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Elles ont arrêté la pilule et nous expliquent pourquoi

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Lancée sur le marché en 1960, la première pilule contraceptive a constitué une étape importante dans la liberté sexuelle des femmes. Même si ce moyen de contraception reste le plus utilisé au monde, de plus en plus de femmes se posent des questions sur l’impact que peut avoir cette petite pilule aux grands effets sur leur santé.

Catherine, 26 ans, a arrêté de prendre la pilule, il y a trois ans après une utilisation ininterrompue pendant près de huit ans.

« J’ai eu mes règles en secondaire. Comme pour la plupart des jeunes femmes, ce changement m’a fortement impactée sur le plan physique et psychologique. À cette époque, nous ne parlions pas ouvertement de nos règles à l’école. J’aurais même tendance à dire que c’est quelque chose dont nous avions honte. De plus, comme j’avais des règles abondantes, j’étais souvent incapable d’aller à l’école le premier jour. Les crampes et les maux de tête étaient insupportables. Je perdais tellement de sang que j’étais obligée de porter un tampon et une serviette en même temps pendant une semaine entière. Une fois, mon flux était tellement abondant que ma culotte a percé. J’étais terrifiée à l’idée que ça m’arrive à nouveau. Cette situation a duré environ deux ans. Puis, un jour, je devais avoir 15 ans, ma mère m’a suggéré d’aller chez le médecin et de lui demander si la pilule pourrait m’aider. Maman la prenait depuis des années et n’avait que peu ou pas de troubles menstruels. Mon rendez-vous avec le médecin de famille a duré une demi-heure. Il m’a posé quelques questions sur mes règles et mon état de santé général. Puis, sans investiguer davantage, il m’a prescrit la pilule. Il m’a ensuite expliqué comment la prendre correctement et quel effet cela pouvait avoir sur mes règles et mon acné légère. Autant que je m’en souvienne, je n’ai pas eu plus d’infos sur le sujet. À 15 ans, on ne se pose de toutes façons pas mille questions. La seule chose qui me tracassait était de savoir si j’allais grossir. Si notre médecin me promettait que ce n’était pas risqué et que mes règles seraient moins douloureuses, pourquoi me serais-je posé plus de questions ? Cette solution me convenait.

Une fois que mon corps s’est habitué au traitement, la pilule a fait son job. J’ai effectivement eu moins de crampes, perdu moins de sang et mes règles ont duré moins longtemps. Autre avantage : si j’allais nager avec des amis à cette période du mois, je pouvais le faire sans me prendre la tête.

En tant qu’ado, cette liberté me convenait parfaitement. Même après avoir fait mon coming out à 18 ans, j’ai continué à prendre la pilule pendant huit ans. Je n’en avais théoriquement pas besoin, mais je trouvais ça facile, tout simplement.

Ma vraie nature

Ma première petite amie était végétalienne. Comme je ne mangeais plus de viande depuis un certain temps, la transition vers un régime entièrement végétal n’était pas très compliquée. J’ai donc choisi de devenir vegan moi aussi. Quand j’ai découvert qu’il y avait du lactose dans la pilule, j’ai eu envie d’en savoir plus sur ce que contenait vraiment cette pilule soi-disant inoffensive que j’avalais tous les jours. Plus je me documentais, moins j’avais envie de continuer à la prendre. Avant ça, je n’avais jamais réfléchi à comment fonctionne une pilule, mais lorsque j’ai lu en détails en quoi elle consistait, j’ai non seulement voulu en savoir plus, mais j’ai aussi commencé à m’en détacher.

L’idée qu’une si petite pilule contrôle le fonctionnement de tout mon corps me dérangeait vraiment. Franchement, c’était trop bizarre. Pour quelqu’un qui souhaite vivre en totale connexion avec la nature, adopter une hygiène de vie aussi pure que possible et écouter son corps, prendre la pilule semblait totalement hypocrite.

Juste parce que j’avais éprouvé certains inconforts pendant mes règles quand j’étais ado, je me retrouvais, huit ans plus tard, en train de nier mes vrais besoins. À ce moment de ma vie, j’ai su que je voulais en finir avec ça. Bien sûr, la situation était différente de celle de mes copines hétéros. La pilule ne me servait pas de moyen de contraception. Cela dit, même si je n’étais pas en couple avec une fille, sachant ce que je sais maintenant, je prendrais certainement la même décision. Lorsque j’ai arrêté la pilule, j’ai découvert à quel point elle prenait de la place dans ma vie. Depuis que j’ai tout arrêté, je me sens à nouveau moi-même. J’ai beaucoup moins de sautes d’humeur. Et mes règles? Elles sont moins abondantes et douloureuses. »

Céline, 33 ans, a arrêté de prendre la pilule au bout de dix ans. Quatre ans plus tard, elle s’y est remise.

« Un médecin a découvert des tumeurs bénignes dans mon foie. Selon lui, elles pouvaient présenter un risque à long terme. D’emblée, il a mis ce trouble sur le compte de la pilule. À 16 ans, j’avais déjà un petit ami qui avait deux ans de plus que moi. Nous étions ensemble depuis quelques mois quand j’ai senti que j’étais prête à faire le grand saut. Malgré ma crainte de sa réaction, j’ai demandé à ma mère si elle accepterait de me prendre un rendez-vous chez le médecin. Je lui ai expliqué que je voulais prendre la pilule. Je me souviens de mon approche, pas très subtile, je l’avoue: ‘Ce n’est pas parce que je la prends que je dois en faire quelque chose, bien sûr. Juste pour être sûre, si jamais le moment vient’. Ma mère n’était pas ravie, mais elle était tout de même soulagée que je sois suffisamment responsable pour lui en parler et que je pense à me protéger. Quelques semaines plus tard, je me suis retrouvée chez le médecin qui, après un court examen et une explication relativement basique, m’a prescrit une pilule de troisième génération. Dix ans et deux amoureux plus tard, je prenais toujours cette pilule. À l’époque, elle ne me causait aucun désagrément. Sans ce diagnostic médical, j’aurais donc continué à la prendre sans me poser de question. Je n’avais pas l’impression qu’elle avait un impact sur qui j’étais ou sur ce que je ressentais. Je n’ai pas arrêté par choix personnel, mais plutôt après avoir subi une batterie de tests en raison d’une affection oculaire.

Si, lors de cet examen, le médecin n’a pas trouvé de quoi je souffrais, il a découvert tout autre chose: un certain nombre de tumeurs bénignes au niveau du foie. À termes, elles auraient pu présenter un risque majeur pour ma santé. La cause suspectée ? La prise de pilule. Cet épisode m’a beaucoup marquée.

Comme ma meilleure amie avait aussi arrêté de prendre la pilule pendant un certain temps et qu’elle m’avait conseillé de le faire, moi aussi, j’ai commencé à regarder cette pilule complètement différemment. À l’époque, j’étais en couple avec un garçon adorable et très compréhensif. Lorsque j’ai discuté avec lui de ce que le médecin m’avait dit et que j’ai indiqué que je n’étais pas sûre de vouloir toujours prendre la pilule, il m’a soutenue dans ma décision. Si je voulais arrêter, on ferait l’amour avec un préservatif. Pour lui, ça ne changeait rien. J’ai terminé la plaquette que j’avais commencée, mais j’ai tout stoppé juste après.

Petite pilule rose

Même si je ne m’y attendais pas, beaucoup plus de choses ont changé dans ma vie suite à l’arrêt de la pilule. Sans m’en apercevoir, elle avait un effet sur mes sentiments. Enfin, disons plutôt, qu’elle avait sur moi une sorte d’effet antidépresseur. Avant d’arrêter la pilule, je me décrivais comme une fille plutôt cool. Après avoir arrêté, j’ai découvert une toute autre facette de moi-même. Apparemment, je ne me connaissais pas du tout.

J’étais beaucoup plus sensible et fragile que je ne le pensais, mais je pouvais aussi être beaucoup plus intensément heureuse. Comme si toutes mes émotions étaient décuplées. Difficile d’exprimer cette sensation. J’avais l’impression d’être à nouveau cette petite fille – le ‘rayon de soleil de la maison’ – qui ne rate pas une occasion de profiter au maximum des petites choses de la vie. C’était très spécial comme sensation.

Lorsque ma relation s’est terminée quelques années plus tard et que j’ai rencontré l’amour de ma vie, tout était très différent. Avec lui, je n’avais aucune envie d’utiliser un préservatif, une solution trop impersonnelle à mon goût. J’ai alors décidé de me faire poser un stérilet, mais au bout de six mois, j’en suis revenue. Pour la première fois, je souffrais de crampes et de problèmes de peau pendant mes règles. Sans compter que mon stérilet me faisait mal. Bref, cette méthode ne me convenait pas du tout. J’ai finalement décidé de reprendre la pilule, mais cette fois en faisant plus attention aux effets secondaires. Je me sentais bien, d’autant plus que je savais que c’était une solution temporaire. Entre-temps, mon compagnon a choisi de se faire stériliser et j’ai bientôt un rendez-vous avec le médecin pour discuter de la manière dont je peux me protéger à court-terme. Si je peux prendre une pilule beaucoup plus légère qui me permettrait de bénéficier des avantages de ce type de contraception (règles peu abondantes, possibilité de zapper la prise pendant les vacances), cette solution me conviendrait. Mais je n’exclus évidemment pas de pouvoir l’arrêter dès que le moment sera plus opportun. Si j’ai le sentiment que le confort d’un cycle régulier ne l’emporte plus sur ma santé physique ou mentale, je n’hésiterais pas, c’est certain. »

Chelsea, 27 ans, a pris la pilule pendant près de six ans. Après un an, elle est passée au stérilet.

« C’est un sujet avec lequel je n’ai pas envie de plaisanter. Les principales raisons pour lesquelles j’ai arrêté de prendre la pilule étaient le stress et l’inconfort. Prendre la pilule tous les jours, de préférence à heure fixe, est une grande responsabilité qui incombe entièrement à la femme. Personnellement, comme je ne suis pas du tout ponctuelle et organisée, j’ai eu du mal avec ça. Il m’est arrivé de penser trop tard à ma pilule ou même de l’oublier. Cette situation m’a tellement fait paniquer que je suis allée plusieurs fois à la pharmacie pour acheter une pilule du lendemain, juste par sécurité. Dans mon entourage, d’autres femmes partageaient mon point de vue. Par exemple, j’avais une amie qui, par peur de l’oublier, programmait son réveil à huit heures tous les jours et emportait sa plaquette de pilules avec elle partout où elle allait. Dit comme ça, ça peut sembler un détail, mais l’idée de dépendre, pendant le reste de votre vie, d’une alarme qui vous oblige à tout arrêter pour avaler une pilule, c’est assez invasif, je trouve. Avec mes amies, on discutait pas mal de cette responsabilité qui nous pesait, mais aussi des autres désavantages de la pilule.

Les effets sur notre bien-être physique et mental nous perturbaient de plus en plus. À force d’en parler, nous avons découvert que nous souffrions presque toutes du même malaise: écoulement sanguin douloureux, sautes d’humeur violentes, déséquilibre hormonal lié à un mal-être psychologique…

C’est finalement l’une de mes amies qui, la première, a sauté le pas. Comme, après avoir arrêté la pilule, elle semblait ne trouver que des avantages à sa décision, j’ai décidé de faire pareil quelques mois plus tard. À l’époque, j’étais célibataire. Prendre la pilule n’était donc pas une obligation.

Enfin moi-même

Quasiment immédiatement, j’ai commencé à remarquer des changements. Même si ça parait un peu cliché, je me sentais plus en phase avec moi-même. J’avais l’impression que ma vie était plus harmonieuse, que mon corps était beaucoup plus calme et que j’avais plus de contrôle sur moi-même. Au début, mes règles étaient un peu irrégulières, mais elles étaient aussi moins intenses et douloureuses. Maîtriser le timing de mes cycles m’a également appris à mieux écouter les signaux de mon corps et à reconnecter mon corps et mon esprit. Pour moi qui avais connu de graves problèmes de santé, c’était primordial. Quelques années avant, les médecins m’avaient diagnostiqué une hydrocéphalie. J’avais dû subir une opération chirurgicale assez sérieuse. Ma relation avec mon corps était déjà suffisamment complexe pour que j’ajoute des tensions dues à la pilule. Le fait de la stopper à ce moment-là de ma vie m’a permis de redécouvrir mon propre corps. Finalement, c’était plutôt une bonne chose. Même si je me sentais mieux sans toutes ces hormones, après un an sans pilule, j’ai quand même choisi de me faire placer un stérilet, le contraceptif que ma mère utilisait depuis des années. À ce moment de ma vie, je m’apprêtais à partir pour un an en Australie. Je ne voulais pas prendre de risque. Le stérilet m’a complètement délivrée du stress de la pilule. Cette fois, ce n’était plus moi qui me sentais responsable du bon fonctionnement de ma contraception. Je n’avais plus à y penser tous les jours. L’avantage du stérilet, c’est qu’il peut rester en place pendant cinq ans. Cette solution m’a procuré un plus grand sentiment de sécurité et d’insouciance. J’aime aussi l’idée que l’injection d’hormones se fait désormais plus localement. Elles ne traversent plus tout mon corps. Je ne pense pas que le stérilet soit une solution idéale, mais pour moi personnellement, c’est déjà un grand pas en avant. »

Texte: Elien Geboers et Marie Honnay

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