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Amitié filles-garçons - Getty
Amitié filles-garçons - Getty

L’amitié filles-garçons est-elle réellement possible?

Manon de Meersman

Être ami·e avec une personne du sexe opposé, est-ce réellement possible? Ambiguïté, attirance, désir... Pour certain·e·s, l’amitié en ce sens est impossible, alors que pour d’autres, elle existe bel et bien.

Si une relation n’est pas une autre, il se dégage malgré tout deux tendances en matière d’amitié filles-garçons: celleux qui y croient, et celleux qui n’y croient pas. Pourtant, les choses en la matière sont loin d’être noires ou blanches. “Si les amitiés de ce type sont controversées, c’est parce qu’à partir d’un point de vue socio-anthropo, on est sur une question de rôles préattribués en regard de ce qu’on attend des hommes et des femmes, explique Caroline Müller, formée en psychologie et assistante psy. La société est hétéronomative, et impose depuis toujours le modèle global de l’hétérosexualité, considéré comme la norme.”

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Des images ancrées dès la tendre enfance

Selon Caroline Müller, cette tendance à voir dans une amitié fille-garçon une ambiguïté relève des rôles sociaux préconçus. “Lorsqu’on voit un homme et une femme, on y voit des potentiels partenaires. On y voit cette idée d’emboitement, fait pour faire perdurer l’humanité. Aborder la relation d’un homme et d’une femme en dehors des codes de la séduction, du partnership, c’est encore compliqué chez beaucoup de monde.”

Pourtant, si on se regarde du côté de milieux militants, cette idée n’est plus enracinée. Pourquoi? Car un processus de reconstruction du genre a été entamé. Et on finit par se rendre compte qu’en réalité, le genre n’a pas vraiment de caractéristiques préconçues. Car là-dedans, il n’y a rien de biologique.

poursuit Caroline Müller. “J’ai beaucoup de potes mecs, mais au niveau amical, en termes de réelle amitié, j’ai un seul véritable ami, explique Emma. De ma part et de la part de mes potes, il n’y a pas d’ambiguïté. En revanche, il y a dans l’inconscient collectif une construction sociale hétéronormée: si t’es pote avec quelqu’un qui n’est pas de ton genre, si en plus tu es hétérosexuel, alors y a une attirance. Or pas du tout! Mon ami, je le considère comme mon frère, il n’y a jamais eu aucune attirance.”

En réalité, cette vision est inculquée à l’enfant dès son plus jeune âge. “Ce tableau est projeté dès l’enfance. J’utilise souvent l’exemple des deux petites filles qui jouent ensemble, et qui sont alors considérées comme des meilleures copines. En revanche, un petit garçon et une petite fille ensemble, on va se dire: ‘c’est trop mignon, ils sont amoureux’. Il faut s’imaginer que ces représentations sont imposées dès la tendre enfance et qu’on les intègre comme la Vérité, alors que ce sont juste des normes.”

Changer le regard sur l’ambiguïté

Malgré cette vision inculquée dès l’enfance, de nombreuses personnes possèdent évidemment des ami·e·s du sexe opposé au leur. C’est le cas de Simon, qui explique d’ailleurs ne faire aucune différence dans ses amitiés. “De par le milieu dans lequel je suis et les histoires de la vie, j’ai davantage d’amis, mais j’ai pas mal d’amies également. Ce sont plus ou moins les mêmes au niveau des sentiments dans mes amitiés avec des filles et avec des garçons; en termes de qualité en tout cas c’est la même chose, explique-t-il. En revanche, y a un côté davantage camaraderie avec les mecs. Avec les filles, je ressens que l’on est dans des discussions portées un peu plus sur les sentiments. Je remarque d’ailleurs que je suis souvent en position de confident dans mes amitiés avec des filles, tout simplement car je pense qu’avoir l’avis d’un mec par rapport à certains sujets est intéressant.” Pour Marina, il y a également de ces amitiés précieuses où la différence n’a pas lieu d’être. “Parfois, tu as juste un crush amical et on est dans le même délire. Le sexe de la personne importe peu.”

Mais quid de l’ambiguïté? Pour Simon, il y en a toujours un peu, “mais elle n’est jamais malsaine” explique-t-il. “S’il y a attirance, il y a ambiguïté, mais ça se règle avec le temps, donc cette dernière disparait avec. C’est aussi la manière dont on voit la relation charnelle en réalité”, ajoute-t-il, précisant qu’il a plusieurs amies avec qui ça a déjà été plus loin. “Mais ça n’empêche pas la relation d’amitié. Je pense que ce qui fait que les gens voient ça comme impossible, c’est parce qu’on va parler d’attirance. Or, nous sommes toujours attirés par nos ami·e·s: il y a une attirance amicale, parfois aussi amoureuse, mais la force est ici de distinguer les sentiments. Et aussi les accepter. On trouve d’ailleurs souvent les gens que l’on aime beaux; pourtant on sépare très bien beauté et relation amoureuse. Le frein à une amitié, c’est l’ambiguïté non-dite” conclut à ce propos Simon, qui rejoint en ce sens Marina pour qui “ce qui préserve la relation, c’est de faire des choses ensemble, de se voir, et surtout, de communiquer.” Autant de propos qui démontrent ainsi qu’il n’est pas impossible d’entretenir une amitié avec le sexe opposé, même si l’ambiguïté s’immisce dans la relation.

Quand on pense que c’est impossible, c’est que c’est intégré dans l’esprit. Si un homme parle avec une femme, tu t’attends à ce que chacun ait un questionnement dans le sens romantique. C’est pourquoi il faut revoir sa lecture de la société dans un sens moins binaire. C’est un exercice neuf en réalité, et cette vision est très récente.

explique Caroline Müller.

La question de l’orientation sexuelle dans l’amitié

De par son orientation sexuelle, Marina explique qu’elle n’a jamais été confrontée à de l’ambiguïté dans ses amitiés avec des garçons. “Il y a peut-être eu des ambiguïtés du côté du mec, mais jamais du mien. Et lorsque ça a été le cas, j’ai eu l’occasion d’en parler, on a pu se dire les choses, et au final, ce n’est pas quelque chose qui a compté” explique-t-elle, nuançant que par contre, toujours de par son orientation sexuelle, elle constate que certains garçons ne sont pas encore assez ouverts d’esprit. “Certains ont des remarques sexistes ou macho. Ils n’en ont pas l’impression, mais ils sont restés dans une vision autre, qu’ils considèrent dans le fond comme la norme. Je sens une différence dans mes amitiés avec des garçons car avec certains, quand on commence à creuser, ils ne sont pas évolués, ou ne se remettent pas en question, notamment sur des questions de sujets sociétaux. Mais heureusement, il y en a avec qui, justement, le cheminement quant à la vie a été fait, et je me sens alors davantage moi-même car cela ouvre la porte à des débats.”

En ce sens, Marina constate d’ailleurs dans ses amitiés avec des garçons que ces derniers la placent dans leurs rangs sans réfléchir. “Vu qu’on aime tous les filles, on peut parler de filles ensemble, il y a ce lien. Ils me mettent dans la même case qu’eux, mais ils ne me voient pas comme quelqu’un dont ils pourraient tomber love. Ça plante le décor dès le début, car ils savent qu’on restera juste potes.” Au contraire, Emma, a quant à elle déjà fait face à des remarques, découlant de cette société justement hétéronormée. “Je suis cis hétéro, mais d’office, je me suis pris des réflexions qui reflètent l’imaginaire collectif et la pression des normes sociétales. Comme si le fait d’être amie avec un mec caractérisait ce dernier de ‘gay refoulé’, explique-t-elle. Mais ça n’a aucun lien de causalité, c’est homophobe. On met des gens dans des cases, et ce n’est agréable pour personne. Il faut toujours trouver une pseudo-justification derrière l’amitié fille-garçon, et souvent on met ça en lien avec ton genre et ta sexualité.”

Selon Caroline Müller, en-dehors de l’orientation sexuelle, c’est surtout l’attirance qui va jouer en réalité. “C’est ce qui va diriger les amitiés, explique-t-elle. L’amitié, c’est une question d’alchimie, une question d’attentes, de feeling… On a énormément cloisonné les rôles sociaux: tu as tes amis, tes amoureux, tes amoureuses… Il y a des rôles imposés. Et certaines mentalités tendent à se déconstruire en aplanissant tous ces rôles et en voyant que le lien se vit de l’intérieur, et qu’il est possible de consommer l’union le temps d’un soir.”

Le concept de friend zone

La friend zone désigne cette situation où l’un·e souhaite une relation qui va au-delà de l’amitié avec un·e autre, mais que cet·te dernier·ère ne désire qu’une relation amicale. Véritable fléau, cette friend zone? Cela dépend de quel point de vue on se place. “Ce qui va casser une amitié, c’est si la personne vient te voir en t’avouant ses sentiments, que de ton côté, ce n’est pas réciproque, mais que l’autre n’est pas capable de l’entendre et t’inonde de reproches, explique Caroline Müller. On en arrive au concept de friend zone. Pourtant, bien souvent, la personne n’a pas fait miroiter l’autre, mais la personne a nourri ses espoirs en se basant sur les préceptes sociétaux dictés depuis des décennies entières.”

Dans le fait d’avoir envie de plus avec une personne, on s’élève au-delà du règle animal. En revanche, nous sommes vexé·e·s si quelqu’un ne veut pas de nous. Cela renvoie à la question des attentes, c’est de l’utilitarisme. Et si ça prend des proportions démesurées, c’est une question de personnalité, plus que de sexe.

poursuit la spécialiste, qui en voit en la friend zone un concept nourri de mille et un clichés découlant de la vision hétéronormée de la société. “Cette notion, elle veut ni plus ni moins dire: ‘OH MON DIEU! C’est horrible! On ne va être QUE ami·e·s alors.”

Car en réalité, la question, ce n’est ni celle du genre, ni celle du sexe, ni même celle de l’orientation sexuelle. “C’est la question des attentes, déclare Caroline Müller. Ce sont des questions de ressentis, mais il n’y a tellement rien qui influence l’amitié fille garçon en termes biologique. Il y a encore moins d’un siècle, les filles allaient à l’école d’un coté et les garçons de l’autre, cela donne une bonne idée de la société, et de son évolution. Aussi, quand tu peur d’être trompé·e dans ton couple, tu te laisses bouffer par les peurs et chaque situation s’impose comme un danger; ça va se cristalliser dans un lien qui existe déjà et qui est déjà fort. L’insécurité, peu importe comment elle s’impose et se traduit, ce n’est pas quelque chose de sain. Et là, la question, y compris dans la manière dont aborder les relations filles-garçons, c’est: les personnes sont-elles capables de se sécuriser pour ne pas douter des propos, des actes, et des comportements de l’autre?”

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