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Suicide Alice.
© Getty Images

À COEUR OUVERT: ““Voir un cadavre, c’est très choquant, surtout quand tu connais la personne””

Sarah Moran Garcia
Sarah Moran Garcia Journaliste web

Le 8 novembre 2023, Alice (nom d’emprunt) a vécu un événement dramatique. Ce soir-là, elle et son compagnon ont découvert l’un de leur proche pendu à son domicile. Aujourd’hui encore, la jeune femme reste troublée par ce qu’elle a vu et par tout ce qui a découlé de cette tragédie.

La journée du mercredi 8 novembre 2023 avait débuté normalement pour Alice (nom d’emprunt) et son compagnon, jusqu’à ce que ce dernier reçoive un appel du travail de l’un de ses amis. Ses collègues étaient tracassés de ne pas voir ce dernier au bureau. Une inquiétude exacerbée par le fait que l’homme ne répondait à aucun appel. “Le soir, mon homme m’a dit qu’il trouvait ça bizarre que son pote ne se manifeste pas et que les messages n’étaient pas lus”, explique Alice. “Nous avons décidé de nous rendre chez lui pour voir ce qu’il se passait et lui ‘sonner les cloches’.” Son conjoint pensait que son ami avait simplement décidé de nier les sollicitations pour avoir la paix.

Ayant un mauvais pressentiment, Alice a décidé d’accompagner son compagnon. Sur place, ils ont découvert la voiture de leur copain sagement garée devant la maison. Lorsqu’ils ont frappé à la porte, personne n’a répondu. Ils se sont alors rendus dans le jardin, où ils ont aperçu que la porte arrière était ouverte. “Nous nous sommes dit que ce n’était pas normal”, se souvient Alice. Ils sont entrés dans l’habitation, ont appelé leur camarade, mais celui-ci n’a jamais répondu. Un autre détail les a chiffonnés. “Ses chiens étaient dans la maison et avaient fait leurs besoins partout dans la cuisine. À ce moment-là, on s’est vraiment dit que quelque chose n’allait pas”, poursuit-elle.

Son geste était extrêmement bien calculé. Nous n’avons jamais su si cela s’était passé la veille au soir ou le matin même.

Un geste calculé

Ils ont continué leurs investigations dans la maison, jusqu’à découvrir leur ami à l’entrée de son garage. Le corps était pendu avec une corde attachée à un crochet situé “à peine plus haut que le dessus de sa tête”. Ils ont aussi trouvé du vomi dans les toilettes. Alice pense qu’il aurait tenté de mettre fin à ses jours par voie médicamenteuse avant de se pendre. “Son geste était extrêmement bien calculé”, commente-t-elle. Au moment de la découverte, le défunt portait ses vêtements de travail. “Nous n’avons jamais su si cela s’était passé la veille au soir ou le matin même.”

Dans une lettre, l’homme a expliqué être devenu un poids pour ses proches. C’est du moins ce que lui ressentait. Il avait des mots gentils pour ses enfants, son ex-femme et ses animaux. Il avait aussi inscrit les noms et numéros de quelques proches qu’il fallait prévenir. Concernant ses funérailles, il avait tout prévu. Il voulait être incinéré et avait mis de l’argent de côté pour que ses proches n’aient pas à subir un poids financier en plus de tout le reste.

Des funérailles compliquées

Il avait très peu de famille, juste ses deux enfants, son parrain et sa marraine. Le compagnon d’Alice a appelé tous ceux dont les noms étaient mentionnés dans la lettre de suicide, pendant qu’elle appelait les secours. Le parrain et la marraine habitant loin, ils ont mis beaucoup de temps à se rendre chez leur neveu. Quant à son ex-femme, elle a d’abord refusé de venir. Quand tout le monde est finalement arrivé, une dispute a éclaté, les uns accusant les autres. Dans ce capharnaüm, Alice et son compagnon, qui étaient restés en dehors des débats, ont dû prendre les décisions qui s’imposaient, avant que l’ex-compagne du défunt ne finisse par reprendre la main.

Nous étions cinq, elle, un couple d’amis à eux, mon compagnon et moi. Ses enfants, de douze et quatorze ans, eux, ont refusé de venir.

“Elle a notamment interdit les visites. Mon conjoint a dû la supplier pour qu’elle accepte. Il a été le seul à pouvoir se recueillir sur le cercueil. Il y avait une grande pièce vide avec une seule gerbe”, explique Alice. “Elle a également refusé que qui que ce soit participe à l’enterrement. Il a de nouveau dû la supplier et elle a finalement accepté, car il lui a expliqué qu’il en avait besoin. Nous étions cinq, elle, un couple d’amis à eux, mon compagnon et moi. Ses enfants, de douze et quatorze ans, eux, ont refusé de venir.” Les autres amis n’ayant pu assister à la cérémonie, Alice et son compagnon ont organisé un repas en son honneur, quelques jours plus tard. “Malgré la situation, on a passé un bon moment”, se souvient-elle.

Lui s’en voulait, elle revivait les événements

Alice et son compagnon ont géré les événements de manière bien différente. Puisque son conjoint était le meilleur ami du défunt, il a été énormément sollicité, “ce qui était extrêmement stressant et fatigant”. Il a fini par tourner la page, une fois l’enterrement et la cérémonie passés. “Les premières semaines, il s’en est beaucoup voulu. Il se disait que s’il avait été plus présent, plus à l’écoute, plus disponible, il aurait pu éviter cela”, raconte Alice. “Il a été présent pour lui, il était disponible, il était attentionné envers lui. Il n’aurait pas pu faire plus. On a beaucoup discuté et je lui ai expliqué que, malheureusement, son ami avait pris sa décision. Il avait vraiment bien tout planifié et je ne pense pas qu’on aurait pu changer la donne. Il l’a bien compris et ne se sent plus aussi coupable.”

De son côté, après le drame, la jeune femme s’est plongée dans les tâches du quotidien pour soulager sa moitié. Elle voulait voir le moins de personnes possible. Même si elle n’était pas spécialement proche du meilleur ami de son compagnon, il lui a fallu presque deux mois pour que les images qu’elle avait vues cessent de la tourmenter. “Voir un cadavre, c’est très choquant, surtout quand tu connais la personne. Tu gardes une dernière image affreuse. J’imagine que j’aurais eu encore plus de mal si j’avais été plus proche de lui ou s’il s’était agi de l’un de mes proches”, indique-t-elle.

Des flashs persistants

Au travail, certains de ses collègues étaient au courant des événements dont elle avait été témoin et mettaient tout en œuvre pour lui éviter le stress. Les autres, qui ne savaient rien de ce qu’il s’était passé, lui demandaient régulièrement pourquoi elle avait une “sale tête”. “Ça m’a fait craquer plusieurs fois. J’en avais marre de raconter la même histoire encore et encore, de me justifier d’être mal. En plus, ça ne faisait que raviver les images dans ma tête”, regrette Alice. La jeune femme avait l’impression d’être enfermée dans une “bulle de tristesse”, la joie et les rires des autres personnes l’énervaient, elle était devenue très irritable malgré elle.

Voir un cadavre, c’est très choquant, surtout quand tu connais la personne. Tu gardes une dernière image affreuse.

Son patron a conseillé à Alice de consulter un psychologue, ce qu’elle n’a pas fait. Si son mal-être avait toutefois persisté plusieurs mois, elle y serait allée. Mais finalement, celui-ci s’est estompé jusqu’à presque disparaître. Cela ne l’empêche pas d’avoir, de temps à autre, des flashs de cette soirée du 8 novembre 2023 qui remontent à la surface. “Quand mon compagnon ou un de mes proches a un coup de mou, je me mets à paniquer. Je sais que si quelqu’un ne va pas bien, il ne va pas spécialement se suicider, mais je me dis parfois que ça pourrait recommencer.”

Si vous ou en proche avez des pensées suicidaires, vous pouvez contacter la ligne d’écoute du Centre de Prévention du Suicide au 0800 32 123. Elle est anonyme, gratuite et disponible 24h/24, 7j/7. L’équipe du Centre est composée de bénévoles qui assurent une écoute citoyenne, bienveillante et sans jugement à toute personne qui en ressent le besoin. Plus d’informations sur www.preventionsuicide.be.

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