors, je fonce et j’en suis fière!
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