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Le complimerde, le "compliment" puant DR Flair Canva

Le complimerde, quand la méchanceté se déguise en gentillesse

Kathleen Wuyard

“Complimerde” : il suffit de lire le titre pour avoir directement compris de quoi il s’agit. Qui en effet ne s’en est jamais pris en pleine figure... et n’en a jamais envoyé aucun non plus? Décrit comme un compliment teinté de vacherie, il ne s’agit rien de moins que de méchanceté déguisée en gentillesse, et le phénomène ne montre pas de signes de faiblesse, au contraire.

Ce sont nos lointains cousins canadiens qui l’ont théorisé les premiers, et parce qu’ils ont décidément un parler qui leur est propre, chez eux, on ne parle pas de complimerde mais bien de “complimarde”, avec un “a”. La comédienne de stand-up québecoise Anne-Elisabeth Brossé serait à l’origine du terme, ou du moins, ainsi qu’elle l’a confié en interview, il lui “colle à la peau”. Placé en numéro 1 des tendances de Twitter Canada lors de sa résurgence récente, dans la foulée, l’émission à succès “Ca finit bien la semaine” invite les commentateurs à leur envoyer les pires #complimardes jamais reçus.

Florilège: “Je t’avais pas reconnue..tu étais tellement belle quand tu étais petite”, “L’amie de ma mère lui a déjà dit: elle s’habille bien ta fille pour une grosse” ou encore “Tu es grande... pour une asiatique”, les remarques se succèdent, mais le principe reste le même, une pique (plus ou moins) adoucie.

Mon premier chum m’a déjà dit que je suis plus belle habillée...ça ça aide à se bâtir une estime et une confiance en soi !” confie une victime de complimerde.

Comment déceler le complimerde

Aux Etats-Unis, la dénomination du phénomène est plus politiquement correcte, mais tout aussi évocatrice : le “backhanded compliment“, soit le compliment équivoque. Dans un article dédié à l’art “subtil mais brutal” de la pratique, Consulting.com fait le point sur les indices qui ne trompent pas et permettent de réaliser qu’on vient de se prendre un complimerde. Parmi ceux-ci:

  • Les qualificatifs inutiles. “Tu es belle pour ton âge/pour une grosse/pour une maman de deux enfants/...
  • Les comparaisons blessantes. “J’adore ta nouvelle coiffure, ça te va beaucoup mieux qu’avant“.
  • La surprise inutile. “Wow, tu es médecin? C’est dingueje n’aurais jamais cru que tu aurais fait ces études-là”.
  • Les observations futiles. “Tu es trop belle en photo, c’est marrant tu fais toujours la même pose“.
  • La fausse jalousie. “J’aimerais avoir autant de temps libre que toi, tu en as de la chance”.
  • La négativité à peine masquée. “Tu as de si jolis yeux, on ne remarque même pas que tes dents ne sont pas alignées”.

Et de souligner qu’en l’an 2000, lors d’une interview, l’actrice britannique Liz Hurley est devenue la star du complimerde en disant au sujet de Marilyn Monroe “j’ai toujours trouvé qu’elle était superbe, mais je me tuerais si j’étais aussi grosse qu’elle”. Ouch.

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Des insultes qui pèsent lourd

Et Liz Hurley n’est pas la seule à diriger un torrent de (compli)merdes vers les personnes en surpoids ou perçues comme telles par leur entourage. Sur Instagram, Jezebel Putride, du compte Métaux Lourds, a ainsi récemment dénoncé ce qu’elle qualifie de grossophobie souriante, exemples à l’appui. “C’est la phrase qui ressemble vaguement à du sucre mais qui, quand même, pue sacrément la merde”.

C’est dit sans méchanceté, avec un grand sourire, parfois même les gens sont persuadés d’être bienveillants. Ca vient d’un mec dans la rue, de ta famille, de tes collègues. Et à chaque fois, ça met un coup dans le ventre, parfois tu sais même pas pourquoi”.

“Parce que bon, quand Jean-Michel Crétin te dit que tu es une grosse vache puante, au moins on sait à quoi s’en tenir : c’est une sombre merde grossophobe, ça craint mais au moins on les voit venir de loin” souligne l’Instagrammeuse. “Sauf que parfois, la grossophobie, elle est rampante. Elle est cachée derrière une petite blague, une réflexion…parfois même derrière un compliment”.

Ni innocents ni inconscients

Mais justement, pourquoi ne pas simplement faire comme “Jean-Michel Crétin”, et balancer une insulte qui s’assume, au lieu de la déguiser en “compliment” auquel personne ne croit? Dans un essai consacré au sujet pour la prestigieuse Harvard Business School, Ovul Sezer, Alison Wood Brooks et Michael I. Norton soulignent que la plupart des auteurs de complimerdes croient, à tort, que “les compliments équivoques servent à dénoter du statut supérieur de celui ou celle qui les distribue, tout en faisant tout de même plaisir à celui ou celle qui les reçoit”. Doublement raté, puisque toujours selon les auteurs, “aussi bien ceux qui reçoivent ces “compliments” que des tiers qui assistent aux échanges n’y discernent ni statut supérieur ni appréciabilité”.

Les auteurs de compliments équivoques sont perçus comme étant calculateurs, et soucieux de manipuler leurs interlocuteurs”.

Et malgré tout, ils parviennent tout de même à blesser leurs interlocuteurs, les complimerdes étant souvent extrêmement douloureux pour ceux qui les reçoivent. “Au mieux, ils suscitent de la confusion, l’intention de celui ou celle qui les fait étant difficile à cerner” expliquent les experts de Consulting.com. “Au pire, le cerveau se concentre uniquement sur les aspects négatifs, mettant “l’emballage positif” de côté et se focalisant sur l’insulte, qui vient malheureusement souvent renforcer des complexes existants”. Mais comment y répondre pour éviter que la frustration ne s’ajoute à la peine?

Soit de manière frontale, en pointant l’insulte du doigt à votre interlocuteur, soit en répondant vous-même par un petit complimerde des familles (“merci, venant de toi, je prends vraiment ça comme un compliment”), soit en choisissant de réagir comme si l’autre personne vous avait vraiment fait un compliment, ce qui est particulièrement frustrant pour quelqu’un qui voulait vous insulter/vous faire de la peine puisque vous le privez de ce plaisir, et de tout pouvoir au passage. Ainsi que le souligne l’actrice américaine Portia de Rossi, aperçue notamment dans “Ally McBeal” et épouse de la présentatrice Ellen DeGeneres, “c’est la manière dont une insulte est reçue qui en fait une insulte. Vous ne pouvez pas vraiment blesser quelqu’un qui refuse de l’être”. À méditer...

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