Bannir la télé de la maison, zapper les news à la radio, virer Twitter et les sites d’actualité de son smartphone... De plus en plus nombreux·ses sont ceux et celles qui évitent les nouvelles, n’en pouvant plus du flot d’informations anxiogènes, qui les rend malheureux·ses. Mais éviter toute actualité est-il vraiment la solution pour retrouver la sérénité?
Guerre Israël-Hamas, attentat dans un lycée, bouleversements climatiques… Autant de sujets qui ont dominent l’actualité ces dernières semaines. Et seraient capable de rendre n’importe qui dépressif. Rien d’étonnant dès lors à ce que de plus en plus de personnes arrêtent de consulter les nouvelles. Selon une récente étude de l’Institut Reuters pour l’Étude du Journalisme, menée auprès d’individus de 46 pays, près de quatre sondés sur dix (38%), ont indiqué qu’il leur arrivait parfois d’éviter intentionnellement les informations. Une proportion qui ne cesse de grimper ces dernières années.
« On met souvent en avant les effets positifs liés au fait de suivre l’actualité » explique Kiki de Bruin, chercheuse en Journalisme à l’Université des Sciences appliquées d’Utrecht, menant des recherches sur l’évitement de l’actualité pour son doctorat.
Nous vivons dans une démocratie basée sur l’idée que les gens qui s’informent ou lisent le journal sont plus avertis et donc à même de mieux prendre part au débat politique. Mais peut-être qu’éviter les nouvelles n’est en réalité pas forcément mauvais et permet au contraire de conserver une meilleure santé mentale. J’enquête sur ce principe.
Besoin d’une pause
En tant que journaliste, je suis moi-même une grande consommatrice d’actualité. Je débute chaque matinée en parcourant tous les grands quotidiens, puis passe la journée sur les sites d’information, Twitter et l’actualité à la radio. Je considère d’une certaine manière, qu’il s’agit de mon «devoir professionnel» d’être toujours au courant, mais j’ai remarqué dernièrement que ce défilement de news sans fin est devenu une sorte de dépendance, que je n’arrive plus toujours à mettre en off. Et pour la première fois, je sens aussi que ces nouvelles commencent à me peser. Je suis, par exemple, préoccupée par cette récente hausse des prix de l’énergie et je me demande ce que je pourrai encore me permettre. Je soupire face à cette énième vague de Coronavirus. Et ces photos de l’horreur en Ukraine me font faire des cauchemars. L’idée d’une détox de l’actualité me séduit de plus en plus.
Dans son livre Stop Reading the News,le philosophe Suisse Rolf Dobelli explique pourquoi il a radicalement cessé de suivre toute actualité en 2010 et comment cela a modifié son existence. «Je me sens plus calme, plus heureux et cela ne me manque pas», affirme-t-il. Selon lui, le flot incessant de mauvaises nouvelles place notre corps dans un état de stress chronique. «Et la surcharge d’informations dont nous disposons de par cette société numérique ultra-connectée, joue un rôle majeur à cet égard», ajoute Kiki de Bruin.
«La quantité de nouvelles nous parvenant de toute part sur un sujet donné est énorme. Comme avec le Coronavirus ou désormais la guerre en Ukraine. Et les gens recherche un break de cette infodémie. Car chaque personne qui le souhaite est désormais à même de se plonger H24 dans l’actualité. Mais est-ce vraiment sain? Cette abondance entraîne du stress et de la tension chez de nombreux individus. La surcharge émotionnelle et l’impact négatif sur le bien-être mental font partie des raisons principales pour lesquelles les gens évident les news. Même si pour certain·e·s, c’est aussi une question de manque de temps ou simplement parce qu’ils·elles préfèrent regarder des séries.»
Kiki de Bruin a également mené des recherches sur cette thématique durant la crise sanitaire.
Nous avons constaté que le bien-être mental de celles et ceux qui ont arrêté de suivre les nouvelles n’a fait qu’augmenter. À l’inverse de celles et ceux qui ont continué à regarder les actualités liées à la Covid.
Nous avons aussi remarqué que les personnes qui évitaient les infos sont devenus en parallèle plus impliquées socialement durant cette période de pandémie. Nous ne savons pas exactement comment fonctionne ce lien, mais il semble en tout cas qu’ils·elles aient lutté contre leur sentiment d’impuissance via des actions positives, comme du bénévolat ou des dons financiers.»
Scroller jusqu’à l’overdose
En 2020, le Oxford English Dictionary a nommé le terme doomscrolling (défilement morbide)comme mot de l’année. Celui-ci désigne un phénomène typique du 21e siècle, consistant à passer une quantité excessive de temps devant son écran, à faire défiler des informations négatives. Une personne passerait d’ailleurs en moyenne 60 à 90 minutes par jour à lire des articles de presse. Un temps énorme en somme. Mais que dit réellement la science sur ce flux constant de mauvaises nouvelles et son impact sur nous? Nous avons posé la question à Filip Raes, psychologue clinicien et thérapeute comportemental, également professeur à la KU Leuven et dont les recherches ont pour sujet principal la dépression et l’inquiétude: «Une surcharge de messages négatifs induit une sorte de situation de stress chronique, avec toutes les conséquences néfastes sur la santé, que cela implique.» Parmi ceux-ci, des problèmes cardiaques, de l’hypertension artérielle et un système immunitaire affaibli. Une étude sur les effets psychologiques des images diffusés par les médias, de l’attentat du 11 septembre aux États-Unis, a même montré que certains spectateurs ont développé à long terme un type de stress post-traumatique. Comment réaliser que les informations vous affectent négativement? «Les commentaires de vos proches peuvent être une première base d’alerte. Par exemple s’ils vous demandent si vous ne passez pas trop de temps sur votre smartphone. Vous pouvez aussi être plus énervé·e ou renfermé·e.
D’autres symptômes sont des soucis de sommeil, une difficulté à se concentrer, un impact sur le travail ou de l’anxiété. Si vous constatez un changement dans votre comportement ou si ce principe entrave votre quotidien, c’est que cela a déjà été trop loin»
, explique Filip Raes. « Lorsque l’humain était chasseur-cueilleur dans un lointain passé, nous voyagions avec un groupe d’une cinquantaine d’individus. On s’occupait alors de ce qui s’y passait mais, l’on avait aucune idée de ce qui se déroulait plus loin. » Les réseaux sociaux ont multiplié le nombre d’informations jusqu’à presque l’infini, peu importe leur distance. Un tireur dans un café, en Amérique. Un individu mort d’une morsure de serpent, en Australie. Et voici le train des nouvelles qui ne cesse plus de tourner, entraînant à sa suite le wagon de la peur présent dans notre cerveau. «Et notre organisme entre dans un état d’alerte. Et cela nous fatigue si cet état dure trop longtemps. Et il va en plus sans dire que sans les réseaux sociaux et les actualités, nous ne saurions pas grand-chose d’une majorité de ces informations», ajoute le psychologue.
L’attrait inconscient de la négativité
Le problème est qu’en tant qu’espèce, nous accordons plus d’attention aux nouvelles négatives. C’est ce que l’on appelle le principe de negativity bias. Le psychologue, Filip Raes: “Notre cerveau primaire est toujours aux aguets face aux risques, à ce qui met potentiellement la vie en danger, car nous voulons survivre. Nous sommes donc naturellement plus attentifs aux nouvelles négatives. Se demandant inconsciemment : est-ce une menace pour moi? Puis-je en apprendre quelque chose pour une prochaine fois? Et c’est ainsi que l’on commence à s’inquiéter.»
Nos cerveaux voient des enfants paniqués, des maisons incendiées, lisent des récits sur des soldats russes violant femmes et enfants ou sur la menace nucléaire qui plane sur nous. Même si cela se déroule «loin», cela arrive malgré tout, et augmente le stress et le sentiment d’anxiété des personnes qui y sont déjà sensibles. Les angoissé·es pensent souvent que rassembler autant de connaissances que possible leur donne plus de contrôle face à une situation potentiellement tendue. Ils·elles ont l’impression de devoir scroller et lire et scroller et lire toujours plus pour parvenir à s’apaiser. «Celles et ceux qui le vivent veulent étudier tous les scénarios possibles et avoir une solution pour chacun d’entre nous, de façon à avoir le sentiment un sentiment de maîtrise, mais c’est une illusion», affirme le psychologue. « Car tout ce que vous lisez conduit alors à plus de peur, plus d’inquiétude et dès lors plus de lectures… jusqu’à atteindre une sorte de spirale négative addictive. Les recherches montrent également que plus l’on scrolle et l’on se renseigne en vue de trouver du réconfort, plus l’on devient anxieux·ses.»
Il est bien sur normal d’être plus préoccupé·e face à ce qui se déroule actuellement dans le monde et de suivre avec attention l’actualité. «Je pense que ce qui compte c’est de le réaliser. Car c’est dans la nature humaine de s’y plonger jusqu’à s’y perdre. Prenez aussi conscience de ce qui se cache derrière votre inquiétude. Car le fait d’être anxieux à propos de ses proches, amis et famille, signifie simplement que vous les aimez. Sans amour, il n’y aurait pas de souci. Ce n’est donc pas de base un problème. Ou alors nous en avons tous un (rires). Oui, c’est ennuyeux parfois, mais vous en tracasser ne fera qu’empirer les choses», ajoute Filip Raes.
Des vidéos d’animaux
La solution semble dès lors évidente. Se mettre la tête dans le sable, porter des œillères et éviter les infos. Ou peut-être pas? “Ce que vous repousser massivement revient souvent doublement plus fort.», répond le psychologue. «Serez-vous plus à l’aise en ignorant l’actualité et en ne sachant absolument plus rien? Je ne pense pas, non.»
Kiki de Bruin parle également de “consommation consciente» plutôt que d’évitement total. «Je remarque que les gens qui évitent d’être assaillis par les nouvelles, seront plus conscients de ce qu’ils reçoivent comme infos et de quand, que ceux qui ont le réflexe de scroller sans fin. Ils·elles dosent alors le flux d’actualité, en choisissant les moments ou en ne suivant que certaines chaînes ou certains programmes.
L’idée est d’agir en fonction de ses propres besoins: Quelle actualité est utile à ma vie? Qu’est-ce que je n’ai pas besoin de voir en permanence? Et il n’y a, bien sûr, rien de mal à faire une pause loin de Twitter ou d’Instagram pendant une semaine. Cela peut être bénéfique.
Filip Raes le confirme: «Limitez votre comportement de surf au niveau du temps et de la fréquence et restez à l’écart des fils d’actualité, surtout le soir, où ils sont alors mauvais pour le sommeil.» Un autre piège dans lequel on a tendance à tomber, lorsque l’on identifie la source de pensées ou sentiments négatifs, est de tout leur imputer. En croyant ainsi qu’une fois la cause réglée, on peut passer à autre chose. Mais cela ne fonctionne pas toujours et n’empêche pas forcément de rester coincé·e avec des peurs et des pensées angoissantes. Pour Filip Raes « Il est essentiel de continuer à réaliser des choses qui sont importantes dans votre vie. Ne laissez pas tomber vos hobbies, sortez, retrouvez des ami·e·s, allez vous balader avec un·e voisin·e. Vous n’en avez peut-être pas toujours envie, mais quand vous sentez-vous mieux? Lorsque vous passez toute la soirée à scroller derrière votre écran, coincé·e dans votre tête ou lorsque vous pouvez partager vos soucis avec des ami·e·s? Il faudra peut-être que vous vous forciez un peu au début, mais vous finirez par vous sentir mieux, devenir plus résistant·e et ensuite il deviendra de plus en plus facile de ranger votre smartphone.”
Et souvenez-vous que Twitter et consorts regorgent aussi de photos d’adorables animaux, de mêmes rigolos et de vidéos émouvantes. «Veillez consciemment à opter aussi pour ce type contenu. Vous pouvez le considérer comme superficiel ou gnangnan, mais il a aussi un impact. Ce genre d’images déclenche un autre mécanisme dans notre cerveau, une sorte de système de soin, qui amène bien-être et paix. Et nous en avons tous besoin en ces temps troublés.»
Comment modérer sa consommation d’actualité sans la supprimer totalement?
Prenez conscience de la quantité d’informations que vous absorbez
On se dit parfois que ce n’est pas si énorme que ça… Et puis l’on additionne tout le temps passé à naviguer sur des sites d’actualité, à scroller sur Twitter, à écouter des news et à regarder le journal à la télé… Et cela devient rapidement astronomique.
Offre-vous une détox d’actualité pendant une semaine
Faites un break. Pendant une semaine, arrêtez de lire le journal, bannissez les sites d’actualités, les applications dédiées et les émissions télé et écoutez Spotify au lieu de la radio. Vous ressentirez rapidement si votre degré d’agitation diminue et si la vie devient plus zen ou non.
Choisissez consciemment un moment pour vous informer
Limitez votre consommation d’actualité en temps et en fréquence. Fixez des limites et choisissez une émission télé, un blog en direct, un journal ou un programme de radio à suivre vraiment. Par exemple, écoutez consciemment les infos à la radio trois fois par jour, mais limitez-vous à ça. Ou ignorez toute news pendant la semaine et passez plus de temps sur les journaux du week-end. Cela vous aidera à être moins distrait·e ou assailli·e et à vous concentrer davantage sur ce que vous souhaitez réellement lire ou savoir.
Décidez des médias que vous suivez
Le journal télé ne vous manquerait pas, mais vous aimez, par contre, vous tenir au courant des dernières tendances musicales ou des nouveautés technologiques? Trouvez alors des sites et des blogs intéressants, concernant vos centres d’intérêt spécifiques et suivez-les plutôt que des plateformes généralistes.
Désactivez les notifications push
Les notifications push sont des messages d’alerte envoyés par des applications sur smartphones et ordinateurs. Vous pouvez désactiver toutes les notifications dans Paramètres ou, chez Apple, via Préférences Système => Notifications. Vous pouvez également vous désabonner des newsletters des sites d’actualité et ceux et celles qui le souhaitent peuvent aller plus loin et se désabonner de tous les comptes d’actualité sur Facebook et supprimer les applications dédiées de leur mobile. Recherchez ce qui vous convient pour trouver un équilibre entre être informé·e et être submergé·e. Vous pouvez également définir une minuterie sur certaines applications, afin de ne pas y rester sans voir le temps passer.
Optez pour une info approfondie plutôt que pour de gros titres survolés
En direct! Actu! Breaking News! Il semblerait fou de ne pas lire des titres aussi accrocheurs. Mais honnêtement, avez-vous vraiment besoin de savoir qu’une personne en Floride s’est fait mordre par un alligator ou qu’il y a eu un accident de bus en Indonésie? Au lieu de compulser tous les derniers tweets, prenez du temps pour en apprendre plus de manière approfondie: regardez un documentaire sur un sujet particulier, lisez un livre ou un long reportage sur le contexte autour de la guerre en Ukraine, traduit du New York Times par exemple. De cette façon, vous choisissez ce que vous estimez précieux et êtes sûr·e d’avoir une source d’information fiable, qui vous aidera à vous forger une opinion plus fondée.
Et pourquoi ne pas opter pour une lecture hebdomadaire seulement?
Un conseil de Rolf Dobelli, l’auteur de Stop Reading the News: “Si vous voulez entretenir l’illusion de ‘ne rien manquer d’important au monde’, vous pouvez lire The world this week, l’hebdomadaire signé par The Economist, reprenant le résumé de l’actualité mondiale.» Ou, si vous ne vous sentez pas suffisamment à l’aise avec l’anglais, on vous suggère Courrier International, qui est principalement constitué d’articles publiés dans la presse étrangère et traduits en français. De quoi être au plus proche de l’actualité de chaque pays.
Essayer l’actualité jeunesse
Vous trouvez les journaux télévisés trop négatifs mais souhaitez suivre les news du jour? Alors foncez découvrir l’actualité pour enfants et adolescents. Celle-ci reprend les derniers développements, en allant à l’essentiel et sans les présenter de manière aussi lourde que leur pendant adulte.
Lire aussi:
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici