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Jurer
© Getty Images

PU****!! : pourquoi jurer nous fait tant de bien?

Justine Rossius
Justine Rossius Journaliste

On apprend aux enfants à ne pas jurer, et pourtant, il semblerait que cette activité soit plutôt bénéfique. Les gros mots pourraient même avoir des effets positifs sur notre santé. Et merde alors………

« Putain de merde! » Quand j’étais enfant, entendre cette charmante mélodie poétique dans la maison signifiait généralement une chose: a) mon père s’était cogné à un meuble, b) son travail ne se déroulait pas comme prévu, ou c) il avait accidentellement cassé quelque chose. À présent, moi aussi, je profère des jurons plus souvent que je ne le devrais. Honnêtement, je n’en avais jamais pris conscience jusqu’à ce que je me retrouve avec un bébé à la maison qui commençait à babiller de plus en plus. Dans le but d’éviter que son premier mot ne soit un « putain » bien senti, je me suis mise à être plus vigilante, mais cela reste tout de même un défi. D’ailleurs, d’où proviennent tous ces jurons et vulgarités?

Ça fait du bien, putain!

« Les jurons sont présents depuis les débuts du langage », selon le Dr Fleur Baert, psychologue clinicienne et chercheuse à l’Université de Gand.

Ils représentent un moyen particulièrement efficace pour exprimer et libérer nos émotions.

Fréquemment utilisés pour exprimer des sentiments négatifs tels que la colère ou la frustration, les gros mots peuvent être dirigés vers autrui, envers soi-même ou en réaction à des situations. Ils peuvent également véhiculer des émotions positives, témoignant d’une grande satisfaction ou d’une découverte particulièrement plaisante. Les jurons remplissent aussi diverses fonctions sociales, qu’il s’agisse d’une manière de communication propre à un groupe, comme entre amis ou supporters de football, ou d’un moyen de forger une attitude et d’affirmer son identité, notamment chez les adolescent·e·s qui adoptent une posture plus rebelle en jurant. »

Par ailleurs, les jurons présentent de nombreux effets bénéfiques. Selon Fleur Baert: « Jurer procure un soulagement naturel. Cependant, les recherches indiquent également que le fait de jurer élève le seuil de tolérance à la douleur, améliore l’endurance, et renforce même notre résistance physique. Par exemple, des participants autorisés à proférer des jurons à voix haute ont réussi à maintenir leur main dans un bol d’eau glacée pendant une période beaucoup plus longue. Dans une autre étude, ceux qui ont juré ont affiché de meilleures performances lors d’un test de cyclisme et ont démontré une plus grande force musculaire. Certaines études suggèrent également que les jurons peuvent atténuer la douleur émotionnelle, lors d’une rupture amoureuse par exemple. Enfin, proférer des jurons en groupe permet de créer des liens plus facilement. »

Merde!

Les chercheurs ne comprennent pas entièrement pourquoi les jurons sont si efficaces. Selon les études, il semble que les jurons entraînent une augmentation du rythme cardiaque, suggérant un lien avec notre système de lutte ou de fuite, qui est la réaction naturelle de l’homme face à un danger. Cela pourrait impliquer la libération de différentes substances dans notre organisme, qui atténuent la douleur, procurent davantage d’énergie et renforcent notre résistance pour nous aider à faire face à la menace », explique M. Baert. Une autre théorie suggère simplement que les gros mots agissent en déviant notre attention de la douleur, bien que cette hypothèse soit considérée comme moins plausible.

Cependant, toutes les injures ne se valent pas. « Le pouvoir d’un blasphème réside principalement dans son contenu tabou », explique Fleur Baert. C’est pourquoi ils font souvent référence à des sujets tabous tels que la maladie, le sexe, la mort, les organes génitaux, les fluides corporels, etc. Ainsi, le caractère offensant d’un juron dépend fortement de facteurs tels que le contexte, l’âge et la culture. Un « va te faire foutre » peut être bien moins bien reçu lors d’une évaluation de performance avec votre patron que lors d’une partie de padel avec votre frère. Parallèlement, le terme « nom de dieu » peut choquer une grand-mère religieuse, alors que cette dernière pourrait ne pas hésiter à utiliser le terme injurieux « nègre ».

L’importance du tabou dans les jurons rend vaines les tentatives bien intentionnées des parents de remplacer des termes tels que « putain » par « punaise », comme le reconnaît Fleur Baert. Dans de tels cas, les jurons perdent complètement leur impact.

De plus, des études ont également révélé que les sons aigus et durs, tels que le « p », le « t » et le « k », procurent une satisfaction accrue lorsqu’on utilise des jurons.

C’est pourquoi la plupart des jurons incorporent ces éléments. Vous pouvez hurler « saperlipopette » lorsque vous marchez sur une brique Lego pieds nus, mais cela n’aura pas du tout le même effet réconfortant que de simplement vous écrier « putain de merde ».

Il arrive que l’usage de jurons soit simplement un automatisme. On peut le faire de manière très consciente pour renforcer un point de vue, et dans ce cas, les scanners cérébraux révèlent l’activation des zones du cerveau associées au traitement du langage. Cependant, lorsque vous vous heurtez brusquement à une table basse et que vous proférez un gros mot, on observe en réalité une plus grande activité dans les zones cérébrales liées aux émotions et aux comportements automatiques.

Maximum 3 jurons

Heureusement, les jurons suscitent moins d’étonnement qu’auparavant. Alors qu’il était possible dans les années 1950 de se voir infliger une amende pour avoir proféré des jurons en public, on entend désormais des « putain » et des « merde » un peu partout, même à la télévision en semaine. Evidemment, l’usage de jurons reste déconseillé voire sanctionné dans certains contextes. Insulter un policier, par exemple, demeure une diffamation passible de sanctions. De plus, « la plupart des parents estiment que cela ne fait pas partie d’une éducation appropriée », souligne Fleur Baert. Par ailleurs, la censure est encore bien présente dans certains contextes culturels. Dans les médias écrits, par exemple, les astérisques sont souvent utilisés, même si tout le monde comprend le sens de « f*ck ». Aux États-Unis, même en 2024, certaines stations de radio dans la tradition puritaine filtrent encore les paroles explicites des chansons. Néanmoins, on observe une lente évolution des normes, notamment dans certains talk-shows où les animateurs ont désormais droit à un nombre limité de « fucks ».

Historiquement, les grossièretés étaient davantage associées au genre masculin, des recherches ayant même démontré que les hommes utilisaient plus fréquemment et intensément des jurons, possédant également un vocabulaire plus étendu en la matière. En effet, les jurons étaient davantage conformes aux attentes de l’identité masculine traditionnelle, tandis qu’ils étaient mal perçus lorsqu’ils émanaient des femmes. Cependant, on note aujourd’hui une évolution à ce propos, les femmes jurant désormais tout aussi souvent que les hommes, surtout dans des situations informelles. En d’autres termes: à bas le putain de patriarcat!

Les maudits écarts

Le professeur Piet van Sterkenburg, de l’université de Leyde, se consacre depuis des années à l’étude des jurons et des blasphèmes. « Il est intéressant de noter que nous avons une propension marquée à jurer en utilisant des termes liés aux matières fécales (merde, fais chier…) et aux organes génitaux (trou de cul, con.). »

Selon Piet van Sterkenburg, il n’est pas surprenant que les jeunes aient tendance à proférer davantage de jurons que les personnes plus âgées. Cependant, il observe aussi que les jeunes adoptent de plus en plus les jurons de leur propre groupe d’âge.

Sous l’influence de la télévision, du cinéma, de la musique et d’Internet, on assiste à une émergence croissante de jurons anglais, tels que « damn » et « shit ». Ces termes font désormais partie du langage courant pour la tranche d’âge des 25-50 ans.

Enfin, les hommes et les femmes, notamment les jeunes, utilisent désormais les jurons de manière équivalente, bien que le contexte puisse encore varier: « Chez les hommes, cela peut prendre la forme d’un comportement machiste en public, tandis que les femmes ont plutôt tendance à proférer des jurons par frustration, surtout lorsqu’elles sont seules. »

Fuck you, you fucking fuck!

Demandez à 10 personnes quel est leur juron préféré et l’omniprésent « fuck » sera de toute façon lâché. Mais peu de mots sont aussi polyvalents que « fuck » Vous pouvez l’utiliser comme verbe (« Don’t fuck with me, dude », dixit Conner Rousseau), comme nom (« Don’t give a fuck »), comme adverbe (« This article in Flair is so fucking good ») ou comme adjectif (« That fucking deadline is way too tight! »). En bref: le fuck est multitâches! La particularité de ce mot est qu’il peut également être utilisé à l’intérieur de mots : fan-fucking-tastic.

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