Bodyshaming, humour noir… Tact et bienveillance désertent parfois les cabinets médicaux, impactant la confiance et la santé mentale des patient·e·s. Vous avez déjà été victime de propos déplacés de la part de votre médecin? Grâce à ces conseils, vous pourrez désormais fixer vos limites.
Ces expériences choquantes dans le cabinet d’un médecin
Lena « Pendant plus d’un an, j’ai souffert de douleurs et de crampes abdominales, mais malgré de nombreux examens, mon médecin généraliste n’en a pas trouvé la cause. Après une longue conversation avec lui, il est arrivé à la conclusion que la cause pourrait bien être mentale plutôt que physique. J’étais plutôt d’accord avec son diagnostic, car à l’époque, je ne me sentais pas bien. J’avais des doutes sur mon travail et je me sentais de plus en plus mal à l’aise parce que je ne trouvais pas d’amoureux, sans parler de mon désir inassouvi d’avoir des enfants. Je sais qu’il voulait bien faire et je me sens généralement à l’aise avec lui, mais le conseil qu’il m’a donné ce jour-là m’a semblé un peu bizarre avec le recul. “Tu sais ce que tu devrais faire de temps en temps? Prendre une semaine de congé et t’éclater avec qui tu veux.” Ce n’est pas que je suis contre ce genre de choses, mais je pense que ce conseil n’était pas le meilleur pour améliorer ma confiance en moi. »
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Marianne « J’ai consulté mon oncologue pour discuter des options de traitement qui s’offraient à moi. Le cancer s’était métastasé dans mon corps. Lorsque le médecin et moi avons décidé de commencer la chimiothérapie le mois suivant, ce calendrier coïncidait avec une fête organisée par des amies prévue depuis un certain temps. Comme je ne pouvais pas encore évaluer pleinement l’impact de cette chimiothérapie, j’ai demandé au médecin si je pouvais assister à cette fête la semaine suivant ma première séance. Sa réponse? “Bien sûr. Vous devriez y aller même, car c’est peut-être votre dernière fête.” »
Isabelle « Quand j’ai donné naissance à ma fille aînée, il y a sept ans, j’avais terriblement envie d’allaiter, mais cela me faisait mal. J’avais des crevasses et ma fille tirait et pressait très fort avec sa bouche. La sage-femme qui m’a assistée était, pour le moins, assez dure et m’a immédiatement fait sentir que j’étais une mère incompétente: “Allez. Vous n’allez pas abandonner maintenant, n’est-ce pas? Vous voulez donner à votre bébé le meilleur départ possible, oui ou non?” J’ai fini par avoir deux infections mammaires terriblement douloureuses, parce qu’elle m’a donné l’impression que je n’étais pas une bonne mère si j’arrêtais d’essayer. »
J’ai demandé à mon oncologue si je pouvais me rendre à une soirée. Il m’a répondu: “Bien sûr, vous devriez y aller. Après tout, c’est peut-être la dernière.
Jeanne « Vers 17 ans, mes seins se sont mis à gonfler jusqu’à atteindre un bonnet E. J’avais par ailleurs une silhouette plutôt fine et j’ai immédiatement souffert de douleurs au dos et aux épaules. J’ai donc décidé de consulter un chirurgien plasticien pour savoir si une réduction mammaire pouvait être envisagée. Ma mère s’est jointe à moi pour la consultation. Nous avons toutes les deux failli tomber de notre chaise lorsque le médecin – qui était une femme! – m’a suggéré d’attendre d’avoir un premier petit ami avant d’envisager une telle opération. Depuis, j’ai subi une réduction mammaire auprès d’un autre chirurgien avec lequel je me suis sentie à l’aise et qui a compris que mon corps m’appartenait et que je devais décider seule de ce qui était bon pour moi. »
Denis « Aaah, c’est l’histoire de ma vie! Je ne compte plus les médecins qui m’ont dit ne pas pouvoir faire grand-chose pour cette toux/rhume/démangeaison, mais qui m’ont directement parlé de mon poids. Je me rends tous les jours au travail à vélo, je joue au football et je mange la même chose que ma femme, qui ne pèse que 65 kilos. Oui, je suis enrobé, mais je mène une vie saine et je veux juste qu’on m’aide pour les symptômes qui m’amènent chez le médecin, merci! »
Le médecin m’a dit, sans m’examiner, que j’étais trop grosse, alors qu’il s’est avéré que j’avais un problème de thyroïde.
Mélissa « Un jour, je me suis rendue chez un médecin généraliste que je ne connaissais pas car c’était le seul médecin de la région que l’on pouvait consulter sans rendez-vous. “Vous êtes tout simplement trop grosse. Vous devez vraiment manger plus sainement, faire plus d’exercice et sortir moins!”, a-t-il conclu après que je lui ai énuméré mes symptômes: perte de cheveux, ongles cassants, douleurs articulaires, fatigue, problèmes de concentration et prise de poids inexpliquée. Ce n’est qu’après avoir passé des mois à m’affamer – sans trop de résultats – que j’ai consulté le médecin généraliste habituel de ma mère dans ma ville natale. Une simple prise de sang lui a permis de découvrir que quelque chose n’allait pas dans le fonctionnement de ma glande thyroïde. Malheureusement, à cause du diagnostic tardif et des commentaires non fondés de ce premier médecin, je lutte encore aujourd’hui contre des problèmes d’estime de moi-même. »
Céline « Vers 18 ans, des ophtalmologues ont décelé un problème chez moi, mais les scanners et les examens qu’ils ont effectués n’ont pas donné de résultats immédiats. Dans les années qui ont suivi, j’ai été ballottée de spécialiste en spécialiste. Avec beaucoup de ces médecins, je me sentais bien, si ce n’est qu’ils ne trouvaient jamais de diagnostic et que j’avais parfois l’impression d’être un numéro de cirque, car tous les stagiaires de l’étage devaient aussi venir voir un tel “cas d’école”. Mais bon, cela ne me posait pas trop de problèmes, car j’étais moi-même étudiante et je comprenais à quel point il était important pour eux d’apprendre de nouvelles choses. Il y avait un spécialiste, cependant, que je ne supportais pas. Comme je ne peux pas conduire de voiture (c’est parfois le cas quand on ne voit pas bien), ma mère me conduisait généralement aux rendez-vous à l’hôpital. Elle m’accompagnait également dans le cabinet du médecin, parce qu’elle y était de toute façon et qu’elle était naturellement un peu inquiète. Cependant, cette spécialiste avait l’habitude de parler constamment de moi à la troisième personne à ma mère, alors que j’étais assise juste à côté. Je n’étais pas aussi éloquente à l’époque qu’aujourd’hui, et je me suis donc sentie énormément soutenue lorsque ma mère a finalement dit à ma place: “Vous pouvez lui parler directement, c’est d’elle qu’il s’agit après tout!” »
Marie « J’avais un orteil très enflammé et j’ai dû passer sous le bistouri sous anesthésie locale pour me faire enlever l’ongle de l’orteil. Pendant l’opération, le chirurgien m’a agacée au plus haut point. Il ne m’a rien fait personnellement, mais il parlait mal à l’infirmière qui l’assistait. Il l’appelait tout le temps “jeune fille” et avait le ton le plus condescendant qui soit. Même si j’étais heureuse d’être soulagée de mon petit problème, j’ai eu beaucoup de mal à être gentille avec lui après cela. »
Le dentiste a demandé à mon fils: “Tu as besoin d’une anesthésie ou tu es un vrai petit bonhomme qui peut s’en passer?
Lisa « Je suis allée chez le dentiste avec mon petit garçon pour faire soigner une carie. Au moment de commencer, le dentiste lui a dit: “Tu as besoin d’une anesthésie ou tu es un vrai petit bonhomme qui peut s’en passer?” Chez nous, la masculinité ne consiste pas à être fort, et encore moins à cacher la douleur. Les garçons ont le droit d’être vulnérables et sensibles tout autant que les filles. J’ai poliment, mais fermement, remis le dentiste à sa place. Il s’est également excusé et je ne peux qu’espérer que je lui ai donné matière à réfléchir. »
Comment fixer vos limites avec votre médecin
Le professeur Erik Franck est thérapeute comportementaliste et maître de conférences de soins infirmiers et de sage-femme. Il explique comment indiquer ses limites dans le milieu médical.
« La première chose à savoir si vous êtes confronté à une situation qui vous met mal à l’aise chez votre médecin, c’est qu’il existe un service de médiation dans chaque établissement de soins de santé. Par conséquent, si vous avez l’impression d’être traité de manière inappropriée, la première chose que je vous conseille de faire est de vous adresser à ce service. Cela ne signifie pas nécessairement que vous allez déposer une plainte. Par exemple, vous pouvez utiliser le service du médiateur pour demander un entretien avec votre médecin afin de parler de votre expérience et de ce qu’elle vous a causé. En effet, il est très important que vous ne restiez pas seul avec ces sentiments. Il y a de fortes chances que cette expérience ait un impact négatif sur votre bien-être mental. Non seulement parce que le médecin a tenu des propos inappropriés, mais aussi parce que vous, en tant que patient, vous êtes senti impuissant dans cette situation. C’est seulement en soulevant la question auprès du médiateur que les choses peuvent changer dans l’établissement de soins de santé. Si personne ne sait ce qui s’est passé entre vous et un médecin entre les quatre murs de son cabinet, rien ne peut malheureusement être mis en place pour améliorer la situation. Il est déconseillé d’ignorer une expérience aussi choquante. En la partageant avec le service de médiation, vous pouvez non seulement vous faire du bien, mais aussi aider les autres potentielles victimes. »
Vous ne devez pas ignorer une telle expérience, mais vous vous ferez du bien à vous-même et aux autres si vous en parlez au médiateur de service.
Docteur, vous me faites mal!
« Nous sommes nombreux à avoir du mal à défendre nos limites spontanément et à indiquer que ce que quelqu’un dit ou fait n’est pas bienveillant. La relation entre le médecin et le patient rend souvent la chose encore plus difficile, car un médecin est encore souvent considéré comme une personne ayant de l’autorité, et il n’est pas évident d’aller à l’encontre de ce sentiment de hiérarchie. Heureusement, je peux vous fournir un outil pour vous aider, afin que, la prochaine fois, vous puissiez réussir à dire à votre médecin que certains propos vous font du tort. Je recommande le modèle DESC, un modèle de rétroaction qui peut vous aider à mieux vous exprimer dans des situations complexes ou inattendues. »
Le modèle suit quatre étapes:
D de “Description”
Décrivez ce que vous remarquez. Par exemple: « Je remarque que vous me parlez de mon poids alors que ce n’est pas pour cela que je vous consulte. »
E de “Effet”
Décrivez l’effet que ce comportement/propos a sur vous. Par exemple: « Ce commentaire me donne l’impression que mes plaintes ne sont pas vraiment écoutées et, en outre, que je suis victime de bodyshaming. Cela me met mal à l’aise et me donne l’impression de ne pas être aidé correctement. »
S de “Suggestion”
Exprimez vos propres besoins. Par exemple: « Je pense que tout le monde devrait pouvoir se sentir en sécurité avec un médecin, être approché et examiné correctement, quel que soit le poids ou le physique de la personne. »
C de “Conclusion”
Concluez sur la manière dont vous souhaiteriez être traité à l’avenir. Par exemple: « Dorénavant, j’aimerais que nous ne parlions que des plaintes que je vous soumets et que vous me traitiez pour les symptômes pour lesquels je vous consulte. »
En répétant mentalement comment gérer les situations difficiles, vous êtes souvent déjà mieux armé pour y faire face.
Un secteur qui reste paternaliste
« Bien sûr, il n’est pas facile de réagir de manière calme et structurée lorsque l’on est pris au dépourvu dans une situation, même avec un outil comme le modèle DESC. C’est malheureusement ce qui se passe lorsque vous vous retrouvez soudain traité de manière inappropriée chez le médecin, une personne en qui vous devriez normalement avoir confiance. C’est pourquoi il est bon de se préparer avant un tel rendez-vous, car un patient préparé en vaut deux. Réfléchissez à l’avance: quel est mon objectif lors de cette visite chez le médecin? Qu’est-ce que je veux retirer de cette conversation? Comment dois-je me comporter dans cette conversation? Comment puis-je réagir si le médecin dit quelque chose qui me met mal à l’aise? En répétant mentalement comment faire face à des situations difficiles si jamais elles vous assaillent, vous êtes souvent déjà bien mieux armé pour y répondre.
Malheureusement, le secteur des soins de santé reste un secteur très paternaliste, où les patients sont encore trop souvent traités dans une position de: “Je suis le médecin et je sais donc mieux que lui.” Heureusement, des formations telles que la médecine et les soins infirmiers accordent de plus en plus d’attention à des enseignements tels que la communication et les compétences interpersonnelles, mais dans la pratique, le comportement restera toujours très personnel. Vous pouvez enseigner des compétences aux gens, mais vous ne pouvez pas garantir qu’ils voudront les utiliser. C’est pourquoi il est important de savoir où se situent vos propres limites, d’apprendre à reconnaître quand elles sont franchies et d’apprendre à réagir d’une manière qui vous donne l’impression de pouvoir vous défendre. »
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