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À COEUR OUVERT: « Je me suis sortie de ma dépendance à la drogue et l’alcool » 

La dépendance revêt de nombreux visages. Isha avait à peine 13 ans lorsqu’elle a découvert le speed. Au fil des années, elle est devenue la marionnette de son addiction à la drogue et à l’alcool, jusqu’à ce qu’elle reprenne le contrôle de sa vie, il y a maintenant 4 ans. 

«D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été en lutte avec moi-même. Mes parents se sont séparés lorsque j’avais 1 an et, après le divorce, j’ai vécu 2 vies ­complètement différentes. Avec mon père, j’ai connu la pauvreté, tandis qu’avec ma mère, j’ai baigné dans l’opulence. Ma mère était une femme d’affaires très occupée qui travaillait jour et nuit. Plus les années passaient et plus elle était absente. Elle m’a souvent manqué, même si elle veillait à ce que je ne manque de rien. Elle m’achetait les plus beaux vêtements possibles, et c’était apparemment une raison ­suffisante pour que je devienne la cible de harcèlement. Dès l’école primaire, j’ai été victime de ­moqueries, qui n’ont fait que ­s’aggraver en grandissant. Mes ­harceleurs ont déchiré mes ­vêtements, m’ont jeté du sel dans les yeux, m’ont frappé le visage avec des branches, et j’en passe. Lorsque je suis entrée en secondaires, je me suis dit que c’était un nouveau ­départ, mais même là, je me suis sentie comme une étrangère.

Lorsque j’ai sniffé ma première ligne de cocaïne, j’en suis immédiatement tombée amoureuse et j’ai eu la sensation d’avoir trouvé le grand amour.

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J’ai trouvé particulièrement difficile de créer des liens avec les autres élèves. J’avais l’impression d’être beaucoup plus indépendante qu’eux, en partie à cause de mon passé d’enfant harcelée et du fait que j’ai dû me débrouiller toute seule dès mon plus jeune âge. Je préparais déjà mes ­tartines alors que j’avais à peine 6 ans. Et comme j’étais casse-pied, mes parents étaient aussi plus permissifs. À 13 ans, j’ai pu aller à une fête pour la première fois, et c’est là que j’ai découvert le speed. À partir de ce moment-là, la machine était lancée. Après le speed, l’ecstasy a vite fait son apparition et, en plus de ma consommation, j’ai commencé à dealer. Je voyais ça comme un défi, et l’adrénaline du deal me grisait particulièrement. Pendant les 2 années suivantes, j’ai consommé de l’ecstasy en combinaison avec du speed, mais lorsque j’ai sniffé ma première ligne de cocaïne, j’en suis immédiatement tombée amoureuse et j’ai eu la sensation d’avoir trouvé le grand amour. Je me souviens exactement où, quand, à quelle heure et à quelle table j’ai pris cette première ligne. À cause de mon enfance, j’ai traversé la vie comme une fille qui manquait cruellement d’assurance, mais à partir du moment où j’ai commencé à prendre de la cocaïne, j’ai eu l’impression que je pouvais affronter le monde entier et que personne ne pouvait m’arrêter.

Tous les freins ont lâché

Peu de temps après, je prenais de la cocaïne tous les week-ends. Au début, je sniffais seule, jusqu’à ce qu’on me propose du crack – également connu sous le nom de free-base (la version fumable de la cocaïne, ndlr). Dès que j’en fumais, j’avais l’impression d’oublier tout ce qui s’était passé quand j’étais plus jeune. Je trouvais ça absolument génial. Mes parents n’étaient pas aveugles à la situation, mais ils ­pensaient que c’était une phase dont je sortirais grandie. Rien ne pourrait être plus éloigné de la ­vérité, car ma consommation n’a fait qu’augmenter. Au début, je sortais les vendredis et les samedis, mais avec le temps j’ai commencé à sortir aussi le dimanche, ce qui a entraîné des absences régulières à l’école. J’ai fini par sortir aussi le jeudi, et à chaque fois, cela impliquait la consommation de drogue et/ou ­d’alcool. Il était inenvisageable pour moi d’aller à une fête ou dans une discothèque sans prendre quelque chose.

Au fond de moi, je me rendais compte que je n’allais pas bien, mais mon amour pour la cocaïne était bien plus grand que celui que je me portais.

Bien que j’aie été absente sans justification pendant pas moins de 52 jours en sixième secondaire, j’ai miraculeusement obtenu mon diplôme de coiffure. J’ai eu la chance d’être douée avec des ciseaux, sinon je n’aurais jamais réussi. Après mes études secondaires, j’ai travaillé de temps en temps dans des concours de miss, et comme nous devions parfois rester quelque temps à l’étranger pour cela, mon corps a eu le temps de récupérer. J’avais un comportement exemplaire pendant cette période, mais dès que j’ai ­retrouvé mon environnement ­familier, tous les freins ont à nouveau lâché. Avant je ne consommais que quand je sortais, mais à ce moment-là, la consommation à la maison est devenue normale. J’ai commencé à avoir honte de la quantité que je consommais et de l’heure à laquelle je commençais à le faire le matin. J’étais coincée dans un cercle vicieux. Avant même d’en prendre conscience, j’ai commencé à boire dès mon réveil et à aller chercher un gramme de coke ou plus chez mon dealer dès le matin... Au fond de moi, je me rendais compte que je n’allais pas bien, mais mon amour pour la cocaïne était bien plus grand que celui que je me portais. Ça a entraîné diverses conséquences, car je conduisais régulièrement ma voiture sous l’influence de l’alcool et j’ai provoqué mon premier accident au cours de cette période, qui n’a fort heureusement pas eu de conséquences graves.

Sevrage

J’avais 21 ans lorsque j’ai opté pour une admission volontaire dans une clinique privée. Pour la première fois depuis des années, j’ai été ­abstinente pendant un certain temps, mais lorsque je suis revenue à la vie normale, j’ai rechuté au bout d’un mois et je suis tombée dans un gouffre encore plus profond. ­Pendant les 2 années qui ont suivi, je me suis complètement perdue. À cause de ma consommation ­quotidienne, j’ai perdu toutes mes valeurs et le sens des normes, et je suis tombée dans un gouffre encore plus profond.

Je me suis dit: soit ma dépendance entraîne ma mort, soit j’accepte enfin de demander de l’aide. Je n’avais alors plus rien à perdre, sauf ma vie. 

Dans mon esprit, tout tournait autour de ma dépendance. Tout ce que je faisais avait pour but d’atteindre la prochaine dose de drogue. Lorsque je me réveillais, la seule question que je me posais était de savoir comment j’allais trouver de l’argent pour acheter ma drogue. Au cours de ma dernière semaine de consommation, j’ai disparu des radars pendant 5 jours. Personne ne savait où j’étais. Ma mère n’a pas osé informer la police de peur que je me fasse retirer mon permis de conduire, car j’avais déjà comparu devant un tribunal pour conduite en état d’ivresse. Je me souviens avoir conduit pendant des heures alors que j’étais en état d’ébriété et sous l’influence de drogues. À un moment donné, je me suis retrouvée entre 3 camions et une petite voix en moi m’a murmuré: ‘Isha, si tu ne sors pas maintenant, tu ne survivras pas à ça.’ J’ai pris la sortie suivante, où j’ai ­perdu connaissance après quelques secondes seulement. J’ai été ­retrouvé des heures plus tard par un inconnu. Finalement, cet événement m’a fait prendre conscience que les choses devaient changer de manière radicale. Pour la deuxième fois, je me suis fait admettre volontairement en clinique, et cette fois j’ai décidé de vraiment donner une chance au traitement, parce que ces 3 camions étaient encore gravés dans mon esprit. Le sevrage a été un travail de longue haleine. Les premiers jours, je n’avais aucune idée de la manière dont je pouvais reprendre ma vie en main. Je ne savais plus quand dormir, quand me doucher, ­comment communiquer avec les autres, et encore moins ce qu’étaient les émotions. Je n’avais connu que la défonce pendant des années, et tout ce que j’étais capable de ressentir à l’époque, c’était de la colère et de la tristesse.

Isha 2.0

Je me suis heurtée à moi-même de manière très brutale plus d’une fois. Pendant 2 mois, en partie grâce à une aide professionnelle, j’ai pu travailler sur moi 24 h/24 et 7 j/7, pour donner naissance à Isha 2.0. Mon processus de guérison ne s’est bien entendu pas arrêté lorsque j’ai quitté la clinique privée. Bien que je sois abstinente depuis le 23 septembre 2020, je continue à travailler sur moi chaque jour. Aujourd’hui encore, ma guérison passe avant tout. Au cours des 2 premières années, je me suis systématiquement demandé si telle chose ou telle personne était bénéfique à mon travail de guérison. C’est ainsi que j’ai définitivement coupé les ponts avec mes anciens amis, que j’ai vendu ma voiture et que je me suis débarrassé de tous les vêtements et chaussures que j’avais portés pendant ma période de consommation, afin de faire table rase du passé. Je n’avais jamais ­imaginé que je reprendrais un jour le contrôle de ma vie. Et puis à un moment donné, j’étais tellement au fond du trou que je me suis dit: soit ma dépendance entraîne ma mort, soit j’accepte de demander de l’aide. À ce moment-là, je n’avais plus rien à perdre, sauf ma vie.

Si j’avais continué comme je le faisais, je ne serais pas là pour en parler ­aujourd’hui. J’en suis convaincue. Heureusement, lorsque j’ai enfin eu le déclic après toutes ces années, les choses ont évolué rapidement, même si j’ai dû travailler très dur pour y parvenir. J’ai dû agir chaque jour au nom de ma guérison, et je le fais encore aujourd’hui avec mon mari, qui est lui aussi un ancien toxicomane. Nous nous sommes rencontrés lors d’une réunion alors que nous étions tous 2 abstinents depuis quelques mois seulement. Dans le monde de la toxicomanie, le dicton: ‘Quand 2 toxicomanes ­partagent un lit, le diable dort entre eux’ est très vrai. En effet, une ­relation entre 2 anciens toxicomanes ne peut bien fonctionner que si les 2 partenaires affirment leurs limites et respectent celles de l’autre, car si l’un des 2 partenaires retombe dans ses anciens travers, les choses ­deviennent dangereuses. Nous avons conclu des accords clairs sur la ­manière de gérer une telle situation. Je connais les déclencheurs de mon mari et il connaît les miens. Je suis extrêmement reconnaissante de l’avoir dans ma vie et d’être le père de nos 2 magnifiques enfants. Nous n’avons pas besoin de nous parler pour nous comprendre. Chez nous, il n’y aura jamais un verre de vin sur la table. Je ne sais pas comment les choses se seraient passées si j’avais rencontré quelqu’un qui n’était pas lui-même en voie de guérison et qui buvait de l’alcool. Je pense que ça aurait été encore plus difficile.

Toxico en rémission

Les gens disent parfois: ‘Junkie un jour, junkie toujours’, et il y a une raison à cela. Je suis en train de me rétablir d’une dépendance et je serai une toxicomane en rémission pour le reste de ma vie, du moins si je ne rechute pas, car personne ne sait de quoi demain sera fait. C’est une ­histoire qui ne se termine jamais tout à fait, et j’en suis consciente. Je ne peux pas boire juste un verre d’alcool, car si je le fais, 3 jours plus tard, je suis probablement retombée au plus bas. Les neurones de la ­dépendance (cellules du système nerveux, ndlr) sont encore là ­aujourd’hui et ne disparaîtront ­jamais. Bien que je ne sois plus ­dépendante aux drogues, je resterai une junkie pour toujours et à jamais. Est-ce que j’ai du mal à rester ­abstinente? Au début de mon ­parcours de guérison, j’ai parfois eu du mal, oui. J’ai un tatouage sur le bras qui dit: ‘Just for today’. À l’époque, quand je passais par une phase difficile, je me disais que la rechute pouvait attendre le ­lendemain. C’est ainsi que j’ai ­traversé mes journées à l’époque, et mon tatouage en est un rappel permanent.

Bien que je ne sois plus dépendante aux drogues, je resterai une junkie pour toujours et à jamais.

Aujourd’hui, j’ai encore des déclencheurs et des journées compliquées, mais les rechutes ne sont plus qu’un lointain souvenir. Il y a presque 3 ans, j’ai failli rechuter une fois, et c’est à ce moment-là que ma première grossesse s’est transformée en fausse couche. Je ne sais pas comment j’aurais réagi si mon mari n’avait pas été à mes côtés lorsque j’ai quitté l’hôpital. Lorsque je me sens émotive et que je ne sais pas quoi faire de moi ou que je ­ressens certaines choses du passé, je pense à mon mari et à mes ­enfants. J’ai un toit au-dessus de ma tête, je suis clean et je suis ­capable d’offrir un foyer stable et une bonne éducation à mes fils. J’ai donc plus de raisons qu’il n’en faut pour continuer à lutter sans ­relâche contre ma dépendance, même si je pense que la désintoxication, c’est avant tout quelque chose que l’on fait pour soi-même, et non pour quelqu’un d’autre. Je suis reconnaissante que ma famille ne m’ait pas laissé tomber, même si elle a souffert à cause de moi.

Une affaire de famille

La dépendance est un problème familial. Ma mère m’a vue sous ­influence tous les jours pendant 12 ans, alors comment était-elle ­censée me faire confiance alors que j’étais à peine abstinente? Chaque fois qu’elle me voyait, elle me ­scannait de haut en bas, et ce ­pendant 2 ans. Ça a été franchement terrible à vivre, mais d’un autre côté, je ne pouvais pas non plus lui en vouloir, car je devais regagner sa confiance. Je considère que j’ai eu beaucoup de chance qu’elle ait eu une lueur d’espoir malgré tout, car entre-temps, je suis devenue une femme indépendante qui a sa propre entreprise et qui a suivi une formation de conseillère. Avec mon mari, j’aide les personnes souffrant de problèmes d’addiction et qui ont renoncé à se reprendre en main. Je pense que la société agit à l’envers en ce qui concerne la dépendance. Le besoin d’une aide ciblée est ­beaucoup plus important, car la ­plupart des personnes souffrant de dépendance et leurs proches ne savent souvent même pas vers qui se tourner et doivent passer des mois sur liste d’attente avant de pouvoir recevoir une quelconque aide.

Le fait que nous soyons tous les 2 des experts de la dépendance par expérience et que notre vie suive une belle voie nous offre de belles perspectives. Il y a de la lumière au bout du tunnel!

De plus, la dépendance est un problème très sous-estimé. Dans les faits, la moitié de la ­Belgique est dépendante. Il suffit de mettre son smartphone de côté pendant 24 heures pour se rendre compte à quel point c’est difficile de s’en passer. Lorsque nous pensons à la dépendance, nous pensons aux drogues et à l’alcool, mais elle revêt bien d’autres visages. Il arrive que des personnes nous demandent ce qui manque à leur proche pour s’en sortir, mais ce n’est pas de leur ressort. Lorsque nous racontons notre histoire, il y a souvent un silence. Le psychologue apporte un très bon soutien. Je rends visite aux miens tous les mois, mais ils sont toujours un peu sur la réserve dans l’expression de leurs sentiments. Le fait que mon mari et moi soyons tous 2 des experts de la dépendance par expérience et que notre vie suive une belle voie nous offre de belles perspectives. Il y a de la lumière au bout du tunnel, vraiment! Je considère ma dépendance comme une sorte de démon, même si je suis également reconnaissante qu’elle ait existé. Cela peut paraître étrange, mais elle me rend un peu plus unique que les autres personnes. Ce que je trouvais terrible auparavant, je le considère aujourd’hui comme une valeur ajoutée. »

Vous êtes aux prises avec une dépendance et vous avez besoin d’aide? Vous trouverez des informations sur le site infordrogues.be, et vous pouvez contacter leur permanence téléphonique au 02/227 52 52.

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