PSYCHO: comment faire pour faire le deuil d’un proche qui s’est suicidé?
Le suicide est la première cause de décès chez les 15-44 ans, en Belgique, devant les cancers et les accidents de la route. Et si la souffrance d’une personne qui met fin à ses jours est indicible, qu’en est-il des survivant·e·s? Loin d’une mort habituelle, le suicide engendre — en parallèle de l’infinie tristesse — colère et culpabilité. Catherine De Geynst, psychologue clinicienne, répond à nos questions.
Comment réagissent les proches à l’annonce d’un suicide?
«Chaque personne va évidemment réagir à sa manière, en fonction de ses mécanismes de défenses, de son histoire personnelle. Beaucoup d’émotions peuvent se superposer, sans s’annuler, tout comme un sentiment diffus de n’en ressentir aucune d’ailleurs. La tristesse est présente, bien sûr, mais certaines personnes ressentent un sentiment de colère ou de culpabilité. Ce qui est plus problématique, c’est qu’on ne s’autorise pas toujours à ressentir ces émotions, connotées péjorativement dans la société. Il est pourtant essentiel de se connecter à ces ressentis-là qui sont tout aussi légitimes que de la tristesse. Il est aussi essentiel de dire que l’annonce du décès d’un proche dans de telles circonstances constitue un traumatisme psychique significatif pouvant donner lieu à un état de choc, un syndrome de stress post-traumatique et à divers symptômes.»
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Quels peuvent être ces symptômes?
«Ils sont très nombreux, donc je n’en citerai que quelques-uns ici. Des images, des flashbacks, des pensées intempestives et excessives peuvent apparaître. Il s’agit d’une tentative pour le psychisme de ‘digérer’ ce ‘trop’ auquel un tel acte peut confronter, de tenter d’en faire quelque chose. On peut aussi noter des troubles importants de la concentration et des difficultés à effectuer des tâches habituelles; une sidération, un sentiment d’être déconnecté, de ne rien ressentir… Une hypervigilance (exploser de colère, sursauter, faire des cauchemars..). Une hyperactivité et un besoin d’agir, de chercher du sens, de retrouver du contrôle face à l’insupportable sentiment d’impuissance. Des comportements compulsifs peuvent apparaître: nettoyage, lavage compulsif, altération de l’appétit… Mais aussi des sensations et troubles physiques et somatiques (palpitations, troubles moteurs, de la respiration, de la digestion, douleurs estomac, poitrine, attaques de panique…). Ces symptômes peuvent se présenter en alternance, en partie ou tous réunis, sur un laps de temps qui varie chez chaque personne. Ils sont normaux et non pathologiques par rapport à des évènements traumatiques qui, eux, ne le sont pas. Le fait d’identifier, de reconnaître, de mettre un nom et du sens sur ces signes et vécus favorise leur diminution et la résilience. À l’inverse, ignorer, minimiser, juger ou confondre son propre vécu et ces symptômes avec ceux d’un deuil ou autre scénario tendent à aggraver la souffrance associée.»
Ce deuil est-il plus traumatique que celui que génère une mort plus ‘classique’?
«Le suicide n’est pas comparable à une autre mort. Son impact est plus traumatique et l’erreur serait d’essayer de gérer ce deuil de la même manière qu’un deuil plus classique. Un suicide est en quelque sorte un meurtre d’une personne par elle-même: il s’agit d’un acte rempli d’agressivité et de destructivité et cette violence est ressentie par l’entourage. C’est comme si la personne qui se donnait la mort déposait inévitablement et inconsciemment sa souffrance sur ceux et celles qui restent. Cela peut notamment engendrer des sentiments de colère et de culpabilité. De plus, le suicide reste un sujet dont les causes sont taboues et ce tabou participe à la souffrance, comme dans tout ce qui concerne la santé mentale d’ailleurs. Si on ne sait pas reconnaître les émotions qui naissent en soi — puisqu’on n’en entend pas parler ailleurs —, cela peut créer davantage encore de douleur.»
Pourquoi un suicide peut-il provoquer de la colère chez ceux qui restent?
«Quand une personne meurt, elle nous confronte tous et toutes à notre propre mort et notre déni de celle-ci. Un suicide traumatise car il a le même effet, mais de façon différemment plus violente, de part la nature de l’acte posé en lui-même et la charge agressive susmentionnée. Il vient remettre en question chez les autres l’idée même d’être vivant. C’est un acte mortifère et cette notion de haine de soi et d’autodestruction est transmise aux survivants. C’est une des raisons sous-jacentes à la colère. Une autre raison réside dans le fait que le suicide plonge les survivants dans une impuissance totale et complètement insupportable. La colère constitue alors une tentative de reprise de contrôle normale. C’est essentiel d’en parler, car la colère est la conséquence logique d’un suicide et elle est saine. Le but n’est pas d’en vouloir à l’autre, mais d’accueillir une colère qui prouve aussi qu’on existe et qu’on est bien vivants.»
Le suicide plonge les survivants dans une impuissance totale et complètement insupportable. La colère constitue alors une tentative de reprise de contrôle normale.
Et la culpabilité alors?
«La culpabilité, c’est la même chose: c’est une colère, engendrée par la violence de l’acte, mais que l’on retourne sur soi-même. Cela dit, il faut rappeler aux personnes qui culpabilisent de ne rien avoir pu faire pour éviter ça qu’un suicide intervient pour d’autres raisons que des événements externes, aussi difficiles soient-ils. Il y a évidemment énormément de facteurs qui jouent et c’est difficile de faire des généralités, mais il existe beaucoup de cas de figure sans signe précurseur. Le suicide peut difficilement être anticipé ni empêché. Mais on revient à l’impuissance: la culpabilité est simplement une manière de la gérer. C’est parfois plus facile de se dire que c’est de notre faute que de réaliser qu’on ne pouvait rien y changer. Les deux pensées sont extrêmement douloureuses.»
On ne peut donc rien faire pour empêcher une personne de se donner la mort?
«Autant il est primordial de dire que le lien à l’autre, le souci d’autrui, l’empathie et la création d’un espace dans lequel la parole et la souffrance peuvent librement circuler sans tabou sont des facteurs de résilience non négligeables en général, autant il peut être important, également, de rappeler que beaucoup de personnes qui se donnent la mort sont comme dans un bocal imperméable aux interventions du monde extérieur. Ils peuvent être dans une sorte de circuit fermé dans lequel l’autre n’a aucune prise et ils ne lui en laissent souvent que très peu. Empêcher une personne de passer à l’acte peut, dans ce contexte-là, relève d’un irréalisable défi. Cependant, tout ce qui peut permettre à tout à chacun d’être un peu moins intransigeant envers soi-même, la sensibilisation à la psychologie (des jeunes, des parents, des écoles, des médecins, …) et le développement d’une culture où l’on pourrait parler de nos émotions ouvertement, poser des questions directes et où la vulnérabilité ne serait ni un aveu de faiblesse, ni un tabou auraient de grandes vertus protectrices en santé mentale. Il est donc essentiel de laisser la parole circuler et d’en parler le plus possible.»
Existent-ils des profils plus à risque de se donner la mort?
«Il est toujours délicat de réduire à des profils en général et de prédire un tel acte, en particulier, comme dit précédemment. On peut retrouver certaines caractéristiques comme l’intransigeance envers soi-même, un certain degré de coupure par rapport à ses propres émotions (ne pas les manifester, ne pas demander d’aide…). Certaines personnes vont visiblement souffrir, penser à mettre fin à leurs jours, en parler et ne pas le faire, ou parfois si…, d’autres ne vont jamais rien laisser paraître et passer un jour à cet acte. C’est une question éminemment complexe et très difficile à réduire.»
Devenez une sentinelle du suicide
Chaque jour, 5 personnes se donnent la mort dans notre pays. En 2020 (dernières données statistiques disponibles), 1.732 Belges se sont suicidés. Un pass dans l’impasse, structure de prévention du suicide en Wallonie, propose un soutien psychologique et un support social à toutes personnes confrontées de près ou de loin à la problématique du suicide. Elle invite notamment les citoyen·ne·s à devenir des sentinelles en prévention du suicide. Comment ça fonctionne? Vous assistez à une sensibilisation gratuite de 2h (en présentiel ou en visioconférence), apprenez les signaux d’alerte, les mots à utiliser avec la personne en détresse et comment déclencher une alerte. Et devenez ainsi une sentinelle qui pourra facilement aider un·e proche (ou moins proche) en proie à des idées noires.
Infos: un-pass.be. Ligne prévention du suicide: 081/777.150.
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