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TÉMOIGNAGES: elles luttent contre le gaspillage vestimentaire

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

En moyenne, on porte un vêtement sept fois avant de le jeter. Face à ce triste constat, il est évident que nous pouvons/devons faire plus attention à nos vêtements. Jasmien, Ina et Zoë luttent contre le gaspillage vestimentaire et cherchent constamment de nouvelles façons de redonner une nouvelle vie aux vieux vêtements.

Jasmien fabrique de la lingerie à partir de vieux vêtements ainsi que des tenues durables pour les artistes.

« La durabilité m’a toujours passionnée. Je n’ai pas fait de shopping dans les chaînes depuis l’âge de 16 ans et j’essaie de ne pas acheter de nouveaux vêtements. Je préfère revisiter le contenu de mon armoire (et de celle de mon petit ami). Par exemple, j’ai trouvé de vieux survêtements pendant le confinement. Je les ai découpés pour en faire des soutiens-gorge. Quand j’ai obtenu quatre ensembles de lingerie, je les ai postés sur mon Instagram. J’ai été submergée par les réactions positives. L’upcycling n’existait quasiment pas dans le monde de la lingerie. En plus, c’est un style surprenant. Vous savez, la lingerie, c’est soit super sexy, soit on tombe sur la brassière de sport. Il me manquait quelque chose entre les deux, et je n’étais visiblement pas la seule. Chaque fois que je lançais un ensemble de lingerie en ligne, il était instantanément vendu. J’ai donc décidé de quitter mon emploi dans un magasin de seconde main pour me lancer à plein temps dans l’upcycling. Ma toute première collection capsule tournait autour des Furby’s, qui sont depuis devenus un peu ma marque de fabrique. Ma fascination pour cet objet est née du fait que je n’en ai jamais eu dans mon enfance. Lorsque j’ai eu 19 ans, des élèves avec qui j’étais en classe de Mode m’en ont offert un. Elles avaient réussi à en trouver un dans une friperie. J’en ai maintenant 20. Et oui, ils sont même internationaux. Ils parlent le néerlandais, le français et l’anglais. Parfois, j’ose les laisser parler entre eux, mais pas trop, car les voisins pourraient être surpris. En fait, j’essaie d’incorporer des éléments ludiques et humoristiques dans toutes mes créations, ainsi qu’une pincée de nostalgie. Le monde de la mode est déjà suffisamment sérieux et puis il y a une vraie demande pour ce genre de pièces. Outre mes propres collections, je crée également des tenues personnalisées pour des artistes, toujours à partir de matériaux de récupération, bien entendu.

L’upcycling ne se limite pas à l’achat de vêtements d’occasion pour les transformer en quelque chose de nouveau. On peut aussi travailler avec des stocks dormants ou des restes de fournisseurs et de stylistes. Certaines créations me rendent particulièrement fière comme les tenues que j’ai réalisées avec Jordy Arthur pour la chanteuse MEROL, dans le cadre de l’émission télévisée Thrift you up. Nous avons créé un catsuit noir à l’imprimé graphique ainsi qu’un blazer inspiré du soutien-gorge pointu de Madonna. Lors de la présentation, elle était ravie. Lorsque nous l’avons vue en concert, les deux tenues se mariaient à merveille sur scène. Elle a même fait un slam en catsuit (se laisser tomber depuis la scène et se laisser porter par la foule en étant allongée, ndlr). Certes, Jordy et moi avons regardé la scène en stressant un peu, mais les deux looks ont survécu à toute la tournée à travers la Belgique et les Pays-Bas. Les tenues de spectacle peuvent être un défi, notamment quand on vous demande des choses très précises. Je crois que si les gens voient leur artiste préféré adopter la tendance, ils seront plus enclins à faire eux-mêmes des choix plus durables. J’essaie également d’élargir le champ d’action au-delà de ma garde-robe. Prenez mon studio, par exemple. L’espace est entièrement blanc, mais tous les objets qui s’y trouvent sont roses et, de préférence, d’occasion. »

Suivez Jasmien sur Instagram via @jasmienvanloo.

Ina transforme des chemises, des blazers et des trenchs de seconde main en véritables pièces fortes.

« Confectionner de vêtements d’occasion a toujours été mon truc. En effet, ce qui se vendait dans les magasins ne m’allait jamais. Et puis, c’était une façon économique de se composer un chouette look. Dans la cour de récréation de mon lycée, on m’apercevait souvent à des kilomètres à la ronde. La mode était pour moi un exutoire. Je faisais vraiment les combinaisons les plus folles. Vous vous souvenez du clip de Thrift Shop de Macklemore? Eh bien, j’ai aussi acheté le manteau de fourrure oversize que le rappeur portait dans ce clip, mais d’occasion. La seule différence, c’est qu’avec mes 1 m 53, il faisait deux fois ma taille. J’ai également adopté un pantalon vert kiwi et une paire de chaussures classiques argentées. Si mon audace et ma témérité me valaient souvent des compliments de la part de mes camarades de classe, il en allait autrement en dehors de l’école. Dans la rue, les gens osaient parfois se moquer à mon passage. Bien sûr, le fait que les vêtements d’occasion soient alors vus comme marginaux n’a pas aidé. Une fois ma formation en Mode terminée, il m’a semblé logique de faire quelque chose avec l’upcycling. Je devais prouver que les vêtements de seconde main étaient à la mode et pouvaient même avoir l’air neufs. Avec Inner Child, j’essaie de donner une nouvelle vie aux manteaux abandonnés en cousant de nouvelles manches dans des tissus inattendus tels que le brocart ou même le denim. J’ai commencé à recycler des trenchs parce qu’il s’agit d’une pièce intemporelle, mais qui reste souvent assez basique. Dès que les gens commencent à travailler, ils changent souvent de style. De la palette de couleurs à la silhouette, tout devient un peu plus calme et neutre, et je trouve ça dommage. Pourquoi ne pourriez-vous pas porter une pièce forte au bureau? Personnellement, j’aime bien m’habiller, quelle que soit l’occasion. C’est aussi ce que j’essaie de faire avec Inner Child, que les gens fassent à nouveau ressortir l’enfant qui est en eux. Un jour, un prof m’a dit qu’avec mon penchant pour les combinaisons folles et les couleurs vives, je devrais certainement développer plus tard des imprimés pour enfants. J’ai pensé que ce n’était pas exclusivement réservé aux enfants, pas vrai? C’est funky pour les adultes aussi. C’est aussi comme ça que j’ai choisi le nom de ma marque. Je reçois régulièrement des demandes pour avoir quelque chose de personnalisé, mais je préfère ne pas le faire. Tout simplement parce que cela me donne l’impression d’être une couturière plutôt qu’une créatrice. En outre, les gens sont plus enclins à choisir des combinaisons de couleurs logiques et je trouve alors dommage d’y coudre mon étiquette. Inner Child, c’est le colour blocking à l’état pur. Le stock de tissus qui se trouve dans mon atelier parle de lui-même. Au départ, je créais mes pièces chez moi, dans le grenier. Bien qu’il y ait beaucoup d’espace, l’unique fenêtre apportait trop peu de lumière. Mon inspiration s’en est trouvée considérablement réduite. Lorsque j’ai eu l’occasion de m’installer ici, au milieu d’un quartier commerçant animé, je l’ai tout de suite saisie. Non seulement il y règne une agitation et une folie chaleureuses, mais en plus, il y a de l’ambiance. »

Suivez Ina sur Instagram via @inavanva et @innerchild.be.

Zoë fabrique des vêtements à partir de vieilles chemises.

« Il y a trois ans, mon grand-père est arrivé avec un très gros sac de chemises. Au début, il voulait simplement les jeter parce qu’elles ne lui allaient plus. J’ai trouvé ça dommage, d’autant plus que certaines étaient encore neuves. Je les ai ramenées chez moi pour les retravailler. En tant qu’étudiante en Fashion Tech, je savais manier le fil et l’aiguille. Après une journée entière à expérimenter, j’ai finalement réussi à faire une robe avec trois chemises. Mon grand-père a été très étonné lorsqu’il a vu le résultat. Il s’est étonné: ‘une robe de femme?’ (rires). À ce moment-là, je n’ai même pas réalisé que j’étais en train d’upcycler. Pour moi, il s’agissait simplement de jouer avec des chemises, une sorte de projet personnel. Lorsque trois robes se sont retrouvées accrochées à mon porte-manteau, je me suis fièrement dit ok, il faut en faire quelque chose. J’ai posté une photo sur mon profil Instagram et les choses se sont enchaînées. Les gens m’ont demandée où ils pouvaient acheter ces pièces ou m’ont dit qu’ils aimeraient que je fasse quelque chose de leurs chemises. Ma boîte de réception a explosé, du jamais vu. Après avoir réalisé quelques pièces pour des amis et des membres de ma famille, les commandes ont continué à affluer. Même de la part de personnes que je ne connaissais pas du tout. Trois mois après ma première création, j’ai décidé de lancer Renēe avec ma mère, qui a sa propre agence d’événementiel mais n’avait aucun projet à cause du Covid à l’époque. Renēe fait référence au mot français renaître. Cela résume parfaitement mon objectif: transformer des vêtements abandonnés en pièces uniques, porteuses d’une histoire. Lorsque j’étais étudiante en Fashion Tech, on me rappelait constamment que l’industrie de la mode d’aujourd’hui n’est pas belle à voir. Il y avait et il y a encore beaucoup de choses à améliorer et je voulais y contribuer. Les chemises sont également un produit très gratifiant à travailler. Il y a tellement de possibilités! Je les ai même utilisées pour recycler des jeans et des survêtements. Il m’arrive aussi régulièrement de créer quelque chose à la demande d’un client. Il y a deux ans, par exemple, j’ai été contactée par une famille dont le grand-père venait de mourir. De la maman au papa en passant par les deux enfants, chaque membre de la famille a reçu une pièce réalisée à partir des chemises de leur grand-père. Leur réaction était inestimable. Je suis convaincue que si un vêtement a une certaine valeur émotionnelle pour vous, vous ne le jetterez pas ou du moins pas facilement. Pourtant, je ne porte presque jamais un vêtement que j’ai créé moi-même. Non pas que je ne trouve pas que ce sont de belles pièces, bien au contraire. Mais le fait qu’il faille le céder me trotte constamment dans la tête. C’est pourquoi je préfère vendre toute pièce que je peux vendre plutôt que de l’accrocher dans ma propre garde-robe. L’entrepreneuriat est difficile, tant sur le plan financier que mental. Vous prenez des risques en espérant que votre projet se concrétise. Puis, lorsque ce n’est pas le cas, vous commencez à tout remettre en question et vous passez des nuits blanches.

Suivez Zoë sur Instagram via @reneebyzoe

Production et texte: Chloë Foubert et Emilie Van de Poel Photos: Karmen Ayvazyan

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