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PSYCHO: et si la peur pouvait être une force ?

Barbara Wesoly

Être anxieux·se au quotidien est généralement un fardeau, mais peut aussi, parfois, se révéler être une force. Les personnes angoissées sont en effet extrêmement alertes et empathiques.

Il est aussi prouvé que les personnes anxieuses utilisent leurs difficultés tel un carburant, leur permettant de grandir, d’apprendre et même de vivre plus longtemps. On vous explique.

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Palpitations, nœuds dans le ventre, sueurs froides, pointes au cœur, essoufflements… des symptômes qui, selon les chiffres de Sciensano, auraient été une réalité hebdomadaire, voire quotidienne pour un quart des belges en 2022. Et le signe d’un trouble anxieux chronique. Il s’agit désormais du souci de santé mental le plus répandu au monde et les statistiques ne cessent d’augmenter. Mais, pour la psychologue Leslie Hodge, il y a lieu de nuancer cette information: « Il y a beaucoup moins de tabous que par le passé. Une étude américaine a démontré que 87 % des gens estiment désormais que la dépression et l’anxiété n’ont rien de honteux. Nombreux sont dès lors ceux qui ­arrivent plus facilement à admettre leurs problèmes, ce qui augmente naturellement les chiffres.

Depuis l’arrivée des smartphones,il nous faut gérer un flux constant de stimuli.

Les troubles anxieux sont, par exemple, statistiquement plus présents chez les femmes, mais cela s’explique en partie par le fait qu’elles en parlent plus aisément et demandent de l’aide plus vite, là où les hommes le signalent moins. Mais, poursuit Leslie Hoge, d’un autre côté, on constate aussi des facteurs qui jouent ­directement sur notre stress ­quotidien et l’amènent à grimper. ­Depuis l’arrivée des smartphones, il nous faut gérer un flux constant de stimuli, sans parler de la menace liée au climat et aux guerres, ainsi qu’aux nouvelles technologies comme l’IA. Beaucoup d’anxiété afflue par de ­multiples canaux et ne nous laisse pas trouver le repos, pas même dans notre chambre. »

La peur, clé de notre survie

À moins que l’on soit amateur·rice de sensations fortes (ou un brin masochiste), l’angoisse est une sensation désagréable. Dans le livre The Anxiety Sisters’ Survival Guide, on explique que nous ne devrions pas avoir une vision si négative de la peur, car, d’un point de vue évolutif, celle-ci nous a sauvé la vie, en tant qu’espèce. Abbe Greenberg et Maggie Sarachek, autrices du livre, expliquent ainsi que à l’époque des hommes des cavernes, pour éviter d’être piétiné par un ­mammouth, il fallait rester alerte et pouvoir fuir à tout moment de la ­journée. Afin de rendre ce principe possible, notre organisme produisait des hormones de stress (tels que l’adrénaline et le cortisol), qui ­préparaient notre corps au combat, à la fuite ou l’immobilité.

De nos jours, nous avons généralement la chance de ne plus vivre dans un ­environnement exposant à un danger constant, mais notre système nerveux présente toujours ces 3 types de ­comportements. Ces réactions ­initialement utiles, le sont encore ­souvent. Elles nous avertissent des risques et nous maintiennent en alerte, mais elles se révèlent par contre très handicapantes si nous ne rencontrons aucune menace réelle. Comme par exemple, lorsque nous sommes coincé·e·s dans un ascenseur ou que nous devons faire une présentation devant un public. Dans de telles situations, la ­transpiration, les tremblements, les battements de cœur et le souffle court ne servent à rien. Un trouble anxieux est une maladie psychique amenant le cerveau à envoyer souvent des instructions erronées de fuite, bataille ou immobilité. Dans le livre, les ­autrices expliquent qu’il en existe ­différentes formes et symptômes qui ­s’entremêlent parfois. Voici les 3 plus courantes:

Trouble anxieux généralisé

Vous vous sentez en permanence angoissé·e ou ressentez de ­l’inquiétude et de la nervosité de manière excessive? Il se pourrait bien que vous souffriez d’un TAG, un trouble anxieux généralisé. Les personnes qui le vivent sont sans cesse alertes, ont du mal à trouver le ­sommeil et sont souvent ­tourmentées. C’est comme un ­sentiment constant de crainte et d’agitation. Même lorsqu’aucune raison ne l’explique, les personnes qui le vivent, craignent que quelque chose de terrible ne se produise. Les symptômes du TAG peuvent ­inclure de la tension, de l’agitation, de la fatigue, des insomnies, de ­l’irritabilité, des maux de tête, des tensions musculaires et des ­difficultés de concentration.

Maud « Sans mes médicaments, je souffre de troubles obsessionnels compulsifs, une combinaison d’obsessions et de compulsions. Je vérifiais parfois jusqu’à 30 fois si j’avais bien fermé la porte ou je n’osais pas sortir de chez moi de peur d’oublier d’éteindre une bougie. Je pouvais aussi m’inquiéter excessivement. Je m’angoissais à l’idée que toutes sortes de choses pouvaient mal tourner, même s’il n’y avait aucune raison. Mon petit ami a beau être ­fantastique, cela a parfois ­provoqué de sérieuses tensions dans notre couple.  »

Trouble panique

On parle de trouble panique quand une personne souffre régulièrement de crises d’angoisse, sans qu’il y ait de raison claire à leur origine. Ces crises sont très intenses et perturbantes et donnent le sentiment de perdre le contrôle de soi. De plus, la peur de devoir affronter une attaque de panique en provoque de ­nouvelles, entraînant un véritable cercle vicieux. Les gens qui ­rencontrent ce type de pathologie évitent certaines situations. Les symptômes des troubles paniques peuvent inclure un essoufflement, des palpitations, des douleurs ­thoraciques, des nausées, des ­étourdissements, de la diarrhée, et une abondante transpiration.

Margaux « Je suis quelqu’un qui voit tout en noir. Parfois, il m’arrive d’être si nerveuse que je ne parviens pas à manger et encore moins à dormir. Je rentre dans une spirale négative et je pense que tout est mauvais chez moi. Il m’arrive aussi de paniquer au point d’hyperventiler. Je peux alors à peine respirer et j’ai ­l’impression que mon cerveau se déconnecte. C’est une ­sensation horrible. »

Greg « Je n’ose pas faire une chose que bon nombre de gens apprécient énormément, à savoir aller au restaurant. J’ai peur de renverser un objet ou de me coincer un bout de nourriture entre les dents et que mes ­compagnons de table se moquent discrètement de moi. Cela m’amène à me sentir très seul. Beaucoup d’occasions ­sociales ont lieu dans des restos. »

Un trouble anxieux est une maladie psychique amenant le cerveau à envoyer souvent des instructions erronées de fuite, de bataille ou d’immobilité.

Trouble d’anxiété sociale

Celui-ci n’a rien à voir avec la timidité ou l’introversion. Les gens qui souffrent de ce type d’angoisse ont tendance à se ridiculiser en public, en faisant par exemple quelque chose de stupide. C’est un peu comme ressentir un trac extrême, mais sans devoir monter sur scène. Les personnes atteintes de TAS évitent les fêtes, les rendez-vous, les discours, les toilettes publiques ou les repas en présence d’autres gens. Les symptômes peuvent inclure des palpitations, des bouffées vasomotrices, des sueurs, de la ­moiteur, des tremblements, une bouche sèche, un essoufflement, des étourdissements et une ­sensation de tête légère. Lorsqu’ils ressentent ces symptômes, les gens qui en souffrent craignent alors que les autres ne le remarquent, ce qui empire encore leur malaise.

Katy « Il y a un mois, j’ai fait une crise de panique dans le métro car il y avait beaucoup de monde. J’ai commencé à transpirer ­abondamment, à me sentir faible et à ne plus savoir respirer. Les gens ont dû me faire de la place, afin que je puisse m’asseoir pour ne pas m’évanouir. C’était très embarrassant. Depuis, si le métro est bondé, j’attends le suivant, de peur de revivre la même chose. »

Emma « Je n’arrive jamais à intervenir durant une réunion, même si je suis sûre à 100 % d’avoir raison. J’avais la même chose lorsque enfant, on appelait mon nom en faisant les présences. J’avais tellement peur de dire quelque chose de mal. »

1) Motivation

Une peur intense peut vous paralyser, mais une dose moindre peut par contre vous motiver à relever un défi. Quiconque est préoccupé par un souci aura ­tendance à prendre des mesures en vue de régler ce problème. Ainsi, la crainte de l’échec vous fera étudier à fond en vue d’un examen difficile ou consacrer beaucoup d’efforts à une présentation importante. Des recherches montrent que les athlètes et étudiant·e·s anxieux·ses obtiennent de meilleurs résultats et sont mieux préparé·e·s que les autres.

2) Grandir

La psychologue « Dans notre société, nous ­préférons repousser les sentiments inconfortables. Nous trouvons ­embarrassant de transpirer ou rougir à cause de la nervosité, même si nous en faisons tous l’expérience à certains moments. Mais vous ne ­devriez pas éviter ou ignorer cette peur, au risque qu’elle s’aggrave ­encore. Si par exemple, vous craignez de vous exprimer devant une grande assemblée, vous n’oserez peut-être plus, à force, parler devant un petit groupe. Une étude de l’Université de Rochester montre qu’il est important de recadrer sa peur. Ne la considérez pas comme un principe purement négatif, mais comme un messager fonctionnel qui vous permet de rester sur vos gardes et de détecter les points douloureux pour vous. Comme une grande flèche qui indiquerait qu’il vous est encore possible de grandir et de vous améliorer dans un domaine. Aussi inconfortable qu’elle puisse paraître, l’anxiété nous motive à apprendre et à continuer à évoluer. Par conséquent, tentez de surmonter votre angoisse à parler en public, en obtenant de petits succès. Discutez avec un inconnu, réalisez des slides pour une présentation, raconter une anecdote à vos collègues… »

3) Prudence

À l’origine, la peur servait à nous protéger du danger, et c’est toujours le cas. Une étude ­britannique montre que les ­personnes anxieuses ont moins ­d’accidents que celles qui ne le sont pas. Les gens appartenant à ce ­deuxième groupe ont en effet ­tendance à sous-estimer les risques potentiels, c’est pourquoi ils ne vont, par exemple, pas à temps chez le ­médecin pour des affections mineures, pouvant alors devenir incontrôlables. Parfois, il est donc utile de dire merci à sa peur. Elle veille sur vous et vous ­permet, littéralement, de vivre plus longtemps. Il est clair que souffrir d’un trouble anxieux peut avoir de graves ­conséquences sur votre vie. Cela peut entraver vos actions et ­demande souvent l’aide d’un·e ­professionnel·le pour parvenir à y faire face. Le dicton « la peur est mauvaise conseillère » semble n’avoir jamais été plus justifié. Mais est-ce forcément toujours le cas? Loin de minimiser les difficultés liées à un trouble anxieux, quel que soit son degré ou sa forme, il existe certains bienfaits inattendus liés à l’anxiété.

Ne considérez pas la peur comme un principe purement négatif, mais comme un messager qui vous permet d’en apprendre davantage sur vous.

4) Signal d’alarme

La psychologue « L’anxiété peut agir comme un signal d’alarme indiquant qu’il faut prêter attention à quelque chose. Si, par exemple, vous avez été angoissé·e ces dernières semaines à cause du comportement de votre ado, cela peut être le signe qu’il y a réellement un problème. Votre peur vous amène à évaluer ce qui se passe et à prendre conscience du danger, comme un canari dans une mine de charbon. Et lorsque vous vous trouvez dans une situation où vous vous sentez en insécurité, la peur vous pousse alors à agir et à sortir de ce mauvais pas. »Margaux « Je comprends très bien les autres. Si quelqu’un me dit qu’il se sent stressé ou inquiet, j’imagine parfaitement ce qu’il ou elle peut ressentir. Je ne jugerai jamais mais j’écouterai au contraire toujours. Et si une personne annule un rendez-vous tardivement parce qu’elle ne se sent pas bien, je n’en prendrai pas ombrage. Je serai juste heureuse qu’elle me l’aie fait savoir. »

5) Connaissance de soi

Les personnes souffrant d’un trouble anxieux réfléchissent beaucoup et passent régulièrement par des phases d’introspection, ce qui leur permet de bien se connaître. Cela peut prendre de nombreuses années et nécessiter une thérapie, mais les résultats sont impressionnants.

Maud « Toutes les complications causées par mon anxiété et mes TOC m’ont permis d’acquérir une grande connaissance de moi-même. Elles m’ont obligée à ­travailler sur moi dans les ­moments difficiles. »

Les autrices de The Anxiety Sisters’ Survival Guide demandent elles aussi plus de compréhension face aux annulations de dernière minute: « La peur est imprévisible. Si l’angoisse vous oblige à modifier vos plans, vous n’êtes pas responsable pour autant. Après tout, nous ne punissons pas les personnes qui remettent un rendez-vous parce qu’elles ont la grippe. »

Mon trouble anxieux et mes TOC m’ont obligé à travailler sur moi dans les moments difficiles.

6) Aplomb

Cela peut sembler un peu contradictoire et pourtant: tou·te·s les grand·e·s dirigeant·e·s ont besoin d’envisager constamment l’ensemble des scénarios possibles et d’être prêt·e·s face à toute issue. Or, c’est exactement ce à quoi sont douées les personnes anxieuses et ce qui les rend mieux préparées ­lorsqu’un problème survient. De plus, les gens angoissés sont alertes, ­réagissent rapidement en temps de crise et sont habitués à se sentir inconfortables. Une force en somme.

La peur est imprévisible. Si l’angoisse qui monte vous oblige à modifier vos plans, vous n’êtes pas responsable pour autant.

7) Empathie

Les personnes anxieuses sont plus empathiques et peuvent plus facilement compatir avec les autres. Elles savent mieux que personne à quel point la panique ou les émotions négatives peuvent vous déprimer et comprendront donc parfaitement si vous passez par un jour sans. Elles acceptent facilement les autres avec amour et bienveillance. La psychologue « Dans un moment de stress, les angoissés seront ­temporairement moins empathiques, car ils n’auront que peu de marge ­restante pour les autres. À ce moment-là, leur principale préoccupation est de surmonter leur propre peur. Et lorsque cela arrive, ce serait bien que le monde face preuve de plus de ­compréhension à leur sujet. »

Fred « Quand j’ai une crise ­d’angoisse, je dois parfois prendre du repos durant les jours qui suivent, afin d’arriver à récupérer. J’annule alors tout et essaye de recevoir le moins de stimuli possibles. »

Margaux « J’ai une approche réaliste de la vie, mais j’examine plus vite toutes les facettes en détail et pèse le pour et le contre. Je suis pessimiste, donc je ne dissimule pas la situation, mais l’évalue au contraire toujours très honnêtement. Alors, quand quelque chose se passe mal, il est bien possible que j’en ai déjà fait l’expérience dans ma tête. »

Maud « Je trouve les sentiments anxieux humains et je suis donc ouverte à leur sujet. C’est pourquoi beaucoup se confient à moi. J’ai parfois l’impression d’être la psy de mes amis (rires). »

Texte d’Anaïs Raes, Barbara Wesoly. Remerciements à la psychologue Leslie Hodge.

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