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Non-binarité - ©Getty
Non-binarité - ©Getty

La non-binarité expliquée directement par des personnes concernées

Manon de Meersman

La question des pronoms et de l’inclusivité prend une place de plus en plus proéminente au sein de la société actuelle. De cette manière, la non-binarité fait désormais partie des termes courants dont on entend parler, sans pour autant toujours en comprendre le sens. Des personnes non-binaires nous évoquent ce dont il s’agit et leur réflexion autour.

La non-binarité est une notion qui embrasse une série d’identités de genre dépassant la binarité exclusive et sociétale homme/femme. Les personnes non-binaires remettent en question l’assignation sexuelle d’un genre donné, à savoir celui déterminé à la naissance de l’enfant. De ce fait, il y a dans la non-binarité une volonté de contester l’assignation de genre qui constitue une atteinte à la personnalité. Tout cela s’inscrit dans des codes qui dictent la société depuis des siècles, codes qui vont à l’encontre de ce que la personne ressent au plus profond de son être. Pour Milo, “non-binaire, c’est un terme parapluie qui reprend énormément d’identités, comme trans masc ou trans fem, le spectrum de l’homme ou de la femme, et puis aussi les gender fluid. De jour en jour ça peut changer, ça peut évoluer.” La définition de Samy rejoint également celle de Milo. En effet, selon lui, “être non-binaire c’est avoir une identité de genre qui se trouve en dehors de la binarité homme/femme. C’est un spectre très large qui regroupe des tas d’identités de genre différentes (gender fluid, agenre, genderqueer… pour ne citer que les plus connues). Cela varie vraiment selon chaque personne concernée, et ça peut aussi fluctuer dans le temps/selon les ressentis.”

La difficulté de comprendre qui nous sommes

Milo explique être agenre. “Cela signifie que le genre n’a pas de sens. Le patriarcat m’énerve et j’ai envie de m’inscrire dans une démarche militante. Je ne peux pas m’identifier à ce que la société nous colle et dans ce cadre, personne n’est un stéréotype. Je suis en-dehors de tous ces codes dictés par la société, car je n’arrive à pas rentrer dedans.” Samy, quant à lui, ne parvient pas à expliquer clairement ce qu’il ressent. “Je n’ai pas choisi d’être non-binaire – même si je suis bien avec qui je suis, ce n’est pas toujours une partie de plaisir, la vie est vraiment plus simple quand on est cisgenre. Mais ça m’a permis de déconstruire beaucoup d’idées que la société avait implanté dans mon cerveau, et que je croyais immuables. Et ça a marqué le début d’un long chemin de déconstruction de plein d’autres problématiques sociétales...”

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Chez Milo aussi, le processus a pris du temps. “Je suis féministe; j’ai toujours eu cette identification au fait d’être une victime du patriarcat car je suis née femme. En ça, ça a été difficile de pouvoir m’identifier comme autre chose car je voulais appartenir au mouvement féministe et si je ne suis plus une femme, je n’ai pas l’impression d’avoir cette légitimité de me revendiquer en tant que tel. Lorsqu’on on est féministe, nous sommes des femmes qui nous entraidons. Ma réflexion à ce propos a commencé il y a 5 ans et depuis, c’est un long cheminement.” Pour Samy, les interrogations et les questionnements à ce propos sont apparus il y a quelques années également, à la suite d’une remise en question totale. “J’étais arrivé à un tournant de ma vie et j’ai commencé à tout questionner, y compris mes pensées, mon être, mon existence. Je me suis rendu compte qu’en fait je pensais être une fille car on m’avait toujours dit que j’étais une fille, et qu’avant je n’avais pas conscience qu’il y avait autre chose que juste « homme ou femme ». Je me suis littéralement dit : « mais attends, comment ça se fait que tu penses de cette façon ? Ce sont vraiment tes idées à toi, ou ce sont les idées de la société que tu penses être à toi ? ». J’ai ensuite beaucoup trainé sur les réseaux qui sont une mine d’informations incroyable, et je me suis rendu compte que j’étais pas une femme, que je me sentais pas appartenir au genre « femme » au fond de moi… Ensuite je me suis dit: « ok mais alors est-ce que je suis un homme ? » et là encore: non, ça sonnait faux aussi. J’ai donc compris: je suis non-binaire.” Samy explique qu’après 20 ans de vie “en tant que fille”, se rendre compte qu’il n’en était pas une a réellement créé une tornade dans sa vie et dans sa tête.

Je me sentais comme si je devais me rencontrer de nouveau, alors qu’au fond rien n’avait réellement changé et que j’étais toujours moi…

“D’ailleurs aujourd’hui j’utilise les pronoms masculins surtout pour créer un équilibre, car puisque j’ai une expression de genre féminine (= mon apparence physique correspond aux stéréotypes féminins), les gens ont tendance à me genrer au féminin quotidiennement. Mais l’idéal pour moi serait un pronom neutre comme le « they » en anglais (le « iel »/« ael »/« ul » etc en français ne me plaisent pas…). Le français n’est vraiment pas fait pour les personnes non-binaires... Malgré tout, le fait de me rendre compte que je suis non-binaire, ça m’a appris à ne plus genrer les personnes que je croise dans la rue, par exemple. Je ne dis plus que rarement “madame” ou “monsieur” en parlant aux gens, et je ne dis plus “la femme là-bas” mais “la personne” par exemple! Car en fait on ne sait jamais qui est vraiment l’autre en face de nous à moins de le.a connaitre. Et surtout l’expression de genre d’une personne n’est pas forcément accordée à son identité de genre.”

Ouvrir les esprits et déconstruire les normes

Milo est actuellement encore aux études. “Je ne suis pas « out » avec tout le monde; je ne peux pas en parler à tout un chacun·e. Je pourrais être un homme trans, ça serait clair, mais ça ne l’est pas. Avec mes ami·e·s, j’en parle. Et en parler, même si ce n’est qu’à son entourage, ça constitue déjà une étape puisque ça ouvre des réflexions. Là, je viens de devenir bénévole chez Genre Pluriel (ndlr: une ASBL qui donne de la visibilité aux personnes aux genres fluides, trans* et intersexes) et c’est un pas important également à mes yeux.”

Autant pour Milo que pour Samy, il est important aujourd’hui de déconstruire la notion de genre. “Le genre est une construction sociale en fait, explique Samy. C’est l’être humain qui s’est dit: « ok ce bébé a un vagin donc c’est une fille/ ok ce bébé a un pénis donc c’est un garçon » – ce qui est d’ailleurs transphobe de dire ça puisqu’il existe évidemment des femmes avec des pénis et des hommes avec des vagins.

Une fois qu’on assigne un genre à un enfant, l’éducation qu’on lui donnera sera d’office dictée par celui-ci, car même si on fait des efforts pour essayer d’éduquer « au neutre », l’enfant dans la société sera ramené aux stéréotypes qui vont avec le genre qu’on lui a assigné…

poursuit Samy. “Et ça perpétuera indéfiniment le fonctionnement patriarcal de la société.” Pour Milo, être LGBT+ de manière générale, c’est déjà être dans un mouvement, qu’on le veuille ou non “car on va à l’encontre des normes. Quelque part, en étant LGBT+, même si il y a encore de l’homophobie, exprimer son identité est déjà révolutionnaire. Je dirais que dans ma vie de tous les jours, j’essaye de faire des choses à ce niveau-là, d’avoir des débats sains, de participer à des évènements qui vont en ce sens. Mais il y a aussi des personnes pour qui c’est peine perdue; je pense notamment au niveau politique où il faudrait davantage se battre pour changer les normes.” Cette idée de combat, Samy la rejoint totalement. “Si on expliquait aux enfants que non, la vie n’est pas binaire, qu’iels ne sont pas obligé.e.s d’être soit un homme soit une femme, que ça peut changer au cours de la vie etc, et que les stéréotypes de genre peuvent être contournés ou détruits, alors ça ouvrirait des portes immenses, on leur offrirait beaucoup plus de liberté d’être qui iels ont envie d’être, et on détruirait d’emblée tous les blocages engendrés par la notion de genre, que ce soit au travail, au sein de la famille/du foyer; dans la société en général en fin de compte.”

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Se diriger vers une meilleure compréhension

Autant pour Milo que pour Samy, le meilleur est à venir et la société peut migrer vers un modèle davantage ouvert sur la compréhension et l’ouverture d’esprit. Mais cela prendra du temps. “Il y a à mes yeux un élément générationnel dans le sens où on est éduqué·e·s dans des environnements différents, explique Milo. Je le constate au quotidien: les gens de la vingtaine, les 3/4 ou la moitié sont bien plus ouverts d’esprit, même au minimum; du moins ils ne sont pas contre le fait que je vive. Or, pour mon grand-père, qui appartient à une génération autre, les personnes homosexuelles, c’est contre-nature. C’est une génération qui ne rejette pas forcément, mais pour qui la vision à cet égard n’est pas normale et/ou instinctive.” D’ailleurs, à ce propos, il fait bon de rappeler que l’identité de genre et l’orientation sexuelle sont deux éléments totalement différents. Si les lettres de l’acronyme « LGBTQI+ » cohabitent ensemble, cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont exclusives et ne peuvent pas s’embrasser et fusionner ensemble. Faire référence à l’identité de genre, ce n’est pas faire référence à l’orientation sexuelle. Comme le rappelle à merveille le GLAAD, « l’identité de genre est le sentiment interne, profondément ancré, que l’on a de son propre genre. »

Pour Samy, “rien est tout noir ou tout blanc” et cette phrase s’applique justement à merveille à l’orientation sexuelle comme à l’identité de genre. “Tout est un spectre, tout est fluide. Les humains sont des êtres extrêmement complexes, et pas juste un corps physique…” Une idée que Milo rejoint complètement. “L’identité n’est pas quelque chose que tout le monde voit. Et ce qui est d’autant plus difficile pour certaines identités, c’est qu’on ne sait pas qu’elles existent.” Samy déplore d’ailleurs le fait que nous nous soyons nous-mêmes enfermé·e·s “dans des cases fixes qui ont créé une « normalité » imaginaire et insensée, qu’il est difficile de remettre en question et dont il est difficile de s’échapper, explique-t-il. Je pense cependant que ça évolue. Ça prendra du temps encore pour devenir une normalité, beaucoup de temps, mais ça bouge petit à petit grâce aux personnes concernées qui osent désormais parler et se faire entendre.”

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