Réconfort, tendresse, protection et amour inconditionnel: tant d’attributs que l’on alloue aux mères. Mais il arrive que les relations maternelles soient empoisonnées par des comportements nocifs et destructeurs... Quels sont les signes d’une mère toxique? Comment s’en défaire? Quelle trace laissent-elles sur leur enfant devenu adulte?
« J’ai osé lui faire l’affront d’être une fille, une rivale, d’attirer quelques minutes l’attention des hommes de la famille. Elle ne me le pardonnera jamais». Sur la quatrième de couverture du livre L’Anti-mère, l’auteure Marie-Estelle Dupont annonce la couleur. Dans ce livre autobiographique, cette psychologue clinicienne témoigne au nom de toutes les femmes qui ont grandi auprès d’une mère jalouse de leur féminité. Un livre qu’elle écrit pour libérer les victimes de mères toxiques de leur culpabilité. Mais qu’est-ce qu’une mère toxique? Selon Catherine De Geynst, psychologue systémicienne, il faudrait souligner qu’une personne est rarement toxique en soi, «ce sont davantage les interactions qui le sont. La toxicité se produit quand plusieurs individus se mêlent à une dynamique toxique.» Et d’ajouter qu’une définition précise de la mère toxique n’existe pas: «Elle peut être intrusive, distante, ou encore — ce qui est parfois pire — alterner entre ces deux pôles, entre le chaud et le froid, ce qui est extrêmement déstabilisant pour l’enfant qui reçoit des signaux contradictoires », explique-t-elle.
Confusion des rôles
Cela dit, toujours selon la psychologue, c’est dans la notion de différenciation qu’émerge la toxicité. « Si, au départ, il est normal que les enfants soient le prolongement de leurs parents, cela doit pouvoir évoluer avec l’âge de l’enfant, pour que celui-ci puisse se construire comme une personne à part entière. C’est ce qu’on appelle la subjectivation en psychologie, soit le fait de devenir un sujet à part entière en se différenciant des membres de sa famille.» Une mère dite ‘toxique’ empêcherait en quelque sorte son enfant de voler de ses propres ailes. «On peut même parfois parler d’objectivation: l’enfant devient la chose de son parent.» Parmi les dynamiques qui empêchent le processus de différenciation, on peut noter les mères plus intrusives qui vont, par exemple, lire le journal intime de leur enfant ou rentrer dans leur chambre sans demander la permission. Ou encore, celles qui leur racontent leur intimité, avec des anecdotes sexuelles, par exemple, ou qui leur demandent de raconter leurs propres histoires intimes. «Ces comportements floutent les frontières entre l’enfant et son parent. Il y a alors confusions des rôles.» Il arrive donc qu’une mère ne prenne pas son rôle de parent à part entière et/ou qu’un enfant doive se positionner comme le parent de son parent. On peut alors, dans de telle situation, voir apparaître une confusion de générations: «C’est ce qui arrive lorsqu’une mère est jalouse de sa fille et la prend pour une copine, une sœur, voire une rivale. Ou quand une mère se victimise et attend de son enfant qu’il la protège. Dans le cas d’une rivalité, la mère ne voit pas sa fille comme une personne à part entière car elle projette des choses d’elle-même sur son enfant, comme si son enfant était de sa génération, à l’instar d’une amie par exemple.»
Parmi les dynamiques qui empêchent le processus de différenciation, on peut noter les mères plus intrusives qui vont, par exemple, lire le journal intime de leur enfant ou rentrer dans leur chambre sans demander la permission.
Quand l’enfant assouvit les besoins du parent
Mais comment et pourquoi devient-on une mère toxique? Comme souvent en psychologie, un petit tour en arrière est utile: « Si ses propres parents n’ont pas assouvis ses besoins d’enfants, de sécurité et d’amour, une mère pourra demander à ses enfants de les combler. Elle aura plus d’attente envers ses enfants, leur demandera d’être toujours là pour elle. Or, dans une logique saine, le parent doit plutôt ‘donner’ à son enfant. Il ‘recevra’ alors d’une autre manière, sans ‘recevoir’ directement. L’idéal est de ne pas faire des enfants pour assouvir ses besoins, sinon quoi ils deviennent des objets d’attention, des machines à amour en quelque sorte. Il y a une instrumentalisation de l’enfant pour une satisfaction personnelle, et à nouveau, l’enfant n’est plus une personne différenciée puisqu’elle doit servir le parent. C’est aussi là que la culpabilisation peut avoir lieu, avec des phrases comme: ‘Après tout ce que j’ai fait pour toi…’, ‘Je me suis sacrifiée pour toi…’,: l’enfant aura toujours l’impression d’être redevable et ne pourra jamais prendre son envol. En tant que parent, ce n’est pas grave d’avoir des besoins et d’avoir parfois besoin que nos enfants les assouvissent: nous ne sommes pas des robots, mais il convient d’en prendre conscience et d’y travailler. En général, les mères véritablement toxiques ne font pas de thérapie, elles ne s’interrogent sur rien et foncent tête baissée », conclut la spécialiste.
C’est aussi là que la culpabilisation peut avoir lieu, avec des phrases comme: ‘Après tout ce que j’ai fait pour toi…’, ‘Je me suis sacrifiée pour toi…’,: l’enfant aura toujours l’impression d’être redevable et ne pourra jamais prendre son envol.
Faire le deuil
Comment savoir si on a affaire à une mère toxique? « Je dirai qu’il faut regarder le premier signe: la souffrance psychologique », explique Catherine De Geynst. « Est-ce que vous remettez votre intuition en doute tout le temps? Que vous manquez de confiance en vous? Et dans vos relations, tombez-vous toujours sur des personnes culpabilisatrices? Êtes-vous vous-même culpabilisante avec certaines personnes?» Des milliers de symptômes peuvent exister, mais ceux-ci peuvent être des signes d’une relation difficile avec un parent. À la question de savoir s’il faut couper les ponts, la spécialiste insiste sur la difficulté de le faire sans ressentir une énorme culpabilité. La rupture n’est donc pas toujours idéale, d’autant plus que «le fait de rompre maintient une situation problématique. En coupant les ponts, on ne résout pas, on ne modifie pas la dynamique et on risque de revivre ailleurs une relation d’emprise.» Mais lorsque la souffrance est trop grande, lorsque les limites ont été mises, qu’une thérapie a été entreprise et que rien ne fonctionne, il faut parfois sauver sa peau via l’éloignement. «L’idéal serait de prendre une juste distance.» Et pour pouvoir prendre son autonomie sans se séparer, il faudrait pouvoir renoncer aux espoirs que l’on entretient sur le parent parfait — qui, rappelons-le, n’existe pas : «Vous ne pourrez pas transformer un parent défaillant, mais en changeant certaines attitudes, vous pouvez recadrer les choses.» Car la psychologue systémicienne est catégorique: ce sont les interactions qui créent la toxicité. Changer son fusil d’épaule, refuser de prendre une place que l’on ne souhaite plus prendre, faire intervenir une tierce personne — le père, par exemple — peut permettre d’amoindrir l’impact négatif de ces anti-mères.
Merci à Catherine De Geynst, psychologique clinicienne: Catherinedegeynst.com.
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