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mère toxique
© Unsplash

À COEUR OUVERT: ““J’ai grandi avec une mère toxique, jalouse de ses propres enfants””

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

Réconfort, tendresse, protection et amour inconditionnel: tant d’attributs que l’on alloue aux mères. Mais il arrive que les relations maternelles soient empoisonnées par des comportements nocifs et destructeurs. Jeanne, 35 ans, cadette d’une famille de 3 sœurs, a longtemps souffert de sa relation avec sa mère.

Le sujet des mères toxiques vous intéresse? Dans cet article, on décrypte, avec une psychologue, les conséquences d’une mère toxique et les pistes pour s’en défaire.

« Quand j’étais enfant, j’étais très proche de ma maman. Notre relation était même assez fusionnelle.. J’étais une petite fille anxieuse, emplie de peurs et de phobies, et ma maman me protégeait beaucoup. Elle comprenait ma timidité et m’autorisait à dormir à ses côtés lorsque mes peurs me tenaillaient. J’étais la petite dernière, donc elle me maternait peut-être plus que mes sœurs. Il faut dire que ma maman a toujours été plus à l’aise avec les bébés, qu’avec les enfants plus âgés. Quand on a commencé à grandir, avec mes sœurs, on a senti un certain détachement. Elle ne devait plus nous donner le bain, nous habiller… C’était compliqué pour elle de trouver sa place de mère. C’est à ce moment-là, quand j’avais 7 ans, que mes parents ont divorcé. Un divorce très douloureux pour ma mère — mon papa est parti pour une autre —: à partir de ce moment, elle n’a plus répondu de rien. Elle a fait une dépression et est devenue celle dont on devait s’occuper, mes sœurs et moi. Elle ne se réveillait pas le matin pour nous conduire à l’école, restait en pyjama toute la journée. C’est ma grande sœur qui s’occupait de me guider pour mes devoirs. J’ai longtemps cru que ma mère était tombée en dépression à cause du divorce, mais mon père nous a expliqué plus tard qu’elle avait toujours été de nature très mélancolique. Le divorce lui a donné un prétexte pour se donner le droit d’être ce qu’elle avait toujours été. Sur les vidéos de nos fêtes de Saint-Nicolas, datant d’avant le divorce, elle est souvent absente. Déjà à cette époque, elle ne se levait même pas pour nous voir déballer nos cadeaux.

Nous liguer contre notre père

À côté de ça, elle déversait sur nous la colère qu’elle entretenait pour mon père. Elle n’a jamais encaissé le fait qu’il parte pour une femme plus jeune et plus jolie. Et n’a jamais su faire le deuil de sa famille unie. Elle a toujours utilisé le divorce comme excuse pour ne plus s’occuper de nous. Elle le rabâche encore aujourd’hui.

À partir du divorce, je ne me suis plus sentie sécurisée dans mon statut d’enfant: ma mère était en dépression, mon père était parti avec cette nouvelle femme et ne nous voyait qu’un week-end sur deux.

Je suis devenue responsable de moi-même très jeune. Je lui en veux beaucoup d’avoir essayé de nous liguer contre notre père. Elle nous en donnait une mauvaise image: disait qu’il aimait les femmes vulgaires, que sa nouvelle compagne était  une ‘plouc’. Elle l’a même accusé d’être violent. Elle a pris un avocat féroce pour le divorce et nous a fait faire des choses qu’elle n’aurait jamais dû nous faire faire. On devait déposer des lettres d’avocat à notre père; elle a aussi demandé à ma sœur de noter la plaque de notre belle-mère, afin que la police puisse constater l’infidélité de mon père. Mes sœurs et moi sommes devenues, contre notre gré, partie intégrante de leur histoire de couple. Elle nous racontait même des anecdotes sur leur sexualité, que nous ne voulions pas entendre. Elle ne nous a jamais protégées de cette situation. C’était comme si elle était la seule à souffrir de ce divorce.

Jalouse de ses filles

Les années ont passé et elle a toujours gardé cette position de victime. Par exemple, encore aujourd’hui, elle se plaint qu’on ne l’appelle pas souvent, nous traitant de ‘méchantes’. Lorsque je l’appelle, elle est du genre à me dire: ‘Ravie de savoir que tu es toujours vivante’. Ça ne lui viendrait pas à l’esprit de se dire que nous aussi, on a parfois besoin que ce soit notre maman qui nous appelle, qui se fasse du souci pour nous. Elle prend toujours une voix de petite fille quand on lui parle. Aujourd’hui encore, elle me culpabilise tout le temps. Elle a toujours dit qu’elle s’était sacrifiée pour nous, car elle n’a jamais travaillé pour nous éduquer. Quand j’y repense, j’ai toujours eu peur de faire du mal à ma mère. Je me suis même souvent tue ou écrasée, car j’avais peur de prendre trop de place ou de la heurter. Il arrivait qu’elle s’énerve à table, lorsqu’elle estimait que je parlais trop par exemple. Elle était jalouse de nos liens sociaux car c’est un aspect qui  a toujours été plus difficile pour elle.

J’ai pris du temps avant de réaliser cette jalousie… Aujourd’hui, je prends conscience qu’elle ne nous fait jamais de compliments, mais qu’elle n’hésite pas à nous lancer des piques sur notre physique.

Ma mère est très mince et a toujours pris un malin plaisir à répéter à tout le monde que personne n’avait hérité de son incroyable morphologie dans la famille. Quand j’avais 15 ans, elle me disait: ‘Oh c’est dommage cet acné, les hommes adorent les belles peaux. Ça ne vient pas de moi, ça vient de ton père ça!’ Lorsque ma sœur a commencé à avoir des hanches, elle a cru bon de lui conseiller d’aller consulter, s’inquiétant d’une excroissance. Si on sortait sans mascara quand on était ado, ma mère nous disait qu’on allait faire peur aux mouches. Elle n’a aucune confiance en elle, de manière générale, mais elle a toujours eu confiance en son physique: C’est sa seule arme dans la vie et elle la projette sur nous. Si on nous fait un compliment sur notre physique, elle le prend ‘pour elle’. C’est limite si elle ne va pas dire merci à notre place. Tout tourne toujours autour d’elle. D’ailleurs, quand j’étais jeune, elle voulait toujours que j’achète les mêmes fringues qu’elle.

La prise de conscience

Au final, je me rappelle d’une fois où je l’ai trouvée très présente. C’était lors de mon premier chagrin d’amour. Elle m’a donné le sentiment qu’on était une équipe et qu’on n’allait pas se lâcher. Après coup, je réalise que ça la rassurait que je sois dans un état qu’elle connaissait. Elle se sentait utile, à nouveau, car cela lui donnait l’impression qu’on était les mêmes. J’ai longtemps eu du mal à considérer cette relation comme toxique, je sais qu’elle a fait comme elle a pu et je ressens de la culpabilité à la blâmer. Je comprends maintenant que notre relation a impacté beaucoup de choses chez moi. Je n’ai pas confiance en moi, j’anticipe beaucoup les réactions des gens par exemple.

Petite, je me rappelle observer avec attention les mâchoires de ma mère: quand elles se serraient, je comprenais que je devais me taire pour ne pas que ça explose ou qu’elle soit triste.

Vu qu’elle ne savait et ne sait toujours pas gérer ses émotions, c’était toujours à nous de nous remettre en question. Ce qui m’a aidée, c’est de comprendre qu’elle était immature émotionnellement. Ça m’apaise beaucoup: maintenant, quand je l’ai au téléphone, je la considère comme une petite fille. Vivre avec un parent émotionnellement immature fait de gros dégâts chez les enfants: j’ai dû apprendre à me sécuriser toute seule. Je dois faire le deuil de la mère que j’aurais voulu avoir: la même que celles de mes copines, qui nous préparaient des crêpes quand on rentrait de l’école, connaissaient les dates de nos examens, celles qui encouragent… Celles qui posaient un cadre aussi. Quand mes copines avaient toutes un couvre-feu, moi, je pouvais sortir jusqu’à 4h du matin si je le voulais. Avec le recul, je réalise que ce manque de règles était un manque d’amour. Je n’ai jamais discuté avec ma maman de tout ça. Je sais qu’elle ne comprendrait pas, elle ne veut pas comprendre. Alors j’adopte une autre stratégie: je ne rentre plus dans son jeu et je ne lui réponds plus ce qu’elle a envie d’entendre. Je dis exactement ce que je pense. Elle est actuellement en dispute avec ma sœur et à l’époque, je l’aurai rassurée, j’aurais essayé de jouer un rôle de médiatrice. Aujourd’hui, je sais que la manipulation s’arrête quand le manipulé s’en rend compte. Ma mère s’arrête très vite quand elle comprend que l’hameçon ne prend plus. Quand mon père est décédé et qu’elle n’a pas été là pour moi, j’ai compris que je n’aurais jamais un lien avec elle. Si même dans ce cas là tu ne prends pas ton rôle de mère, c’est que tu n’as jamais su le faire. Créer un lien, c’est s’intéresser à l’autre, être spontané avec l’autre. Et je n’ai pas à culpabiliser de ce manque de lien.»

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