AMNÉSIE TRAUMATIQUE: ce mécanisme qui permet de survivre au viol
Il arrive que le cerveau, lors d’un événement difficile comme un viol, disjoncte et se déconnecte, donnant lieu à une perte de mémoire. Les personnes qui vivent une amnésie traumatique peuvent passer des années, voire une vie entière, sans se rappeler du traumatisme. Roxane Evrard, psychologue et sexologue clinicienne répond à nos questions sur le sujet.
Dans cet article, Helena se livrait sur son amnésie traumatique: pendant plus de 40 ans, elle n’a plus eu aucun souvenir des viols subis dans son enfance. Afin d’en savoir plus sur ce mécanisme surprenant du cerveau, nous avons posé quelques questions à la psychologue clinicienne Roxane Evrard.
Qu’est-ce que l’amnésie traumatique ?
«Il existe différents types d’amnésies, mais l’amnésie traumatique renvoie au fait qu’une personne ne se souvient pas ou très peu d’évènements traumatiques vécus en raison du caractère traumatique de ces faits. Deux types sont rencontrés : l’amnésie traumatique partielle / parcellaire et l’amnésie traumatique complète / totale. La première renvoie au fait que les survivant·e·s ont des bribes de souvenirs notamment via des sensations ou des images qui peuvent toucher soit le début des violences, soit la fin ou encore même quelques ‘images’ floues de certaines parties des évènements. Dans ce cas, c’est comme si la personne était face à des pièces d’un puzzle qu’elle ne comprend pas, qu’elle n’arrive pas à rassembler, interpréter ou décrypter. L’amnésie complète, quant à elle, implique que la personne n’a aucun souvenir des évènements.»
Que se passe-t-il au niveau du cerveau en cas d’amnésie traumatique?
«Lorsqu’une personne est confrontée à un événement potentiellement traumatique, le cerveau, notamment le cortex pré-frontal n’est plus en capacité de traiter et de comprendre ce qui se passe. Il se désactive et disjoncte en secrétant de puissants neurotransmetteurs et substances. En même temps, l’amygdale cérébrale surchauffe et s’isole de toutes les autres structures qui permettent l’intégration des faits. La mémoire sensorielle et émotionnelle des violences est alors bloquée dans l’amygdale.
La personne entre dans un état de dissociation psychique, un puissant mécanisme de défense de survie, qui lui permet d’être déconnectée, anesthésiée afin de ne plus ressentir ces actes aussi violents.
Plus les violences sont répétées, plus la personne présente des symptômes dissociatifs (être ailleurs, déconnectée, bizarre, étrange, absente). Il apparaît alors logique qu’elle présente des difficultés de mémoire par la suite. Cet état peut donc entraîner de l’amnésie traumatique due à de la dissociation.»
Quand la mémoire traumatique se réactive-t-elle?
«La mémoire traumatique renferme les souvenirs traumatiques, notamment de violences sexuelles. Il s’agit d’une mémoire non digérée renfermant tous les aspects sensoriels et émotionnels liés aux violences. C’est comme une bombe interne prête à exploser à n’importe quel moment lorsque la personne est confrontée à un élément lié aux violences qu’elle a vécues (odeur, lieu, personne, bruit, sensations, etc.). Lorsque cette mémoire se réactive, elle fait revivre presque de manière identique les violences vécues par la personne avec la même intensité et la même terreur.»
Dans quel cas le cerveau fait-il ce type d’amnésie?
«L’amnésie traumatique peut concerner tout événement potentiellement traumatique, et a déjà été retrouvée chez des vétérans de guerre par exemple. Cependant, elle concerne principalement les personnes ayant vécu des violences sexuelles dans l’enfance. Les chiffres actuels estiment que plus de la moitié de ces personnes présentent de l’amnésie traumatique. On sait aujourd’hui que l’amnésie traumatique a plus de risque de se produire lorsque la victime est très jeune, si les faits sont répétés, surtout si les violences sont des viols et s’ils sont commis par des personnes proches de l’enfant dans un contexte d’inceste notamment (père/mère, oncle/tante, etc.).»
Est-ce toujours souhaitable de retrouver ses souvenirs?
«Même si pour certains, la levée d’amnésie est la bienvenue car permet d’enfin comprendre, de faire des liens, de résoudre le puzzle de leur vie, pour d’autres, connaître la réalité de leur passé est beaucoup trop douloureux et ceux-là auraient préféré ne rien savoir.
En tant que psychologue, il est capital de ne pas affirmer aux personnes qu’elles retrouveront tous les souvenirs, car nous ne pouvons pas l’assurer.
Cependant, ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’il est possible d’apprendre à vivre avec.»
Le fait de ne pas se souvenir protège l’individu, mais cela comporte aussi des désavantages?
«Malgré l’amnésie partielle ou totale, beaucoup de personnes peuvent être confrontées à des ressentis particuliers tels qu’un sentiment d’étrangeté, un malaise incompréhensible, le sentiment de ne pas être à sa place ou d’être anormal.e. Puisque l’amnésie concerne des faits traumatiques, la personne peut néanmoins être confrontée à des reviviscences qui s’imposent à elle sous forme de ressentis, d’émotions, de sensations, sans image précise. Elle peut alors être en proie à une attaque de panique, à un profond sentiment de mal-être, de terreur, de dégoût. Cependant, en raison de l’amnésie, aucun lien ne peut être fait entre le stimulus déclencheur et les violences vécues. Pour toutes ces raisons, la personne n’en parle pas, et si elle y arrive quand même, les professionnels, souvent non formés à cette clinique, l’accompagnent dans la mauvaise direction (erreur de diagnostic, mauvais traitements médicamenteux, etc.).»
Il y a-t-il des contextes propices à une levée d’amnésie?
«Tant que la personne est dans un état de dissociation, l’amnésie traumatique persistera. Cela arrive souvent quand la personne est en sécurité physique et psychique, quand elle s’éloigne du contexte/lieu des agressions/de l’agresseur, quand elle est dans un moment particulier de sa vie (grossesse, maladie, décès, examen médical), quand un lien conscient ou inconscient est perçu avec le passé traumatique (lieu, heure, film, témoignage, discussion, débat, etc.), ou encore, parfois, lors d’une thérapie.»
Quelles sont les méthodes efficaces pour lever une amnésie?
«À l’heure actuelle, il n’y aucune étude scientifique qui affirme qu’une méthode en particulier peut aider à lever des amnésies. En ce qui concerne les violences sexuelles sous substance chimique (alcool, drogues, GHB, etc.), le cerveau ayant été complètement anesthésié, il est impossible de retrouver les souvenirs et la mémoire.»
Merci à Roxane Evrard pour son éclairage, Roxaneevrard.be.
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