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apéros de la mort
© Getty

““Les apéros de la mort””, des réunions pour faire son deuil autrement

Ana Michelot
Ana Michelot Journaliste

Prendre l’apéritif avec des inconnus afin de discuter du décès d’un proche ou de notre propre finitude, c’est le concept des « apéros de la mort ». Le but : briser le silence autour du deuil et mettre fin à l’un des plus gros tabous de notre société.

La journaliste Sarah Dumont a fondé « Les apéros de la mort » en décembre 2018, en France. Le concept : inviter des personnes qui ne se connaissent pas à se réunir autour d’un verre afin d’échanger à propos de la mort. Si l’idée peut paraître étrange, voire glauque, la réalité est tout autre. « C’est une proposition qui permet à chaque personne désireuse de partager son expérience de déposer avec d’autres son vécu, ses pensées, ses envies et ses angoisses et d’en discuter. On peut aussi bien parler de sa relation à sa propre finitude, que du deuil », explique Sarah Dumont. Inspirée par le sociologue et anthropologue suisse Bernard Crettaz qui avait créé en 2004, le concept de café mortel, elle décide d’offrir un moment de partage consacré à ce sujet encore trop tabou. Loin d’être des conférences données par un professionnel, comme le sont habituellement les cafés mortels, les apéros de la mort sont un réel moment de partage et d’échange. Ici pas de « sachant » qui aborderait un thème défini, mais bien une discussion ouverte à tous : « On est tous au même niveau dans les apéros de la mort, par contre ils sont toujours co-animés par un binôme d’ambassadeurs, dont une personne qui a fait une formation sur la question du deuil afin d’adopter la bonne attitude et d’avoir les bons mots face à une personne qui vient de perdre un proche. » En effet, 95 % des personnes qui participent aux apéros de la mort sont endeuillées.

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Libérer la parole

Universel, le concept des apéros de la mort touche toutes les tranches d’âge, avec des participants qui ont de 25 à 80 ans. Le plus souvent, ces personnes ont subi des injonctions lors de leur processus de deuil et cherchent une écoute, un moyen de s’exprimer sans être jugé. Avec une jauge de 25 personnes par apéro, la fondatrice souhaite s’assurer que chaque personne ait le temps de prendre la parole et d’échanger. « Parfois, il y a des amis qui viennent ensemble, l’autre jour, on avait un couple, mais globalement c’est plutôt des personnes seules qui viennent. On fait un tour de table pour briser la glace, ceux qui ne veulent pas s’exprimer ne le font pas et ensuite les gens rebondissent », explique-t-elle. « En fait, les échanges s’alimentent de façon naturelle. » Certains reviennent à différents apéros à l’image d’une thérapie en plusieurs épisodes. « On a eu notamment une maman qui avait perdu sa fille de 15 ans, qui est venue plusieurs fois. Ce qui était plaisant, c’est que son état s’améliorait à chaque fois qu’elle venait. On voyait son visage au début extrêmement marqué, qui ne voyait pas de possibilités d’éclaircies, dans la douleur permanente et petit à petit ça a changé. La dernière fois qu’on l’a vu, son visage était apaisé », raconte Sarah. Ces apéritifs pas comme les autres, sont l’occasion pour ces personnes de parler librement d’un sujet sur lequel on a souvent l’habitude de se taire. « La plupart du temps, ils en ont gros sur la patate d’être muselés dans leur silence, parfois dans leur souffrance et justement, ils vont saisir l’opportunité d’enfin pouvoir se libérer de quelque chose de lourd. » Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il est parfois plus facile de se livrer à des inconnus sur un décès. « Je pense qu’il y a toujours une forme d’inquiétude et c’est normal je serais aussi inquiète si je devais faire ça, mais en fait à l’issue des deux heures, on se rend compte que c’est parfois plus facile de se confier avec des inconnus qu’on n’a pas besoin de protéger contrairement à ses enfants, son conjoint ou ses amis. Ici, on sait qu’on est là pour parler de la mort donc il n’y a pas de barrière, on se dit que les gens qui sont là, sont prêts à tout entendre. »

Des espaces spécifiques dédiés aux femmes veuves et aux orphelins

Après avoir constaté que beaucoup de jeunes femmes se retrouvaient veuves avec des enfants à élever, Sarah Dumont a souhaité leur offrir un espace de parole privilégié où elles pourraient échanger entre elles sur leurs vécus, leurs deuils et leurs chemins de vie. Elle a donc décliné le principe des apéros de la mort en créant « Les petites veuvries ». « Il n’y avait pas d’espace de parole pour ces femmes jeunes qui avaient perdu leur conjoint et qui potentiellement avait des enfants en bas âge. Il y avait des groupes de paroles, mais pas rien que pour elles et c’est vrai que se retrouver veuve à 75 ans et à 30 ans, ce n’est pas tout à fait la même vie », remarque-t-elle. « On a donc créé les petites veuvries qui elles, sont co-animées par deux veuves jeunes avec enfants. C’est différent des apéros de la mort car c’est vraiment une réunion entre pairs, il n’y a pas de thérapeute de deuil. C’est basé sur l’entraide et ça fonctionne totalement. Par exemple, les petites veuvries ont donné lieu à un week-end entre jeunes mamans, elles sont parties un week-end toutes ensemble avec leurs enfants. » Le même principe est également existant pour les jeunes qui ont perdu un ou deux parents et se nomment « Les Orphelinades ». Afin de répondre à toutes les demandes, un « Café des signes » a également été mis en place pour pouvoir aborder de façon spécifique, les phénomènes de l’invisible comme les VSCD, vécus subjectifs de contact avec un défunt et les EMI, expériences de mort imminente. Toujours dans le but de libérer la parole sur des sujets encore trop tus.

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Redonner une place à la mort dans nos existences

Aujourd’hui, la mort est un sujet dont on évite le plus possible de parler. Considérées comme déprimantes ou de mauvaise augure, les conversations autour de la mort sont rares et perdre un proche est souvent quelque chose que l’on vit seul en s’isolant du reste du monde. « Le tabou est apparu au moment où les gens se sont éloignés de la religion, avant il y avait quand même des rites très forts qui permettaient à la communauté de se rassembler et de vivre la mort ensemble. Petit à petit, avec le temps, on a presque perdu le mode d’emploi. La mort est devenue un échec, quelque part, elle est devenue extérieure à nos vies. Hormis devant nos écrans télévisés où elle est omniprésente, elle n’est plus un événement de l’intime », estime Sarah Dumont. Même au sein de notre langage, la mort a été effacée. Terme devenu tabou, il est bien souvent remplacé par des périphrases : « Il est parti », « il nous a quitté », « il s’en est allé », « il est au ciel », « il a disparu »,… Avec le nom « Les apéros de la mort », Sarah Dumont souhaitait réhabiliter ce mot banni. « On est tous des mortels, pour moi c’était très important, en étant aussi un peu dans la provocation, de redonner une place à ce mot que nous ne prononçons jamais, qu’on essaye de détourner. Je trouve que c’est important de réintégrer ce terme à nos conversations, surtout en l’associant à un moment de vie plutôt convivial et synonyme de fête comme l’apéro. » Elle poursuit : « Ça fait partie des choses qui peuvent aider à l’accepter parce qu’on a mis un mot dessus, c’est sain d’en parler et c’est nocif de ne pas en parler, de faire comme si elle n’existait pas, de ne pas pouvoir dialoguer sur cette question à cause de ses angoisses par rapport à son propre départ. Ne pas partager ses volontés, ne pas parler des morts avec vos proches, ne pas parler de la mort aux enfants, les priver d’aller à un enterrement, tout ça, ça abîme. Créer les apéros de la mort, c’était vraiment aussi une façon de bousculer un petit peu l’ordre établi et de faire en sorte que les consciences s’éveillent. »

Parler de la finitude aide à vivre plus fort

Le pari de Sarah est de réussir à faire changer la vision de la société sur la mort, en montrant qu’en parler peut être bien plus bénéfique que de l’enfouir en soi. Selon elle, parler de la mort décuplerait notre envie de vivre. « On a des forces inestimables en nous, qui nous aident à dépasser des épreuves comme celles-là et en fait malgré toute la douleur qui peut être déposée parfois, les apéros c’est très énergisant », affirme-t-elle.

« On se sent jamais autant en vie qu’après un apéro de la mort »

Sarah s’explique : « Moi ça me rappelle systématiquement que la vie a une durée limitée donc c’est aussi se rappeler tous les jours qu’on n’est pas immortel et qu’il faut être là où on a envie d’être, ne pas s’imposer des choses qui ne nous conviennent pas ou plus, que chaque jour doit être vécu, que chaque jour est précieux. » Elle insiste : « C’est aussi être en réflexion permanente sur le fait de savourer chaque petit moment que nous offre la vie, parler de la finitude ça donne envie de vivre plus fort. Les gens disent que c’est glauque, mais au contraire ça amène sur le chemin de la vie et de la joie, ça nous rappelle qu’on n’est pas éternel et qu’il faut profiter. » 

Les apéros de la mort ne sont pas encore implantés en Belgique, mais pourraient bientôt le devenir si des ambassadeurs belges se manifestaient auprès de Sarah Dumont. En attendant, les apéros en présentiel en Belgique, les personnes intéressées peuvent s’inscrire à des apéros de la mort en visio qui ont lieu régulièrement. Toutes les informations sont disponibles sur « Happy End », la plateforme spécialisée sur les sujets de la fin de vie, de la mort et dans l’accompagnement du deuil.

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