Certaines amitiés prennent de l’énergie. Parfois, un peu trop. Jusqu’à ce que l’on se rende compte que la personne avec qui nous sommes ami·e·s est en réalité toxique. Comment reconnaître ce genre de relations et surtout comment s’en défaire?
Une amitié toxique peut faire aussi mal, si pas plus, qu’une relation amoureuse du même type. Selon la psychologue spécialisée dans les relations affectives, Kathleen Lambert, un·e ami·e peut facilement drainer toute notre énergie « qu’elle en ait conscience ou pas et ce, à travers une série d’attitudes. Il·elle vous dévalorise en prétendant vouloir votre bien. Il·elle n’hésite pas à vous discréditer auprès des autres. Il·elle ne s’intéresse qu’à lui·elle-même. Les discussions tournent autour de ses expériences ou de ses souffrances. Il·elle est souvent dans le négati- visme. Il·elle dit se préoccuper de vous, sans vraiment être à l’écoute. Il·elle ne verbalise pas clairement ses demandes et vit vos différences comme un outrage. Vos échanges sont laborieux. Il·elle vous prête des intentions malveillantes lorsque vous ne faites pas ce qu’il·elle attend de vous. Vous appréhendez ses réactions. »
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Des attitudes à déceler
Ces attitudes, Océane les a connues pendant plus de dix ans avec Mélissa, son ancienne meilleure amie. « On s’est rencontrées à l’université, en deuxième année de bachelier en psychologie, explique-t-elle. Elle avait beaucoup d’ami·e·s, moi aussi, mais on a vraiment eu un coup de foudre amical. Pourtant, très vite, j’ai compris que Mélissa était bourrée d’insécurités: manque de confiance en elle, peur du rejet et de l’abandon, importance du regard des autres... Malgré ces red flags, j’ai noué une véritable amitié avec elle. Autant nous pouvions passer des moments géniaux, autant j’avais aussi souvent l’impression qu’elle faisait tout pour me dénigrer, comme si elle était jalouse de moi. Lorsque je me confiais à elle sur mes problèmes, elle les comparait tout de suite aux siens, comme si les miens étaient moins importants. J’ai aussi souvent senti du jugement de sa part, même si elle le niait totalement lorsque je lui faisais remarquer. Elle me disait d’ailleurs qu’elle se sentait offensée que je puisse penser qu’elle me juge pour mes faits et gestes. Pourtant, c’était bel et bien le cas. À un point tel que j’ai fini par ne plus lui raconter certaines choses de ma vie, de peur de me faire engueuler comme un enfant, alors que j’avais tout de même 29 ans, que j’étais assez grande pour me gérer. La dernière chose dont j’avais envie lorsque je racontais mes déboires amoureux, c’était de me sentir accablée, mais avec elle, ça ne manquait jamais, même si elle me disait que c’était pour mon bien. » Cette amitié n’avait effectivement rien de sain et Océane en avait bien conscience.
« Une amitié saine se compose de deux individualités distinctes (A) et (B) dont les paradigmes coexistent de manière respectueuse et équilibrée. Le point de vue de l’un a autant de valeur que celui de l’autre. On évolue en équipe », explique Kathleen Lambert. « Dans cette symbiose, chaque entité préserve son intégrité, protège ses limites, affirme ses besoins et communique librement sur sa perception du monde. Personne n’est contraint de prendre en charge les émotions négatives de l’autre. Nous atteignons un niveau relationnel supérieur (C) à condition de prendre la responsabilité de notre propre épanouissement et d’accepter, en toute bienveillance, de composer avec une autre manière de fonctionner. Cultiver ce type de relation (C) est excellent pour la santé. On se recharge au contact de l’autre. On se soutient mutuellement, que ce soit à travers une simple tape sur l’épaule ou une discussion profonde de plusieurs heures. En cas de désaccord, il est possible d’exprimer son avis sans pour autant l’imposer à l’autre. Maintenir une dynamique harmonieuse prend le pas sur la volonté d’avoir le dernier mot. » Mais dans une amitié toxique, il en va autrement.
Dans ce cas, a contrario, la seule issue pour sauvegarder la relation est d’abandonner une partie de soi au bénéfice de l’autre. Son paradigme, porté en supériorité, nous écrase. Tout ce qui fait résistance à cette lecture du monde génère une tension. Nous abdiquons sous la culpabilité, le stress, l’intimidation, le chantage...
Selon la psychologue Kathleen Lambert, dans ce genre d’amitié, on ne se laisse pas le droit de vivre ses émotions, ses frustrations ou ses vulnérabilités. « On pose un couvercle sur nos ressentis pour répondre aux attentes de notre ami·e. Toujours plus insatisfait, ‘A’ fait pression. Toujours plus en abnégation, ‘B’ s’éteint. Ce que l’on offre avec générosité se transforme en acquis auquel on se sent obligé de répondre en tout temps et tout instant. La relation fructueuse ‘C’ disparaît et, bien souvent, cette situation est difficile à vivre pour tout le monde. »
Les clés pour se défaire d’une amitié toxique
Océane a mis des années avant de parvenir à se défaire de cette amitié. « J’ai commencé à consulter une psychologue, car ce n’était plus possible. Mélissa me bouffait mes ondes positives et mes ami·e·s s’en rendaient bien compte. Toutes et tous m’ont dit que je devais la lâcher, penser à moi, mais dès que je trouvais un peu de courage pour le faire, elle parvenait à me faire changer d’avis avant même que je n’aie dit quoi que ce soit. »
Pour se défaire d’une amitié toxique, Kathleen Lambert nous donne trois précieux conseils:
Se recentrer
“Je m’inscris dans la pensée de Thomas d’Ansembourg: « Si je prends soin de l’autre en me négligeant moi-même, j’entretiens la négligence et non le soin. » Pour construire une relation de qualité avec autrui, il est nécessaire avant tout de développer une relation saine avec soi-même. Comment se fait-il que vous ayez pu rester si longtemps en marge des préoccupations prioritaires? Quelle faille vous pousse à payer le prix fort? Quel rapport entretenez-vous avec vous-même? Êtes-vous à l’écoute de vos besoins et de vos limites? Êtes- vous conscient·e et connecté·e à ce qui vous ressource? Vous rendez-vous disponible pour ce qui compte à vos yeux? Inutile d’espérer voir fleurir une plante dans un terreau empoisonné. Changer d’environnement est votre seule option. Prenez vos distances. Rechargez vos batteries. Accordez du temps aux activités qui vous font du bien. Côtoyez des amis qui vous prennent en considération.”
S’affirmer avec assertivité
“Développer un style de communication assertif est un formidable atout pour gérer les débordements sans agressivité ni soumission. Affirmer ses contours avec fermeté et douceur, sans se perdre en justifications ni se confondre en excuses, éloignera naturellement une personne qui ne peut supporter votre liberté d’être. Parfois, «Je n’ai pas envie. » est une raison suffisante pour marquer votre refus. Vous avez le droit de prendre du recul et de réfléchir avant d’agir, de mettre en avant votre dignité, de clôturer rapidement les échanges circulaires et de formuler de manière claire et concise ce qui vous met mal à l’aise dans un comportement donné.”
Pas de culpabilité
“STOP. Poser un cadre n’est pas synonyme d’abandon. Vous n’êtes pas le genre de monstre qui attache un chien à un arbre au beau milieu de la nature. Vous avez en face de vous un adulte responsable de ses ressentis, de ses interprétations et de son bien-être. Vous renvoyez simplement cette personne à son autonomie, sans lui porter atteinte. Si elle est incapable de gérer sa frustration par rapport à vos points de divergence, ce n’est ni de votre faute, ni de votre ressort. Par contre, les professionnels aguerris interviennent volontiers sur ce genre de problématiques.”
Que faire si la personne revient après la “séparation”?
Kathleen Lambert nous donne un précieux conseil: « Sentez-vous libre de choisir l’option qui vous convient: fuir sans demander votre reste ou tenter de vous mettre d’accord sur une nouvelle façon de fonctionner. » De plus, de ce point de vue, si nous souhaitons faire le point et remettre de l’ordre dans la dynamique dysfonctionnelle initiale, c’est à nous de prendre nos responsabilités.
Restez en connexion avec vous-même. Sécurisez votre espace physique et mental. Confrontez la personne aux limites qu’elle dépasse. Prenez le risque de perdre l’autre s’il·elle ne parvient pas à vous aimer tel que vous êtes.
“Coupez court lorsque la situation vous angoisse ou vous épuise. En bref, assurez-vous d’avoir bien intégré les principes fondamentaux qui faisaient défaut et voyez ce que la personne en fait. Est-elle prête à partir avec vous à la conquête d’un tout nouvel équilibre? Ou bien a-t-elle tendance à pousser sur les anciens ressorts, à se glisser dans les brèches, à laisser le naturel revenir au galop? Certaines per- sonnes sont incapables d’améliorer leur interaction avec le monde. Si tel est le cas, nous devons l’accepter... et nous autoriser à partir.”
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