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Pourquoi le mythe des ““couilles bleues”” est dangereux pour le consentement?

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Spoiler alert: les hommes ne sont pas des schtroumpfs. Il n’existe ni “blue balls”, ni besoin vital de se vider les coucougnettes.

Lorsqu’on tape « blue balls » sur Google, on tombe en premier lieu sur un article signé Wikipedia qui dit ceci: “ Les blueballs est un terme d’argot qui désigne la congestion temporaire des testicules, accompagnée de douleurs testiculaires, qui serait causée par une excitation sexuelle prolongée sans éjaculation. Le terme serait apparu aux États-Unis en 1916. Certains urologues appellent cet état hypertension épididymale. Cette sensation n’est pas vécue par tous les hommes. Bien que le sujet soit largement discuté, il y a très peu d’informations dans la littérature médicale jusqu’à l’article de Chalett et Nerenberg dans Pediatrics 2000, qui a trouvé quelques données à propos de cette sensation et qui conclut que « Le traitement est la délivrance sexuelle ». À la lecture de cette page, si l’on est une femme, on peut en conclure que oui, les hommes ont certains besoins à assouvir et que la frustration engendre une certaine douleur. Cette croyance était celle de Maurine, 28 ans, qui nous explique : « Quand j’avais 21 ans, mon mec de l’époque m’a fait culpabiliser : on s’était un peu chauffés et puis, finalement, je n’avais plus trop envie. Il m’a dit qu’il avait mal aux couilles. Je l’aimais et je l’imaginais en souffrance. C’était de la manipulation pure ». La jeune femme, comme d’autres on le devine, se sentait due de « délivrer » l’homme qu’elle aimait de la souffrance engendrée par la frustration. Mais, mais… et si les blue balls étaient un mythe 100 % patriarcal ?

Une gêne plutôt qu’une douleur

Selon Laurane Wattecamps, sexologue : « L’expression ‘blue balls’ vient du fait que beaucoup de personnes sont convaincues que si elles ne se masturbent pas ou n’ont pas de relations sexuelles, elles risquent d’avoir des testicules congestionnés et remplis. » Pour ramener le corps à la normal et éprouver une sensation de confort, il faudrait donc… vider ses couilles. Cette expression, largement partagée dans la population, est devenue au fur et à mesure des années, une fausse croyance. Il faudrait alors prêter attention au fait que monsieur ne soit pas trop congestionné sous la ceinture. Mais c’est un mythe, dixit la spécialiste :« Au niveau de la douleur en tant que telle, lorsqu’on ressent une excitation sexuelle, que ce soit avec des stimuli extérieurs ou intérieurs (avec des fantasmes propres à notre cerveau), cette excitation va prendre une grande place dans le corps et développer une certaine forme d’énergie. Cette énergie va provoquer une accélération du rythme cardiaque et un afflux sanguin plus important au niveau de la zone génitale. Quand on parle de douleurs, on parle plutôt d’une gêne, bien que chez certaines personnes survient une impression que sans libération de cette excitation, lorsqu’elle atteint un pic, cela peut devenir douloureux. » Alors oui, la frustration sexuelle existe, mais le terme « blue balls » est un euphémisme, qui paraît ultra dramatique alors que finalement, il n’y a a absolument rien de grave, ni de dangereux, ni de mortel à ne pas faire l’amour : ok, les gars ?

Masturbation vs méditation

Et si un jour, un drama king évoque cette douleur dans le slip, vous pourrez toujours l’inviter à méditer !

C’est comme pour une crise d’angoisse : la personne va se focaliser tellement sur cette excitation et les sensations dites sexuelles qu’elle va grandir. Mais il existe des moyens de faire baisser cette excitation.

Laurane Wattecamps

La spécialiste explique que l’excitation influe sur trois critères corporels : l’hyperthonie musculaire, l’accélération du rythme cardiaque et l’afflux sanguin. « On peut travailler sur ces trois facteurs en respirant profondément pour faire diminuer le rythme cardiaque par exemple. Tout ce qui est méditatif fonctionne. Il faut rappeler que cette excitation sexuelle est contrôlable. Ce n’est pas indépendant de notre volonté. On peut avoir du pouvoir dessus et ramener le confort corporel désiré, pour ne plus ressentir de gêne. » L’excitation sexuelle serait modulable, alors que la plupart des personnes sont convaincues que la seule manière de ramener du confort dans le corps est de diminuer l’excitation sexuelle via la masturbation. Cette frustration et donc énergie pourrait aussi servir à d’autres choses : « C’est une énergie qui peut permettre de peindre, de dessiner, d’écrire… Vous pouvez aussi simplement aller faire une balade ou une séance de sport pour provoquer en vous une décharge d’endorphines. C’est déjà suffisant pour faire baisser la frustration. » Et de rappeler que d’un point de vue physiologique, il n’y a aucun risque pour la santé de ne pas éjaculer et de ne pas avoir eu d’orgasme depuis longtemps.

On sait que le sexe permet d’évacuer le stress et de provoquer des afflux d’hormones qui sont très utiles pour avoir des sensations de bonheur dans le corps. Donc l’idée n’est pas de se priver de sexe si on n’en a pas envie mais de prendre conscience qu’il n’y a pas de risque pour la santé et pas de risque de mort de ne pas éjaculer, que ce soit sur le court ou le long terme.

Laurane Wattecamps

Le sexe n’est jamais une urgence, ni une nécessité.

Un danger pour le consentement 

Pourquoi n’existe-t-il pas de pendant féminin à l’expression des blue balls ? Nos ovaires n’auraient-elles pas le privilège de la frustration ? Selon la sexologue, il n’existe aucune différence de genre : « Le pénis fonctionne comme le clitoris. Il va aussi ressentir un afflux sanguin qui peut le faire ‘pulser’. C’est exactement le même système. » Pourtant, il existe cette fausse croyance que les hommes, eux, ont des besoins sexuels, ce que remarque la spécialiste au sein de sa pratique. « On ne parle pas de besoins, mais d’envies, tant pour les hommes que pour les femmes. Les besoins vitaux sont au nombre de trois selon la pyramide de Maslow : manger dormir, et respirer. La sexualité n’est pas un besoin. » S’il faut rappeler ces notions de base en 2022, c’est parce que cette fausse croyance fait encore office d’argument pour les prédateurs sexuels, et leur permet aussi de faire taire leurs victimes, par un système de justification de la violence. « Il existe cette idée que les femmes sont des objets utiles pour diminuer les besoins chez les hommes et faire taire leurs pulsions sexuelles. C’est tout un système patriarcal à remettre en question et c’est un véritable danger pour le consentement. » On imagine évidemment le risque énorme de ces croyances qui participent à la culture du viol et alimentent notamment l’idée du devoir conjugal. Combien de femmes n’acceptent-elles pas de se faire réceptacle par amour et respect pour des hommes qui jouissent de ce mythe des blues balls ? Blues balls, vider les couilles, … autant de termes qui, en s’infiltrant dans notre vocabulaire populaire, se glisse dans nos cerveaux. « Beaucoup de femmes vont rentrer dans des postures qui ne leur conviennent pas et avoir des rapports non consentis, ce qui est dangereux non seulement pour l’estime de soi, mais aussi pour la sensation d’être un sujet dans la société et pas un objet. C’est un danger pour le couple lui-même puisque le désir de la femme n’est plus pris en considération, ce qui crée des frustrations et des baisses de désir. Les femmes finissent par se demander pourquoi elles n’ont plus envie alors que c’est assez logique. »

Ce dont il est aussi important de prendre conscience, c’est de l’aspect échappatoire que peut revêtir le sexe. “Je ne pense pas que ça soit une question de genre, même s’il y a effectivement une tendance chez les hommes baignés dans la masculinité toxique d’absolument être dans le contrôle de leurs émotions et donc de ne les extérioriser que dans certaines circonstances comme le sexe. Mais je rencontre aussi beaucoup de personnes, dont des femmes, qui se rassurent via le sexe. Lorsqu’on a des difficultés à se détendre, à mettre son cerveau en pause, à extérioriser son stress, il est assez commun de se servir du sexe comme échappatoire. C’est complètement ok mais il faut faire attention de prendre l’autre en considération et de checker sa disponibilité sexuelle (physique et émotionnelle) afin que le rapport soit consenti. Je remarque cette idée de “besoin sexuel” va souvent de pair avec des tensions, une forme de pression induite sur le/la partenaire et de grandes difficultés à entendre un “non” du/de la partenaire.”

L’autre, le·la partenaire, ne devrait jamais être un moyen de décharger ses envies sexuelles. “Considérer le sexe comme un besoin induit le risque de faire incomber cette responsabilité à son partenaire. L’autre devient alors un moyen. Cela induit des postures de couple qui sont difficilement conciliables sur la durée” conclut la sexologue. Si les besoins sont propres à chacun, les exutoires aussi, le sexe à deux, par contre, se fait… à deux. N’en déplaise aux shtroumpf grognons.

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