Le deuil à retardement, quand la douleur reste vive malgré le temps qui passe
Bien que ses cinq étapes aient été codifiées, dans les faits, il y a autant de formes de deuil que de personnes ayant perdu un.e proche. Et parfois, celui-ci se déclare longtemps après le décès de l’être aimé.
Le phénomène, connu sous le nom de “deuil à retardement”, fait l’objet d’une étude approfondie dans le dernier livre de Hope Edelman, “The Aftergrief”. Après le concept de “vie après la mort”, place à celui de “deuil après la mort”, la douleur de la perte ne frappant que bien après celle-ci. Un phénomène dont Hope Edelman est familière puisqu’elle a perdu sa maman à l’âge de 17 ans, et a dû affronter une série de sentiments complexes au cours des années qui ont suivi, son deuil se présentant par vagues dont certaines ont menacé de la submerger longtemps après la disparition de sa mère. Ainsi qu’elle l’explique, le deuil à retardement est ce changement qui vient raviver la douleur quand on intègre le fait que non seulement la personne qu’on aimait ne reviendra jamais, mais en prime, la douleur de l’avoir perdu ne disparaîtra jamais vraiment non plus, on apprendra simplement à vivre avec.
Changer de perspective
Et Hope Edelman de souligner que tout qui a déjà dû faire face à la perte d’un être aimé a aussi dû affronter à moult reprises des versions implicites ou explicites de la question “quand tourneras-tu la page?”.
On apprend à reconnaître les signes, un sourcil arqué, le changement de ton subtil dans le “oh, il y a si longtemps que ça” quand on dit depuis quand on est endeuillés. Sauf que croire que le deuil a une date de péremption est complètement faux, et donne l’impression aux personnes endeuillées de mal gérer leur douleur” – Hope Edelman.
“La perte d’un.e proche n’est pas quelque chose dont on peut juste se “remettre” et le deuil n’est pas une émotion à surmonter en attendant d’aller mieux. Au contraire, c’est quelque chose qui évolue, qui vient par vagues et qui devient une partie intégrante de notre identité, qu’on le veuille ou non” explique Hope Edelman. Dont l’objectif, avec l’écriture de ce livre, est de changer le discours autour du deuil ainsi que sa perception, afin de libérer les personnes qui en souffrent de contraintes qui ajoutent encore à leur douleur. Parce qu’ainsi qu’elle le rappelle: “si le deuil est une présence constante, cette présente ne doit pas rester perpétuellement douloureuse pour autant”.
Et de citer notamment une étude réalisée en 2011 pour “Slate” par la psychologue Leeat Granek et l’auteure Meghan O’Rourke, qui avaient interrogé près de 8.000 adultes ayant fait face au décès d’un être cher, la personne en question étant morte il y a huit ans ou plus dans un tiers des cas. Et pourtant, “loin d’être “passés à autre chose” ou de ne pas vouloir ressasser cette douleur, ces personnes étaient extrêmement désireuses de parler de la manière dont leur deuil continuait d’impacter leur quotidien et était susceptible d’impacter leur futur”. Et ce, sans en avoir une approche morbide pour autant: ainsi que le rappelle Hope Edelman, “je peux assurer que la mort d’un.e proche, particulièrement si elle a lieu quand on est très jeune, n’est pas quelque chose qu’on dépasse ou qu’on oublie, cela diminue totalement l’expérience d’en parler en ces termes. La perte d’un être aimé devient une partie de notre identité qui influence nos pensées, nos espoirs, nos peurs et nos comportements, on la porte en nous à chaque moment”. La clé pour le vivre de manière apaisée? L’accepter.
“La mort de mon grand-père, dont j’étais très proche, m’a terrassée, explique Louise, qui a dû lui dire adieu il y a bientôt cinq ans. On avait beau s’y être plus ou moins préparés, en vrai, rien ne prépare à l’absence, et j’ai longtemps dû batailler avec l’impression que quelque chose ne tournait pas rond chez moi, parce que le temps passait et il me manquait toujours autant. C’est quand j’ai accepté qu’en vrai, il me manquerait toute ma vie, que mon deuil a pesé moins lourd. En réalisant que son absence ferait toujours partie de moi, j’ai su l’appréhender comme quelque chose de plus doux, voir ça comme son souvenir qui lui, ne mourrait jamais, plutôt que comme un poids dont je devais à tout prix me débarrasser”. En commentaire d'”Afterlife”, Donna, une lectrice du livre, raconte pour sa part comment cela l’a aidée à comprendre que “le deuil est une narration qui se construit avec les années et permet de mener une vie où on est plus en phase avec ses sentiments, plutôt que de se forcer à les oublier. J’ai perdu ma mère quand j’étais petite, et aujourd’hui, en tant qu’adulte, je ne cherche pas à “dépasser” sa perte mais bien à l’intégrer à ma vie de tous les jours en m’autorisant à me nourrir de son amour pour moi”.
Arrêter de vouloir “faire son deuil”
Pour sa part, le psychiatre Christophe Fauré, auteur de “Vivre le deuil au jour le jour” et responsable de l’association Mieux Traverser le Deuil, dénonce l’expression “faire son deuil”, qui implique de se “débarrasser” rapidement de celui-ci, comme si c’était quelque chose qui pouvait être réglé durant les quelques jours de congé accordés suite au décès d’un.e proche. Et de souligner que “se confronter avec authenticité aux émotions est ce qui va permettre de se libérer de leur étreinte. En acceptant peu à peu de se confronter à la violence de l’absence de l’être cher, la personne en deuil réapprend à rencontrer l’être aimé autrement. Elle construit un nouveau lien intérieur avec lui”.
Grâce à l’œuvre conjointe du processus de deuil et du travail de deuil, la personne endeuillée va vivre une alchimie intérieure qui la transformera à jamais. Prendre soin d’elle-même avec patience et bienveillance est ce qui la conduira progressivement et assurément vers l’apaisement” – Mieux Traverser le Deuil.
“Évacuer la mort, c’est la réduire au silence, c’est aussi taire le deuil. Or ce vide, la société le comble par des présupposés et des injonctions inappropriées qui ajoutent de la souffrance à la souffrance” rappelle encore l’équipe de Mieux Traverser le Deuil, qui préfère parler de “travail de deuil” plutôt que de “faire son deuil”. Un travail qui prend le temps nécessaire et dont le cheminement repose sur trois questions essentielles: qui avez-vous perdu? Que s’est-il passé? Où en êtes-vous aujourd’hui?. “Y répondre jour après jour, mois après mois, année après année contribue à progressivement diminuer la charge des émotions et l’étreinte de la douleur. Il est essentiel de répondre à ces questions encore et encore, sans crainte de se répéter”. Parce que l’amour après la mort peut être une source incroyable de force pour qui sait s’en accommoder.
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